vendredi 23 novembre 2018

LES BEAUX MARIAGES





Titre original : "The custom of the country"
Auteure : EDITH WHARTON
Traduction : Suzanne MAYOUX
Editions : Les Belles Lettres -2018- 562 pages

Ah, comme elle est belle et désirable, Ondine Spragg ! Aussi ondoyante et charmante, que son prénom peut le laisser espérer. Comme elle est volontaire aussi et comme sait bien obtenir tout ce qu'elle désire, habituée qu'elle est à faire plier ceux qui l'entourent, ses parents en tout premier lieu,  des "parents-cariatides", qui n'ont existé que pour elle et qui n'ont jamais su rien lui refuser.
Son pouvoir sur eux a su si bien jouer qu'ils sont à présent installés à New-York, non pas dans leur maison, ils n'en ont pas les moyens, mais dans un hôtel assez chic cependant pour faire croire que c'est un choix et non une nécessité. N'y rencontre-t-on pas tous ceux qui comptent ?  C'est du moins ce qu'elle espère. Car son projet est simple : réussir.

Réussir, dans ce monde là et à cette époque, cela signifie pour une jeune-femme, faire un beau mariage et pour Ondine, qui est  très ambitieuse, faire même un très beau mariage.


Mr and Mrs I.N. Phelps Stokes
John Singer Sargent (1856-1925)

Elle va parfaitement y parvenir, tout au moins aux yeux des autres.
Epouser Ralph Marvell, dont la maison s'ouvre sur Washington Square, c'est pénétrer dans ce que la haute-société  new-yorkaise a de meilleur, de plus aristocratique même.
Ralph Marvell a une seule ambition : écrire. Le monde des affaires lui est totalement étranger. Il faut dire qu'il a été élevé ainsi, dans cette oisiveté distinguée, pétrie d'intelligence, de culture et de sensibilité. Il connaît tous les codes, les respecte, mais sait aussi les bousculer - n'est-ce pas justement ce qu'il fait en épousant Ondine ?- tant il est confiant en leur valeur, confiant également en cette jeune épouse si belle mais un peu frustre, qu'il saura guider jusqu'à  lui.

Mais il n'a pas compris :  pour Ondine, ce qui compte c'est l'argent et ce qu'il procure : toilettes, bijoux, voyages en Europe, dîners, sorties, respectabilité, ou tout au moins ce qui pour elle en tient lieu... Tout ce qui permet de se mettre en scène et de se faire admirer. 
Pas exactement ce que lui-même apprécie, promenades solitaires autour de Florence, cieux à admirer d'autant mieux que l'on est deux, partages silencieux devant les beautés du monde. Quant à la respectabilité il en est l'image même.

La chute sera brutale et même plus que cruelle, mais l'histoire n'est pas finie, du moins pour Ondine.


Portrait de Lady Helene Vincent, vicomtesse d'Abernan
John Singer Sargent (1856-1925)

Très vite, elle se met en chasse de nouvelles proies :  les unes s'échapperont, d'autres succomberont.
Mais elle, ne change pas : toujours belle, toujours incapable de comprendre les valeurs des autres, toujours imperméable à la ruine et aux malheurs qu'elle sème autour d'elle avec une totale insensibilité, elle continue à avancer ou plutôt à boucler la boucle, en devenant ce qu'elle n'a jamais cessé d'être : une arriviste, toujours insatisfaite. 

C'est un livre cruel que celui-ci. Un livre ou la critique n'épargne aucun bord, ni les femmes ni les hommes enchaînés les uns aux autres par "les moeurs de leur pays", décrivant tout à la fois la fin d'un monde et le début du suivant, celui dans lequel nous sommes.

Pour l'écrire il a fallu toute l'expérience d'Edith Wharton, toute son ironie, toute sa lucidité, tout son art de l'écriture, auquel, m'a-t-il semblé la traduction ne rend pas toujours hommage.

