mercredi 27 mars 2013

SEUL DANS BERLIN



Titre original : "Jeder stirbt für sich allein"
Auteur : Hans FALLADA
Traducteurs : A. VIRELLE et A.VANDERVOORDE
Editions  : Denoël - Folio n°"3977- 2002. 556 pages


Dernier retour à Berlin, du moins pour le moment, avec ce très beau livre de résistance, - "l'un des plus beaux livres sur la résistance allemande" d'après Primo Levi.

Nous sommes en 1940 à Berlin. La France vient de capituler.
Dans un immeuble d'un quartier populaire, vivent plusieurs familles que seul rassemble ce lieu partagé :  Au premier, il y a les Persicke, qui déjà fêtent la victoire du Führer, que leurs trois fils servent avec enthousiasme. Le second est occupé par les Quangel, Anna et son mari Otto,  dont le fils est parti à la guerre. Au troisième vit le conseiller Fromm seul avec sa gouvernante et ses livres, enfin au quatrième la vieille Frau Rosenthal, qui jadis, avec son époux tenait une si jolie boutique de lingerie. Le magasin a été aryanisé et son mari arrêté il y a quinze jours.
C'est dans cet immeuble que vient d'entrer Eva Kluge, la factrice, porteuse d'une lettre de la poste militaire, une sale lettre, qu'il va bien falloir remettre aux Quangel.
L'aveuglement et l'avidité des uns, la douleur des autres et surtout le malheureux "Toi et ton Führer !" que va lancer Anna Quangel au visage, resté impassible de son mari, vont bouleverser cet équilibre précaire.
Chacun va choisir sa voie dans cette ville gangrenée par la peur, une voie qui mènera certains jusqu'à la mort, faisant d'eux les héros qu'ils n'avaient jamais envisagé d'être.

J'ai trouvé la lecture de ce livre passionnante à plus d'un titre :
En tant que roman, c'est une très belle intrigue, magnifiquement construite, peuplée de personnages dont l'humanité bonne ou mauvaise, parfois les deux, n'est jamais factice. Chacun a du poids et se révèle par des petits détails, des attitudes d'une parfaite vérité, croquées avec des mots simples, sans aucune emphase.
En tant que document, c'est un témoignage de première main, sur la vie des allemands durant la guerre : les plus âgés, les femmes, tous ceux qui n'étaient pas sur le front : on continue à travailler, mais on fabrique des cercueils à la place de commodes, on tient sa maison, on profite des petites joies, ou alors on boit, on cherche la bonne affaire et surtout on a peur : du voisin, du gamin pas bien sympathique qui s'est enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes, de ce commissaire de police qui vous demande de surveiller la voisine, de tout et de tous.
C'est aussi, bien sûr un témoignage sur ceux qui résistent, seuls ou en groupes, avec des armes, des ronéos ou simplement, comme Otto et Anna Quangel avec une plume et quelques cartes postales.
Ils ont résisté au-dehors, ils résistent aussi dans les prisons où on les envoie croupir avant de les exécuter et leur courage, leur discipline, leurs regards, leur force rappellent jour après jour aux bourreaux, qui ne s'en remettent pas toujours, la force des victimes.
C'est aussi, après tout ce noir, un magnifique livre d'espoir : il y a ceux qui en sortiront grandis, qui auront su tourner la page pour pouvoir rester humains et entamer un autre chemin.


Enfin, l'histoire du roman est également passionnante : 
C'est en quelque sorte un livre de commande, qu'Hans Fallada a rédigé en quatre semaines, à partir d'un dossier de la Gestapo concernant un couple d'ouvriers berlinois, que lui avait remis un militant communiste.
Hans Fallada, âgé de cinquante-quatre ans, mourra quelques semaines après l'avoir achevé, épuisé par une vie tourmentée et le prodigieux effort qu'il venait de fournir pour venir à bout de ce qui reste son chef d'oeuvre.


Si vous voulez en savoir plus sur ce livre et cet auteur, je ne saurais trop vous conseiller d'écouter sur France culture , l' émission de la série "Une vie, une oeuvre", qui leur a  été consacrée récemment. 
La vie d'Hans Fallada est à elle seule un roman.

mercredi 20 mars 2013

DANS L'OMBRE DE LA LUMIERE



Auteure : Claude PUJADE-RENAUD
Editions : Actes Sud -2013- 298 pages

Quand Elissa, la narratrice, commence ce récit, elle est dans la quarantaine.
Elle vit chez sa soeur aînée,  et son beau-frère Marcellus le potier, à Carthage,  la ville où elle est née et où elle aime vivre.
Ce sont eux qui l'ont recueillie, il y a quelques années, quand elle est revenue d'Italie, "loque amaigrie, regard de folle".
Celui qu'elle aimait et dont elle partageait la vie depuis quinze ans, Augustinus, l'a renvoyée pour pouvoir épouser une jeune-fille de bonne famille et satisfaire ainsi ses ambitions, à moins que ce ne soit surtout celles de sa mère, Monnica, la parfaite. Ils ont gardé aussi Adeodatus, le fils d'Augustinus et d'Elissa, sans qu'elle n'ait rien à dire.

