mardi 19 décembre 2017

EN ATTENDANT L'AN PROCHAIN...


En guise d'au revoir temporaire, je vous offre les premières pages du dernier livre* de Françoise Héritier, dont j'ai appris  le décès avec stupeur, le 15 novembre dernier, alors que je l'avais écoutée quelques jours auparavant, avec toujours la même admiration mêlée de plaisir.






"... grelotter d'un coup, et se blottir sous une couverture, accorder du temps et de l'indulgence aux gens pressés et intolérants, se souvenir qu'un camionneur lors de la grande tempête qui coucha tous les arbres de la forêt de Paimpont et d'ailleurs avait vu un groupe de vaches s'envoler dans les airs bien au-dessus de son pare-brise d'après les témoignages publiés par Ouest-France, essayer d'avoir le débit de paroles de la spirituelle et mutine Marie Dubois dans "Tirez sur le pianiste", saliver devant des plats simples tels que de belles tomates farcies ou une brandade de morue ou un hachis parmentier fait maison, faire à quarante ans passés une nouvelle robe à sa poupée chauve début de siècle, trinquer dans un bar de bord d'autoroute avec des chauffeurs de poids lourds, voir des formes étranges dans les nuages ou dans le papier peint ou sous ses paupières pressées avec les pouces, rire au souvenir de la mésaventure de ce jeune-homme en vélo sur une route africaine que freinait par-derrière à coups de patte une jeune lionne facétieuse et qui battait pour le coup des records de vitesse debout sur les pédales, vider discrètement son verre d'un mauvais soda dans un palmier en pot, se battre avec constance avec le pied de chèvre cuit avec son sabot et sa fourrure qui vous échut au hasard du service, sourire aimablement à la personne qui vient de vous parler sans que vous ayez saisi un mot de ce qu'elle a bien pu vous dire, détester le tutoiement d'office, écouter avec tendresse ce vieux monsieur si heureux d'avoir trouvé une oreille accueillante pour pouvoir raconter sa guerre de 14-18 et son évasion miraculeuse...."



Le Collège de France en 1985


Je souhaite à chacun et chacune d'entre vous, de passer de Bonnes Fêtes et de commencer l'année 2018, avec un esprit aussi ouvert que le sien, un humour aussi tendre, une aussi grande  simplicité.


Par contre j'espère que "mauvais soda" et "pied de chèvre cuit avec son sabot et sa fourrure" vous seront épargnés...



*"Au gré des jours" Editions Odile Jacob 2017

jeudi 14 décembre 2017

DE L'ARDEUR







Sous titre : Histoire de Razan Zaitouneh, avocate syrienne
Auteure : Justine Augier
Editions : Actes Sud. 2017. 315 pages.



Il y a des livres difficiles à lire, parce que les faits qu'ils relatent sont si terribles, qu'on du mal à les affronter, mais je pense qu il le faut.
"De l'ardeur" de Justine Augier,  me semble faire partie de ceux-là.

Ce livre qualifié par l'éditeur  de "récit d'une enquête et d'une obsession intime", m'a passionnée et bien souvent bouleversée.
Mais je dois avouer que mon attention s'est beaucoup plus tournée vers l'héroïne bien involontaire de cette histoire et sur le "crime permanent" qu'est devenue  la Syrie,  que sur les questionnements personnels de l'auteure.

L'héroïne, qui justement ne voulait pas en être une et qui pourtant est devenue une icône de la résistance syrienne,  Razan ZAITOUNEH,  est une jeune avocate syrienne, née en 1977,  une militante absolue des droits de l'hommequi a choisi de consacrer sa vie à lutter contre la dictature et pour la dignité et la liberté de tous.

Inspiratrice et co-fondatrice des "comités révolutionnaires de coordination locaux, réseau actif dans la mobilisation et la couverture médiatique des manifestations révolutionnaires"*, fondatrice avec d'autres militants du "Violation Documentation Center" (VDC)  qui documente les crimes commis par tous les belligérants, régime Al- HASSAD en tête, elle n'hésite pas non plus à mettre en place avec ses amis les "Local development small projects supports" et à participer concrètement aux actions de terrain ainsi soutenues, comme balayer les rues après les bombardements, pour dire que la vie  doit continuer et l'espoir malgré tout perdurer.




