mercredi 25 juillet 2018

M Train





Titre original : "M Train " 2015
Auteure : PATTI SMITH
Traduction : Nicolas RICHARD
Editions : Gallimard 2016. Folio n° 6438. 287 pages


"Ce n'est pas facile d'écrire sur rien". 

Telle est la première phrase prononcée par le cow-boy "vaguement bel homme" la première fois qu'il pénètre dans le rêve d'une Patti Smith rapidement excédée par sa nonchalante désinvolture.
C'est également ainsi que nous entrons dans ce livre qui pourrait bien "parler de rien" si son auteure, 
chanteuse, musicienne,  photographe,  écrivaine, n'était capable de tirer de "rien" les choses les plus sensibles, nous accordant le rare privilège de partager ce qu'est la vie, quand on est poète.

Patti Smith a aujourd'hui plus de soixante-cinq ans. Elle vit seule à New-york avec ses chats. Elle aime son manteau noir, les cafés et le café, les séries policières et les inspecteurs de police "dont les sautes d'humeur et le caractère obsessionnel" reflètent bien sa "propre nature", Arthur Rimbaud et William Blake, Jean Genet et Sylvia Plath, Frida Kahlo, les plages de l'océan, les maisons délabrées, les polices de caractères, partir au bout du monde pratiquement sans bagages, s'asseoir au bord d'une tombe, rester chez elle et même dans son lit. 

Elle rêve beaucoup, dialogue avec  son dessus de lit qu'elle aimerait bien faire taire mais "contrairement à une télécommande, il est tout à fait impossible d'éteindre un dessus de lit à motifs floraux", croit aux présages, consulte les tarots.

Elle se souvient de sa vie avec Fred, son amour parti trop tôt, de leurs enfants petits, de sa mère à l'écriture tremblante.

Elle vit sa solitude, aime sa routines, assume "son identité solitaire", mais supplie encore : 

"Reviens, pensai-je. Tu es parti trop longtemps. Reviens donc. J'arrêterai de voyager, je ferai ta lessive."

Elle vit "les choses comme elles sont",  enrichies par son regard de poétesse :
.
"I have smoothed the hem of the robe of Parsifal.
Watched Giotto's sheep wander from a fresco.
Prayed before holy icons unveiled, surviving time.
Held shavings swept from the hut of Geppetto.
Unzipped a body bag and beheld the face of my brother. 
Witnessed the acolyte scatter petals over  a dying poet.
I saw the smoke of incense form the shape of the days.
I saw my love return to God.
I saw things as they are."*

Vous l'aurez compris c'est un très beau livre,  dont il vaut mieux cependant choisir l'édition brochée si l'on souhaite admirer les photos, majoritairement de l'auteure, qui accompagnent le texte.


* "J'ai lissé l'ourlet de la robe de Parsifal./ J'ai regardé le mouton de Giotto s'échapper d'une fresque./ Prié devant les saintes icônes dévoilées, survécu au temps./ Gardé les copeaux de la cabane de Gepetto./ Ouvert la fermeture éclair d'une housse mortuaire et regardé le visage de mon frère./ J'ai vu la fumée de l'encens définir la forme de ma journée./ J'ai vu mon amour retourner auprès de Dieu./ J'ai vu les choses telles qu'elles sont./"

mercredi 18 juillet 2018

DE DELACROIX A GAUGUIN


 C'est sous ce titre que le musée de Grenoble présentait du 17 mars au 17 juin dernier, cent-quinze feuilles du XIXème siècle, tirées de son fonds de dessins anciens.

De grands noms : Delacroix et Gauguin bien sûr mais aussi, Corot, Fantin-Latour, Puvis de Chavannes, ainsi que de nombreux autres artistes moins connus, mais qui témoignent tout aussi bien, de l'éclectisme des mouvements artistiques de ce siècle - Romantisme, Réalisme, Impressionnisme, Symbolisme- comme de son goût des voyages dans le temps - Moyen-Age, Renaissance - et l'espace : l'Orient visité ou rêvé, l'Italie, Tahiti, et même beaucoup plus simplement, la France  dont on veut immortaliser le patrimoine  le plus modeste, comme les figures pittoresques.

Si vous n'êtes pas rebutés par la mauvaise qualité de mes photos, je vous propose donc d'admirer quelques-unes de ces oeuvres.

Commençons par la France et son histoire très revisitée avec ce dessin de Pierre-Charles Comte (1823-1895), qui, s'inspirant d'une nouvelle d'Abel Hugo, frère de Victor, nous présente la naissance d'Henri de Navarre au château de Pau.
A droite son grand-père s'apprête à baptiser le nourrisson dans la religion catholique, au vin de Jurançon. Ceci explique peut-être la joyeuse nature de notre bon roi Henri IV !
J'ai été un peu étonnée par ce baptême catholique, mais en effet, Henri de Navarre s'est converti au protestantisme plus tard, l'abjurant ensuite à deux reprises, au moment de la Saint-Barthélémy tout d'abord, puis, une fois reconverti au protestantisme, pour devenir roi de France.




L'Histoire, ces artistes la cherche aussi dans les paysages qui les entourent et dont ils veulent souligner la beauté menacée, donnant du pays une image romantique très appréciée.