L'annonce qui lui est faite ce jour là - l'évêque d'Hippo Regius va séjourner à Carthage et y prêcher- la conduit à commencer ce récit.
Car cet évêque d'Hippo Regius, elle le connaît très bien : il n'a pas épousé la jeune-fille de bonne famille, il a abandonné son métier de rhéteur, il a rejoint la foi de sa mère, il deviendra Saint-Augustin, pas moins qu'un Père et Docteur de l'Eglise.
Mais pour elle il reste  Augustinus, celui "dont son sexe et sa mémoire ont conservé la trace".

C'est par très courts chapitres que nous allons prendre connaissance de cette histoire : ce qu'elle a vécu au temps du bonheur, ce qu'elle vit aujourd'hui partagée entre souffrances et nouveaux attachements. On passe du présent au passé, de la réalité aux rêves, la vie quotidienne se mêle à l'histoire, la sensualité aux renoncements mystiques. 

J'ai eu beaucoup de plaisir à lire ce livre : bien construit, très bien écrit, il permet au delà des charmes du roman, de redécouvrir une page d'histoire : le déclin de Rome, le triomphe des barbares, la victoire du christianisme.

Il donne également et surtout l'occasion d'en apprendre plus sur cet Augustin, que l'on aurait peut-être pas cherché à mieux connaître sans cette médiation, mais aussi sur cette inconnue qu'il n'évoque qu'en deux lignes,  dans ses "Confessions". 

Quinze ans de vie commune  et un fils valaient bien un livre : à présent nous l'avons ! 

mercredi 13 mars 2013

KÄTHE KOLLWITZ


Lors d'un récent séjour à Berlin, j'ai  été heureusement surprise de constater que tout un musée était consacré à une artiste dont, à ma grande honte, j'ignorais tout.

Autoportrait de face-188-1889-





Une telle aubaine ne se refusant pas j'ai donc pris le chemin de la Fasanenstrasse*, où j'ai découvert la grande maison bourgeoise qui abrite une partie importante de l'oeuvre de Käthe KOLLWITZ, dessinatrice, sculptrice , graveuse et femme de conviction.


Autoportrait-1923-

Le parcours de Käthe Schmidt commence à Könisberg en Prusse Orientale (aujourd'hui Kaliningrad -Russie-) où elle naît le 8 juillet 1867. Très rapidement, elle montre des dons pour le dessin :  ce sont les gens qui l'intéressent, travailleurs, marins, paysans, qui fréquentent le bureau de son père et cet intérêt, renforcé par les attaches socialistes de sa famille, ne la quittera jamais.


Solidarité -1932-

Après des études artistiques à Munich puis à Berlin, elle se marie avec un jeune médecin, Karl Kollwitz, qui partage ses idéaux.
Ils s'installent à Berlin, dans le quartier populaire de Prenzlauer où il exercera et où naîtront leurs deux fils Hans et Peter.



Mère avec un enfant dans les bras


















Sa célébrité naissante est confirmée de manière inattendue en 1899, lorsque l'empereur Guillaume II, refuse de lui accorder la médaille d'or proposée par le jury de la grande exposition d'art de Berlin où elle expose son puissant cycle  "La révolte des tisserands".





Tout en  poursuivant son oeuvre elle voyage à Paris, où elle étudie à l'académie Julian et où elle rencontre Auguste Rodin.
En 1913 est nommée chargée de cours à l'Ecole des Arts à Berlin et devient membre du mouvement de la Sécession Berlinoise.

La première guerre mondiale à peine entamée, son fils, Peter, engagé volontaire est tué dans les Flandres à l'âge de dix-huit ans.
Cette mort, dont elle devra vivre la cruelle répétition  en 1942, quand son petit-fils sera abattu sur le front russe, marque définitivement son existence, d'autant plus que son mari et elle, par ailleurs très critiques sur le conflit, ont dû signer une autorisation pour que leur fils mineur puisse entrer dans l'armée.
Ce drame la confirmera dans ses engagements pacifistes, qu'elle proclamera durant tout  le reste de sa vie



"Plus jamais la guerre"-

Sa carrière, brillante, continue cependant. En 1917, à l'occasion de son cinquantième anniversaire, des expositions lui sont consacrées dans toute l'Allemagne. En 1919 elle est la première femme à être nommée professeur à l'Académie d'art de Berlin où elle prendra en 1928 la direction des Arts Graphiques.


Veuves et orphelins -1919-

La femme et la mort -


En souvenir de Karl Liebknecht -1920-


Aucun de succès cependant  ne l'écartera de ses engagements : en 1932, elle fait partie des signataires de l'appel de l'union des partis de gauche contre le fascisme, ce qui lui vaudra entre autre, d'être radiée de son poste à l'Académie des Arts, à l'avènement de Hitler aux fonctions de chancelier du Reich.

