lundi 27 août 2018

LE CHARME DE MISS SILVER

Auteur : PATRICIA WENTWORTH
Editions : Seghers 10/18, collection "Grands détectives"
32 romans





Je venais juste de terminer difficilement le très noir roman policier de Franck Thilliez "Sharko", en pestant contre cette manie  de transformer les enquêtes policières en musée des horreurs, lorsque, comme chaque année à cette époque, chez un vendeur de livres d'occasion, j'ai pu acheter pour un coup minime, deux nouvelles enquêtes de miss Maud Silver.
La récolte était plus médiocre que celle de l'année précédente, mais me promettait tout de même, après avoir baigné dans une atmosphère particulièrement glauque,  quelques heures de lecture souriante.

 Même si le cadre de ses aventures est toujours conventionnel, celui de la haute bourgeoisie britannique,  même si l'on croise souvent un jeune couple que la destinée  s'acharne à vouloir séparer, même si l'inspecteur de police de service semble toujours accablé par l'arrivée de cette curieuse enquêtrice au chapeau démodé, même si le coupable est le plus souvent celui auquel on s'attend le moins... je dois avouer que j'aime Miss Maud Silver.

Avec son physique de petite souris,

"C'était une petite personne, à la mine chiffonnée, aux traits insignifiants, aux cheveux grisonnants, soigneusement réunis en une lourde torsade sur la nuque."

sa manière méticuleuse de se vêtir de la façon qu'elle juge la plus adaptée à la situation (même si l'on pense surtout autour d'elle qu'elle est "mal fagotée"),

"Ce soir là, ayant enfilé une robe bleu marine parsemée de petits motifs verts et jaunes qui ressemblaient à des têtards, elle en ferma le col avec sa broche en chêne de tourbière et y ajouta un rang de petites perles d'or filigranées." 

son goût immodéré pour le tricot,

"La sonnerie du téléphone interrompit miss Silver en plein milieu d'un savant calcul visant à déterminer si le total de ses bons lui permettrait de disposer de suffisamment de laine pour confectionner un gilet bleu pour sa nièce Ethel et pour tricoter par la même occasion deux paires de chaussettes pour le bébé de Lisle Jerningham."

son sens aigu des convenances, qui  "lui interdisait en pareille circonstance de produire la brassière rose de la petite Joséphine",

la profonde gratitude qu'elle ressent devant l'aisance, toute relative, dont elle bénéficie grâce à ses talents d'enquêtrice,

"Elle se sentait débordante de reconnaissance. Une pièce confortable et décorée avec goût... Par un étrange concours de circonstances, elle avait abandonné son métier de gouvernante pour devenir détective privé, et les enquêtes qu'elle avait menées  avaient été couronnées de succès au point de lui permettre d'acquérir les rideaux, les tapisseries, les gravures et l'épaisse moquette."

elle apparaît profondément sympathique.

Mais derrière ce parfait portrait de vieille fille,  leurre idéal pour des esprits moins affutés que le sien, se cachent, une redoutable connaissance des êtres doublée d'un sens acéré de l'observation, qui lui permettent, en quelques minutes, de jauger les personnes autant que les situations.
C'est en restant assise sur son fauteuil, en comptant les mailles de son dernier ouvrage, en savourant son thé qu'elle enquête. C'est avec douceur et ténacité qu'elle conseille mais avec patience et fermeté qu'elle invite à la franchise. C'est aussi avec détermination qu'elle agit, quand elle seule se sait capable de conclure.

Elle peut compter, dans de nombreux romans, sur un allié fidèle : le jeune et très charmant inspecteur Franck Abbott, avec lequel  elle va lier, de volume en volume, des liens d'une touchante affection. Ses "Mon cher Franck", prononcés d'un ton navré, qui émaillent le texte, chaque fois qu'elle se sent le devoir de morigéner le jeune homme sont le leitmotiv souriant de cette relation.