Razan ZAITOUNEH donc, dans son jean et son T-shirt, cigarette à la bouche, travailleuse infatigable, ayant définitivement répondu "Non" à l'idée de quitter son pays, qui enquête auprès de tous, familles de disparus toutes tendances confondues,  prisonniers torturés, enfermés sans avoir été jugés, relâchés des mois, des années après, sans que rien de ce qu'ils ont vécu ne leur soit jamais justifié, qui ne renonce jamais, qui publie sans relâche textes et vidéos,  qui ne plie pas devant les services plus ou moins secrets qui l'assaillent,  qui reconnaît être gênée par les récompenses qu'elle reçoit, notamment en 2011 (prix Anna Politovskaïa et Sakharov), "parce qu'il vaut mieux ne pas être sollicitée trop souvent et ne pas se disperser", Razan ZAITOIUNEH jugée aussi souvent "peu sympathique" qu' amie exemplaire,  amoureuse des chats, d'un calme, d'un courage, d'une détermination sans failles.


Razan Zaitouneh à quelques jours de son enlèvement

Réfugiée à Douma, banlieue de Damas contrôlée par les groupes armés de l'opposition syrienne, elle est enlevée le 9 décembre 2013, avec trois autres militants,  Waël HAMADA son mari, Samira KHALIL et Nazem el-HAM, dans l'appartement où ils se terraient en continuant leur mission.

lls n'ont, bien sûr, jamais été retrouvés.

Beaucoup pense que les responsables de cet enlèvement sont probablement des membres de "l'armée de l'Islam", de Zahran Alloush, un des groupes salafistes opposants au régime, d'autres beaucoup moins nombreux des suppôts de celui-ci. 

Il est certain qu'elles et qu'ils  gênaient les deux camps et d'autres encore...




Mon commentaire n'est pas, en fait, un compte-rendu ou une critique de ce livre,  je m'en excuse auprès de l'auteure.

Il me permet simplement , grâce à elle, d'attirer l'attention sur tous les militants et militantes des droits de l'homme syriens, qui se battent  ou malheureusement pour nombre d'entre eux, se sont battus,
pour gagner une liberté qu'ils risquent de devoir  attendre bien longtemps encore,
pour témoigner des horreurs qui se sont passées et se passent encore  dans leurs pays aujourd'hui pratiquement détruit (l'article d'Annick Cojean, "En Syrie, le viol était le maître mot", paru dans "Le Monde" de mercredi 6 décembre en est encore un accablant témoignage), 
dans l'espoir qu'on les entendequ'on les appuie, et que justice soit enfin rendue.

Chacun appréciera comment ils ont été écoutés par les leurs et de quelle manière nous avons répondu à leurs attentes.

* Ziad Majed "L'Orient le Jour"

vendredi 8 décembre 2017

AVEC LES COULEURS ET LES LIGNES...


"Avec les couleurs et les lignes, je voudrais que mon travail soit comme une fleur dans une forêt et un chant d'oiseau en montagne, pour que les visiteurs se sentent apaisés et soulagés. J'ai donc essayé de composer un univers pictural tout en simplicité et sobriété, tout en richesse intérieure, comme au temps des pièces grégoriennes."






C'est en ces termes que l'artiste et moine dominicain d'origine coréenne KIM EN JOONG, définit l'oeuvre qu'il a réalisée entre 2004 et 2008, en collaboration avec les ateliers Loire de Chartres, dans la basilique Saint-Julien de Brioude.
Trente-sept vitraux pour remplacer ceux du XIXe siècle, qui occultaient les baies du narthex et de la nef, depuis les destructions de la Révolution, "l'une des plus importantes créations de ce genre en Europe."






Pas question de didactisme ici, mais le souhait de saisir les âmes, de chercher aussi "à créer une harmonie totale évoquant une continuité du XIe au XXIe siècle."

Bien sûr on est saisi en les découvrant, ébloui aussi par la beauté des couleurs.

Très vite, on perçoit la force de vie qu'ils portent en eux.

Reflets sur les pierres,




reflets sur les murs,


Ajouter une légende


qui animent la basilique, en suivant la course du soleil.