Mère avec deux enfants -1932-1936-


Dans les années qui suivent, ses expositions sont interdites et ses oeuvres retirées des musées qui les abritaient.
Son mari meurt, elle quitte Berlin bombardée : son appartement est d'ailleurs totalement détruit peu après ainsi que tous les documents qu'il contenait.
Elle mourra, elle-même, le 22 avril 1945.





Le musée de Berlin rend parfaitement hommage à ce beau parcours : tous les thèmes qui la taraudaient sont amplement représentés : de nombreux autoportraits dans lesquels il ne faut pas chercher une particulière attention à soi-même, mais plutôt le plus simple moyen de trouver un modèle à bon compte, des représentations pleines d'amour et de chaleur de jeunes mères avec leurs enfants, mais aussi les représentations de la misère, de la faim,  de la guerre, de la mort et des douleurs qu'elles ont engendrées.
C'est un parcours en noir et blanc auquel on est invité. Un parcours plein de force, de profondeur, de douleur, de volonté d'agir. 
C'est une très belle rencontre.  

Une exposition lui a été consacrée durant l'été 2012 au musée Georges de La Tour à Vic-sur-Seille, en Moselle.
 Elle a été accompagnée de la publication d'un catalogue, dans lequel j'ai puisé la plupart des informations utilisées dans cet article.


* Käthe KOLLWITZ Museum. Fasanenstrasse 24 Berlin.
 Un autre musée lui est consacré à Cologne.

jeudi 7 mars 2013

TOUTE LA FAMILLE SUR LA JETEE DU PARADIS




Titre original : "The family on Paradise pier"
Auteur : Dermot BOLGER
Traducteur : Bernard HOEPFFNER avec la collaboration de Catherine GOFFAUX
Edition : Gallimard - Folio n°5033- 650 pages

Pas de montagnes ici, mais une jetée, donc, près du village de Dunkineely, dans le comté de Donegal en Irlande.

Nous sommes en août 1915 et la famille Good Verschoyle, au grand complet, Père, Mère et leurs cinq enfants, s'apprêtent à vivre, entourée de ses voisins et amis. une belle et joyeuse journée d'été qui se prolongera tard dans la nuit.
Ils ne le savent pas encore mais durant des décennies elle restera dans leur esprit, et plus encore dans celui des enfants, comme le souvenir même du bonheur : celui capable de vous nourrir, alors même que vous perdez pied.

Ce sera le cas pour nombre d'entre eux et tout est déjà écrit :  la Grande Guerre a commencé, le devenir de l'Irlande fait hausser le ton des adultes quand la question est abordée, et chacun s'affirme déjà dans ce qui fera son histoire :  Maud l'aînée,  montre toutes les qualités pour diriger une famille ; Eva la seconde fille, tendre et artiste, sait déjà,  que quoi qu'il advienne, elle n'oubliera jamais l'odeur de "la lotion pour les mains dont Mère frottait toujours ses paumes après avoir jardiné" ; Art, le premier fils tant désiré et l'héritier de cette tribu gentiment aristocratique et protestante, ne comprend pas pourquoi les fils de pauvres doivent marcher pieds-nus ; Brendan, le cadet, admire le fabuleux engin, une radio, qu'il découvre ce jour là,  et encore plus son frère aîné ; Thomas, le fils du milieu, a compris  qu'il lui faudrait faire sa vie par lui-même avec "l'attention déterminée" et "la logique imparable" qu'il montre déjà.

Bientôt ils iront au collège, à l'université ou pas, ils resteront en Irlande ou partiront pour l'Angleterre, l'Afrique du Sud, l'URSS ou l'Espagne en guerre,  ils se marieront ou pas, auront des enfants qu'ils verront grandir ou pas, trouveront leur voie ou le croiront, ouverts ou fermés à la douleur de leurs plus proches.
En le sachant ou pas, ils mèneront leur vie sous le regard douloureusement tolérant de leur père et entouré par l'amour véritable et inconditionnel de leur mère, qui réunira ceux qui restent une dernière fois. 

Voilà un très beau livre et un véritable roman, qui pourtant n'en ai pas tout à fait un, puisqu'il est né de la rencontre de Sheila Fitzgerald (Eva) et de Dermot Bolger en 1977.

Après avoir hésité durant des années, de crainte de ne pas pouvoir "saisir l'essence de cette femme unique et joyeuse qui apporta tranquillement l'inspiration a beaucoup de ceux qui la rencontrèrent", il s'est heureusement décidé à écrire, conforté par une petite phrase, qu'elle avait laissée et ou elle disait admirer "les artistes qui avaient le courage de s'emparer de la réalité et de la transformer en quelque chose de nouveau".
Il a su en faire une oeuvre ou l'on retrouve l'Histoire en marche comme l'intimité des coeurs, la cruauté la plus radicale comme la tendresse la plus douce et  nous amène à réfléchir sur nos engagements quels qu'ils soient.
A qui devons-nous être fidèles ? Telle est la question posée.
Chaque enfant Good Verschoyle, pour le meilleur ou pour le pire, a fait son choix.
A nous de trouver nos propres réponses.

Merci à Catherine Bayle, qui m'a conseillé de lire ce très beau roman.