Patricia Wentworth

Bref, allez vous penser, une copie plus ou moins pâle de la miss Marple d'Agatha Christie
Détrompez-vous. Miss Maud Silver est de quatre ans son aînée et Patricia Wentworth "la considère comme un strict plagia de sa propre création".

C'est en 1928 que Patricia Wentworth, créa ce personnage, qui lui assure définitivement la célébrité.
Fille d'un général, née aux Indes, en 1878, Dora Amy Elles Dillon puis Turnbull, s'était mise à l'écriture un peu avant 1910, pour assurer l'éducation de ses enfants après le décès de son premier  mari.
Elle écrit tout d'abord des romans historiques, mais en 1923, son lectorat s'élargit après sa victoire à un concours du Daily Mail, qui fait connaître ses premiers romans policiers.
Parallèlement aux 32 volumes que comprend la série des romans ayant pour héroïne, Miss Silver, elle écrit également jusqu'à sa mort en 1961, une trentaine d'autres enquêtes sans personnage aussi récurrent.





Une dernière anecdote*, pour terminer : Patricia Wentworth, dotée d'une très mauvaise vue et d'une écriture illisible, écrivait en duo avec son second mari, le Lieutenant-Colonel George Turnbull.
Elle dictait, il écrivait, proposant quelques traits d'humour à ajouter ou quelques passages à simplifier, puis ils  relisaient ensemble le texte, se mettant d'accord sur les modifications à y apporter.

On imagine bien, les tasses de thé et la théière sur le bureau et pourquoi pas des aiguilles et de la laine entre les doigts de l'auteur...



* Source : Wikipedia

mercredi 8 août 2018

UNE PAGE D'HISTOIRE


Chaque année, ma mère, une amie commune et moi, passons une journée "entre femmes".
Une journée pour visiter un beau village bourguignon, naviguer sur le canal du Nivernais, déjeuner dans un restaurant au bord de l'eau en prenant tout le temps qui nous est nécessaire.




Cette année notre objectif était un peu plus éloigné et ambitieux : retourner à Saint-Satur, dans le Cher, où maman, alors âgée de douze ans avait vécu durant presque un an, dans  une sorte d'exode à l'envers.




En juillet 1939, ma grand-mère, qui élevait seule sa fille, décida de confier celle-ci à une amie de la famille - Tante Jeanne - pour la durée des vacances. Elle partiraient à Manzat dans le Cantal, avec deux cousines et reviendraient à Paris fin septembre.

 La déclaration de guerre, le trois septembre, changea le cours des évènements.
Si les parents des deux petites cousines vinrent chercher leurs filles, ma grand-mère, craignant les bombardements sur Paris qu'elle supposait imminents, préféra que la sienne, "la prunelle de ses yeux ", reste  loin de la capitale.

En octobre, il fut donc décidé, que Tante Jeanne et ma mère, se rapprocheraient un peu de Paris pour permettre à ma grand-mère de venir les voir, en train, tous les mois ( ce qu'elle fit toute l'année durant).
 Est-ce pour cela qu'elles s'arrêtèrent à Saint-Satur où elles n'avaient aucune attache, mais où il y avait une gare ?  
Est-ce, la nuit tombée qui les firent demander une chambre à l'hôtel du Laurier
Plus personne ne s'en souvient. Mais c'est là qu'elles s'installèrent, peut-être convaincues par l'accueil chaleureux des hôteliers.


Hôtel du Laurier. Saint-Satur. Cher.

Très vite la vie s'organisa. Un logement fut trouvé : deux pièces, dans une petite maison de la rue principale (les volets fermés).




Maman fut inscrite à l'école :




il ne s'agissait pas de plaisanter car c'était l'année du certificat d'études ! Mais là, curieusement l'accueil fut bien moins aimable qu'à l'hôtel.
La directrice, que ma mère appelle encore "la chamelle", s'empressa de créer une "classe des réfugiés", qui regroupait tous les enfants en exil, du plus petit au plus grand, qu'elle confia, bien entendu, à une jeune institutrice parisienne elle aussi réfugiée.
Mais il y a toujours une morale aux histoires  : à la fin de l'année  toutes les "réfugiées", comme les appelaient sur un ton de grand mépris la directrice,  furent reçues au certificat d'études, alors que bon nombre de ses "lumières" échouèrent...