Edith Wharton et Henry James étaient amis. En les lisant, on comprend pourquoi. 
Je sors de leur lecture toujours emplie de la plus grande admiration.


Une fois de plus je ne saurais trop vous conseiller de ne lire la quatrième de couverture qu'après avoir lu le livre. Celle-ci m'a semblé particulièrement intrusive et, comment-dire, inadaptée quant à sa conclusion ? 


jeudi 15 novembre 2018

COMME TOUS LES APRES-MIDI




Titre original : Mesl-e Hame-ye Asr-hâ
Auteure : ZOYÂ PIRZÄD
Traduction du persan (Iran) : Christophe BALAŸ
Couverture : David PIERSON
Editions :  ZULMA -2007, 2015- 132 pages


Cela a été un grand plaisir pour moi, de découvrir dans la touffeur et le tohu-bohu de la FNAC de Marseille, ce petit livre à  la couverture d'un vert printanier, qui correspond si bien à la beauté et à la simplicité de ce livre.
Le plus important, cependant était le nom de l'auteure, dont j'avais déjà lu, avec bonheur, plusieurs livres, dont un chroniqué ici

Pas de roman cette fois, mais dix-huit très courtes nouvelles, dont certaines m'ont fait penser à des poèmes en prose, ceci n'engageant que moi !

Deux d'entre elles ont pour héros des hommes, perçus dans un moment de fragilité.
Les seize autres parlent de la vie des femmes, saisie dans une continuité quasi hypnotique : bébé, petite-fille, jeune-fille, jeune femme, femme mûre, femme âgée, ou d'une étape de celle-ci, pas un moment drame ni d'intense bonheur, non, juste un moment banal, ou qui semble l'être, alors que pourtant, sans que rien ne se passe vraiment, la vie bascule.


Femme au bouquet de fleurs. Iran, période Séféride. Vers 1575.
Peinture à l'eau et or sur papier. Smithsonian museum of Arts. Washington.


Toutes ces femmes ne sont en rien des héroïnes. Ce sont des femmes mariées ou veuves. Très peu d'entre elles travaillent à l'extérieur. Elles tiennent leur maison, s'occupent avec tendresse de leurs enfants, font la cuisine, beaucoup de cuisine, arrosent leurs fleurs, avec comme seul horizon, mais ce n'est pas une punition, le bout de la rue où tout s'agite un peu trop, le pêcher qui année après année s'entête à fleurir.
Si certaines ont parfois envie de faire autre chose, écrire une histoire par exemple, la plupart se satisfont de cette vie, sachant qu'elles tiennent leur rôle.
Leurs maris n'ont rien de tyrans : ils vont à leur bureau et rentrent chez eux le soir. Si le menu ne leur plaît pas, ils peuvent se permettre une petite grimace mais mangent "sans faire d'histoire".

Où sommes-nous ? En Iran. A quelle époque sommes-nous ? Quelque part entre les années cinquante du siècle dernier et aujourd'hui. En fait dans un espace intemporel, -s'il est possible d'écrire côte à côte ces deux mots -même si, dans les dernières nouvelles, une actualité proche ou un peu plus lointaine semble laisser sa marque.


Iran, Ispahan. Panneau de céramique à la joute poétique. XVIIe siècle. Musée du Louvre. Paris

Rien ne se passe ou si peu et pourtant tant de choses son dîtes : sur la vie, sa brièveté, ses bonheurs minuscules, ses  grands malheurs, sa fragilité.
Aucun pathos ici, des mots simples, des phrases fluides, qui rendent toute la vérité des moments que  la sensibilité et  l'oeil exercé de l'auteure  savent si bien saisir.

Un vrai bonheur de lecture à ne pas manquer.

Je tiens de plus à préciser qu'habituellement je ne goûte que très peu les nouvelles. Alors...


dimanche 11 novembre 2018

11 NOVEMBRE 1918


Il y a cent ans se terminait, sur le front occidental, la terrible guerre de 14-18.
Trois de mes arrière-grands-pères, y ont participé.  Mes deux grands-pères également.