Un lieu rendu vivant en quelque sorte, si loin des atmosphères compassées de tant d'autres  monuments religieux.

Celles et ceux qui souhaiteraient en savoir plus sur cet artiste peuvent consulter ici, le site qui lui est consacré.

Pour moi ce fut un réel coup de foudre.




dimanche 3 décembre 2017

L'ELDORADO POLAIRE DE MARTIN FROBISHER


Auteure : Marie-Hélène FRAISSË
Editions : Albin Michel 2017. 223 pages.

J'ai essayé au moins  à quatre reprises. J'ai commencé un paragraphe, je l'ai repris, je l'ai effacé. J'ai tenté une autre tournure. Et puis je suis arrivée à la conclusion qu'il était inutile que je m'entête, que je n'y arriverais pas, qu'en fait, sans savoir pourquoi, je n'avais pas envie d'écrire cet article.

Pourtant voici un très bon livre, savant, vivant, plein de traits d'humour, qui nous conte l'aventure ou plutôt les aventures de ce Martin FROBISHER (vers 1535- 1594),  mauvais garçon, mauvais époux, colérique, renfermé, violent, cruel, menteur... mais aussi excellent marin et homme de grand courage, qui à trois reprises, 1576, 1577, 1578, prend le commandement de trois expéditions, sensées, tout au moins pour la première, le mener en Chine ou plutôt au Cathey. Pas par la longue route de l'ouest,  que suivent Espagnols et Portugais, mais par celle du nord-ouest, déjà mythique et qui nous fait toujours rêver. Quelques récits, quelques cartes, tous et toutes  aussi improbables, encouragent déjà à le faire.

La souveraine, la grande Elisabeth, agacée au bas mot par l'hégémonie ibérique, accepte d'y mettre quelque argent, des nobles et des négociants en ajoutent beaucoup, aussi prompts à vouloir lui complaire qu'à rêver de bénéfices et de gloire.


Elisabeth Iere. Portrait au tamis. 1583.

Eton College

Trois expéditions de plus en plus coûteuses et trois échecs donc.

Le bilan ?


- Trois pauvres inuits (deux hommes, une femme et son bébé), qui après avoir montré une grandeur d'âme bien supérieure à celle de leurs peu glorieux ravisseurs, mourront, aussitôt le pied posé en Europe, après avoir été exhibés comme des bêtes.

- Une mystérieuse pierre noire, mais brillante, ramassée par hasard,  suivie de tonnes de pierres de même nature arrachées au sol de cette "Meta incognita", au prix de souffrances sans nom,  que des alchimistes de tous bords déclareront aurifère puis, plus justement, sans aucun intérêt.

Source : musée canadien de l'histoire

- Des vaisseaux engloutis.
- Cinq marins a priori disparus, mais ce n'est pas certain.
- Des dizaines d'hommes, noyés, blessés, rendus infirmes et qui n'obtiendront jamais réparation.
- Des négociants ruinés et emprisonnés pour dettes.

Et bien sûr la Chine, jamais atteinte par cette voie, le passage resté secret.

Martin Frobisher souffrira, mais s'en remettra, gagnant dix ans plus tard, un titre et un droit à la postérité dans les combats contre l'invincible Armada.

Les traces de son passage sur la Terre de Baffin, sembleront disparaître, puis réapparaîtront au XIXe et XXe siècles.

Peu de choses certes,  mais des  témoignages de "cette première tentative avortée d'établissements anglais aux Amériques", véritable "matrice de ce qui suivra : rien moins que l'anglicisation du monde, dont nous sommes, qu'on le déplore ou non, toujours partie prenante, en ce début de troisième millénaire."

Cruellement, mais non sans ironie aussi, nous savons aujourd'hui que la Terre de Baffin contient d'énormes gisements aurifères, sans parler du pétrole, du gaz, des diamants, des terres rares repérés dans cet immense "coffre-fort", pour un temps encore pétrifié par la glace.

De quoi faire retourner dans leur tombe le bouillant Martin FROBISHER et ces, pour certains,  très malheureux compagnons.





Bon et bien en fait cet article est écrit, allez savoir pourquoi ?