Les courses se faisaient à proximité immédiate : à la boulangerie,



et à la charcuterie :




maman se souvient encore avec horreur des mardis matins, jours où l'on tuait le cochon, et des cris de la  pauvres bête rituellement sacrifiée.

La lessive se faisait au lavoir établi sur un petit ruisseau à l'extrémité de cette rue :




Des relations se créèrent avec d'autres réfugiés comme cette famille corse, les Giorgi, établie non loin de là, dont le plus jeune enfant était très malade.




Les mois passant les choses avaient bien changé
Dès le mois de mars un couple de cousins et leur bébé étaient venus retrouver  Tante Jeanne et ma mère, tout ce monde s'installant vaille que vaille dans les deux pièces de l'appartement.
Courant mai, des familles belges bientôt suivies par des familles françaises du nord et de l'est défilaient dans une inextricable pagaille devant la maison :

"On voyait passer des fermes entières avec des vaches, des chevaux, des gens sur des charrettes au milieu des meubles, d'autre poussant des brouettes"...

En juin, la tante Bertine, ma grand-mère et d'autres membres de la famille arrivèrent, les matelas fixés sur le  toit de la voiture... Tout le monde se serra encore plus dans le deux pièces.

Mais très vite les choses se gâtèrent. On se décida à franchir la Loire pour aller vers le sud. 
Les hommes repartis il ne restaient que des femmes : aucune ne savait conduire. Tante Bertine que rien n'effrayait, sortit dans la rue à la recherche d'un chauffeur. Elle  revint avec un boulanger qui se mit au volant.  Dans le véhicule : six personnes, dont maman bientôt treize ans sur les genoux de sa mère, un chien, des valises et toujours les matelas sur le toit...

On partit sans but précis. On roula durant des jours, tentant d'échapper à la mitraille des avions italiens.  Petit à petit l'idée de retourner à Manzat se fit jour.


Dans le groupe de droite, ma grand-mère qui tient le chien Bijou, est la deuxième en partant de la droite. A côté d'elle, ma mère. A l'extrémité gauche, la tante Bertine : une forte femme !

L'accueil y fut parfait. Le maire se démena. Une maison désaffectée, la maison Mioche, fut mise à la disposition des réfugiés dont le nombre augmentait chaque jour. 
La vie s'organisa à nouveau dans l'amitié et la solidarité




Mais pour peu de temps.
L'armistice signée toute la famille se décida à remonter à Paris... Une nouvelle aventure.

C'est donc cette histoire que nous avons revécue durant cette journée, maman retrouvant pas après pas tous les lieux de ses douze ans.
Le viaduc, qui domine la ville,  à l'époque voie de chemin de fer est devenue routier.
La grand rue  ne voit plus passer les réfugiés, mais un flot continu de voitures, camions, tracteurs, qui la rende pratiquement invivable.   
Quelques commerces subsistent encore dont une mercerie-marchande de laine comme on les aime, en fouillis, des pelotes encore et encore.
En contrôlant mes factures de carte bancaire quelques jours après, j'ai souri en constatant que la propriétaire portait un bien beau nom flamand.
Peut-être la descendante d'une famille belge descendue dans la tourmente et qui elle, n'est jamais remontée ? 


jeudi 2 août 2018

MA VIE EN PEINTURES





Titre original : "EL NERVIO ÒPTICO" -2014-
Auteure : MARIA GAINZA
Traduction de l'espagnol (Argentine) Gersende CAMEREN
Editions : Gallimard - 2018 - 177 pages 

Le beau portrait, intitulé "La petite fille assise", qui figure sur la couverture  de ce livre  est l'oeuvre d'Augusto Schiavoni (1893-1952). Celui-ci aux côtés  d'autres peintres argentins, Candido Lopez, Miguel Carlos Victorica mais également  d'Alfred de Dreux, Gustave Courbet, Hubert Robert, Henri de Toulouse-Lautrec, Foujita, Le Greco, Rothko, constituent la galerie personnelle de Maria GAINZA, historienne et critique d'art.