Ainsi en est-il de ses "Massifs d'arbres laissant voir un château sur les collines "de Jean-Baptiste Corot (1796-1875) où  l'utilisation  estompée du fusain, donne au paysage en clair-obscur,  une atmosphère de conte.




 L' "Eglise de Fleury"de Hubert Clerget (1818-1889), dessinateur et lithographe, auteur de plusieurs planches illustrant l'ouvrage de L.L. Buron, "Vieilles églises de France", qui comme bon nombre d'autres artistes, trouve dans le développement des guides de voyages, un débouché lucratif pour ses dessins, offre au contraire une vision plus réaliste, mieux adaptée à ces volumes.

De la même façon mais dans un style différent, François Victor Sabatier (1823-1891), architecte diocésain de Nice puis de Fréjus, nous propose dans ce dessin de "La porte de la Reine" à Aigues-Mortes, une vision tout à la fois précise et intemporelle de ces deux tours du XIIIe siècle.
Rien ne bouge autour, elles sont juste là.




Le présent, et même l'instant c'est, à l'inverse ce que veut saisir Johan Barthold Jongkind (1819-1891) dans cette aquarelle de "l'Isère à Grenoble". En quelques gestes rapides, il réussit à évoquer à la fois le vaste panorama  du quai qui trente-deux ans plus tard portera son nom, et l'atmosphère entre pluie et soleil de ce bord de rivière.
Ce que les impressionnistes traduiront bientôt en peinture, Jongkind comme d'autres, l'ont déjà saisi sur leurs carnets à dessin, s'affirmant ainsi  en véritables précurseurs.



Déjà, cinquante-ans plus tôt, Eugène Delacroix (1798-1863) s'était servi de ces mêmes carnets si faciles à transporter, pour fixer ces instantanés baptisés "Figures algériennes", pris dans les rues d'Oran et d'Alger, qui lui  permettaient de garder trace d'un personnage comme "le petit juif d'Oran" (en bas au centre), d'une attitude ou du détail d'une babouche.




 Loin des bords de l'Isère c'est l'aquarelle encore, qui donne à Ernest Constant Simon (1845-1895), qui se définit bien joliment lui-même comme "aquarelliste de voyage", la possibilité de  conserver cette vue d'un Assouan aujourd'hui transformé.




Bien que très nombreux, les paysages et croquis de voyages ne sont pas les seuls témoignages de cette période.
La figure humaine y a aussi toute sa place dans  des dessins, qui sont une oeuvre en elle-même comme ce beau "Portrait de Marie-Joséphine Achard", par François Louis Français (1814-1897),




ou dans des croquis préparatoires à une oeuvre peinte de  beaucoup plus grande envergure, qui nous permettent de suivre le processus créatif de chacun.

C'est le cas  de cette "Etude de draperie" (vers 1820), version la plus aboutie des dix-neuf esquisses et études que  le jeune Delacroix a produites avant de peindre la figure de la Vierge  dans le tableau "La Vierge du Sacré-Coeur", dont Géricault lui avait confié la réalisation.












De même cette belle sanguine avec rehauts de craie blanche, du peintre  Alexandre Laemlein (1813-1871), ne constitue qu'une  première étape du travail de son auteur. 
Cette image esquissée d'après un modèle vivant, une fois dotée d'une  robe et d'ailes, deviendra un ange (beaucoup moins beau selon moi !),  dans le tableau intitulé "L'Echelle de Jacob".












 



Quant à "L'enfant endormi" (vers 1879) de Puvis de Chavannes (1824-1898), si vrai et dodu, il semble perdre toute matérialité,  dans la composition mystique du "Pauvre pêcheur".




Enfin parmi toutes ces visages humains comment oublier ce "Néophyte" de Gustave Doré (1832-1883), inspiré du Spiridion de George Sand, montrant le frère Angel, dont on partage l'effroi, égaré qu'il est au milieu des figures de cauchemar que constituent les moines séniles qui l'entourent  ?




Pour terminer, attardons-nous enfin sur ces deux beaux dessins de Gauguin, dont le trait, comme les couleurs et les sujets tranchent au milieu des autres oeuvres.

Le premier, "Paraha", seul feuillet conservé  d'un cahier intitulé : "Chez les Maories,  Sauvageries", représente contrairement à ce qu'indique son titre, un poisson papillon appelé également Chétodon raton-laveur. Incroyablement présent,  on croirait le voir nager parmi les vaguelettes des lignes écrites.




Enfin, cette jeune et gracieuse maorie dessinée vers 1892,  lors de son premier séjour à Tahiti, est l'une des plus anciennes représentations de l'"Eve tahitienne", non pas tentée par une pomme, mais par les paroles que lui glisse à l'oreille un mystérieux lézard ailé (en haut à gauche).
Peut-être est-elle l'incarnation du rêve de Gauguin (et de certains autres ?) : retourner aux sources primitives d'une humanité déjà corrompue  par une modernité trop envahissante.





Merci aux rédactrices et rédacteurs des commentaires qui accompagnaient chacune des oeuvres. Ils m'ont permis de mieux les comprendre  et ont fourni matière à une grande partie de ce texte.