Hôpital militaire. Mon grand-père est le jeune-homme en chemise blanche et portant un calot, assis sur une chaise ,en bas à droite.


Le premier de mes arrière-grands-pères,  se prénommait Firmin : rattaché à un régiment de "Gardes des Voies et des Communications" (g.v.c), du fait de son âge - 45 ans en 1914 -, fort caractère,  il a repris ensuite sa vie, sans sembler en avoir été  affecté, jusqu'à sa mort en 1952.

Le deuxième,  qui portait, pour des raisons assez romanesques, l'impérial prénom de Charlemagne, simple soldat également dans un régiment du génie,  a été gazé. Il est mort quatorze ans après la fin de la guerre à l'âge de cinquante-trois ans.

Le troisième, Barthélémy, quarante-huit ans au début du conflit,  flamboyant "chef de musique de  première classe au 89ème régiment d'infanterie", a participé au conflit jusqu'au 31 janvier 1917, date à laquelle, la limite d'âge atteinte, il a été mis à la retraite. Il s'est retiré dans ses foyers, honoré par la croix de guerre et la légion d'honneur.


Un poilu. Dessin de mon grand-père.

Mon grand-père paternel, Firmin, fils de Firmin, s'était engagé à peine âgé de dix-sept ans. 
Parti de son Languedoc natal,  enrôlé successivement dans plusieurs régiments d'infanterie, notamment en tant que mitrailleur  il a participé à toutes les grands batailles du front de l'est, dont la Marne et Verdun...  
Marqué à vie, il est resté un homme silencieux, renfermé, morose,  d'une extrême sensibilité, qui n'évoquait jamais ses années de guerre. Il  a cependant vécu jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans. Nous nous sommes beaucoup aimés.
Quant à mon grand-père maternel, ne l'ayant jamais connu je ne sais malheureusement rien de son parcours militaire.




Nous avons eu la chance, de retrouver dans une boîte à chaussures, une cinquantaine de cartes postales que  mon grand-père paternel et son père (les deux Firmin) ont échangé durant cette période, ainsi que  celles qu'ils envoyaient à leur mère ou épouse, restée à Sète (Cette à l'époque) avec son plus jeune fils.
C'est un précieux héritage.

En ce jour,  je voudrais juste partager avec vous deux d'entre elles, particulièrement émouvantes.




La première,  datée du mois d'avril probablement 1916, est écrite au crayon par mon arrière-grand-père  et est adressée à sa femme.




Proche de l'unité de son fils, il le cherche, dans le cahot qui suit la bataille :

"Le 20 avril. 8 heures du matin. Je suis à revigny j'ai marché toute la nuit de village en village sans pouvoir trouver le petit je me prépare à rentrer à Eclaron je suis très fatigué j'ai fait à pied toute la nuit 37 km je vous embrasse Bonneil" 



La seconde, envoyée par mon grand-père à sa mère fait preuve d'un sens de l'ellipse, qui témoigne chez lui cependant d'un  grand besoin "de dire", qu'il réfrène habituellement dans tous ses courriers, qui consistent le plus souvent en ces simples phrases :


" Chère maman
Je vais toujours très bien. Ne te fais pas de mauvais sang. Je t'embrasse."















Datée du 20 août 1916, en pleine bataille de Verdun, il écrit :

" Chère maman,  
Nous venons d'être relevés des lignes et je t'assure que cela n'a pas été un petit travail. Les tranchées étaient pleines d'eau. Nous sommes tout près du camp de Mailly. Je crois que nous allons faire des manoeuvres. Donne bien le bonjour chez tante. Je vous embrasse bien fort Albert (son jeune frère)  et toi. 
Firmin"




En ce jour, je pense à eux et à tous les autres, de tous les bords.


lundi 5 novembre 2018

LES HUIT MONTAGNES




Titre original : " LE OTTO MONTAGNE " - 2016 -
Auteur PAOLO COGNETTI
Traduction : Anita ROCHEDY
Editions : Stock  2017. - 299 pages-
Vient également de paraître en Poche

C'est un livre que j'ai lu comme je n'aime pas le faire. Sans trop de continuité et l'esprit trop pris par ailleurs, ce qui explique probablement que je me sens un peu malhonnête d'en parler ici.