Chapitre après chapitre, elle nous révèle son contenu,  tout en nous renvoyant aux événements les plus marquants des différentes étapes de sa vie qui leur sont liées, construisant ainsi une "fiction autobiographique", étrange, savante et réjouissante à la fois.

Cette descendante d'une famille aristocratique sur le déclin, dotée depuis l'enfance d'un caractère pour le moins bien affirmé, qui lui a valu  et lui vaut encore, d'entretenir des relations toujours intenses et souvent conflictuelles avec ses plus ou moins proches, sait également poser sur les tableaux  un regard personnel fait d'érudition, de sensibilité et d'un refus affirmé du discours abscons, qui parfois accompagne l'art et sa critique.

Cela nous vaut d'hilarantes anecdotes, comme cette visite, pour deux clients américains,  d'une collection privée,  qu'elle doit faire, après avoir été trempée par l'orage, "en pantoufles blanches poilues", fournies généreusement par l'acide propriétaire, dont le nez aquilin semble aussi tranchant que les paroles.
Mais également de  rapides biographies,  des descriptions personnelles, sans traces de didactisme,  qui m'ont appris beaucoup et qui replacent tel ou tel à sa juste place, sans céder au respect dû aux vaches sacrées de l'époque.

"Rousseau ( Le Douanier*) n'était pas un artiste naïf mais un homme supérieur avec de bonnes raisons de se tenir à distance : il s'était rendu compte que l'air de son ciel mental était plus pur que l'atmosphère raréfiée qui flottait dans les salons de l'avant-garde...
D'un point de vue artistique, les avant-gardes ont pris plus de Rousseau que lui d'elles : on aurait pu s'attendre  à ce que le nouveau adopte à un moment donné les tics des maîtres des lieux (Picasso en premier lieu*), mais il n'en fut jamais ainsi, loin de là".


Le Douanier Rousseau : "La Guerre" (vers 1894). Musée d'Orsay. Paris.


Avec son regard aiguisé, elle nous apprend aussi à aiguiser le notre, nous donnant au passage, la clé de sa démarche.

A propos de cette "Petite-fille assise", dans laquelle elle s'est reconnue au même âge, elle écrit :

"J'étais comme ça à onze ans, les yeux écartés, glacials comme la pointe d'une aiguille, la mine renfrognée, le menton frondeur... Je sais que les raisons qui m'ont poussées vers ce tableau seraient irrecevables aux yeux de l'académie, cette maison aux esprits où règne la peur d'en être exclu, mais au bout du compte les oeuvres réussies ne sont-elles pas des miroirs en miniature ? Une oeuvre réussie ne transforme-t-elle pas la question : "que se passe-t-il ?" en "que m'arrive-t-il ?". Toute interprétation n'est-elle pas une autobiographie ?"


Elle nous invite ainsi à parcourir les musées avec un autre regard, plus conscients peut-être de nos propres réactions et de ce qu'elles impliquent dans notre perception des oeuvres d'art.




Mark Rothko. "Light red over black" (1957)

Source : en-attendant-nadeau.fr

Moins sérieusement, le charme de ce livre,  tient également à l'ironie mordante de  l'auteure, qui émaille son texte de phrases assassines d'une rare efficacité.
Pourquoi, dans ces conditions, au lieu de traduire simplement le titre original - "El Nervio Òptico"-qui correspond si bien au ton de l'ouvrage, avoir choisi pour l'édition française ce : "Ma vie en peintures", chargé d'une neutralité bien peu adaptée au caractère de l'auteure, à la cruauté de bon nombre de ses  anecdotes, comme à son style incisif qui nous porte de bout en bout de l'ouvrage ?   
  
 * toutes les indications entre parenthèses  sont de moi