L'histoire est connue  déjà de nombre d'entre vous. Celle d'une amitié entre deux enfants qui deviennent adultes, que tout oppose a priori mais que trois choses unissent : leur amour de la montagne,  un père en quelque sorte commun, une maison à bâtir.

Pietro, le narrateur, vit à Milan, fils d'un couple construit sur une enfance partagée dans les Dolomites et un drame originel, qui les a coupés de toute autre famille.
Le père, qui n'a pas connu le sien, "irascible, autoritaire, intolérant" aime "les chamois, les bouquetins, les nuits en bivouac, les ciels étoilées, la neige...", bref la haute montagne qu'il affronte toujours au pas de course.
La mère, "forte et tranquille et conservatrice", "préfère les deux mille - les prairies, les torrents, les forêts- " mais affectionne aussi particulièrement  "les mille, la vie de ces villages de bois et de pierres.... Elle voulait une maison où faire son nid et un village auquel revenir..." 

Entre eux, l'enfant sensible étouffe, sans jamais protester, sans n'avoir jamais eu "un mot de travers".


Massif des Dolomites. Italie.

Sa rencontre avec Bruno, un enfant du village dans lequel ils passent leurs vacances, va le libérer un peu de cet étau. Son père travaille au loin, il vit avec sa mère, "une femme qui ne parle pas", que les autres, parce qu'elle est une femme, "juge à moitié folle"
Ils vont parcourir à leur rythme la montagne, ses torrents ses alpages, partir aussi ensemble avec le père de Pietro, plus haut, celui-ci découvrant peut-être en Bruno, le fils qu'il aurait probablement  souhaité.

Ils se retrouvent ainsi chaque été, puis, grandissant, un peu moins souvent. 
Mais ils s'inquiètent l'un de l'autre. La mort aussi précoce que brusque du père de Pietro les réunira  à nouveau autour d'une maison à construire. 

L'un vivra sa vie attaché à sa montagne, l'autre parcourra des sommets plus lointains,  cherchant tous deux "à faire quelque chose de sa vie". 
Deux voies en partie séparées, unies par l'amitié.


Source :https://www.etsy.com/fr/listing/234931711/mandala-etoile-a-huit-branches-avec-des montagnes

On retrouve dans ce qui s'appelle ici  "roman", beaucoup des thèmes que Paolo Cognetti a développés  dans un court récit autobiographique "Le garçon sauvage", que j'avais vraiment beaucoup aimé.

La montagne et ses vertus consolantes, la difficulté à être père notamment quand on a pas connu le sien, celle d'être fils, quand on a craint son père et qu'on sait ne pas correspondre à ce qu'il aurait aimé.
S'y ajoute ici des visages de femmes : celles qui sont des mères, celles qui sont des compagnes pour un temps plus ou moins long et qui sont choisies  parfois pour  leur ressemblance avec les précédentes.
Un livre poignant, profond et triste, dans lequel se retrouveront tous ceux qui tournent sur les huit montagnes, comme ceux qui n'en escaladent qu'une, avec toujours en tête ce souhait, pas toujours exaucé,  de savoir où est notre place sur terre.   

Dominique avait beaucoup aimé, Tania également et s'il y en a d'autres, n'hésitez pas à me le dire, je mettrai un lien vers vos articles ! 
Keisha par contre est moins enthousiaste. Dasola, par contrefait partie de celles qui avaient beaucoup aimé.