mercredi 29 mai 2013

ANNA DOROTHEA THERBUSCH

Lorsque l'on visite un musée, l'oeil est souvent attiré plus particulièrement par une oeuvre.
Un format plus grand ou plus petit que de coutume, une couleur étonnante, un détail insolite, parfois tout cela à la fois et nous voilà oubliant le reste, fasciné par un seul objet.

Tel a été le cas pour moi devant ce tableau  qui cumulait un peu tous ces critères : grande taille, tons raffinés et surtout ce bien curieux monocle, qui donne encore plus de caractère au visage de cette femme dont on ne doute pas qu'elle en soit déjà bien doté !

Anna- Dorothea Therbusch. Autoportrait 1777. Gemäldegalerie - Berlin-

Anna-Dorothea THERBUSCH, donc, la voici telle qu'elle a choisi de se représenter à l'âge de cinquante-six ans : robe froissée, cheveux grisonnants retenus à la va-vite, assise sans afféterie, livre à la main et monocle sur l'oeil, certainement pas une gracieuse poupée, mais une femme qui cherche et qui sait.

Mais qui est-elle et quels chemins a-t-elle pris pour en arriver là ?

Née à Berlin en 1721, d'un père portraitiste d'origine polonaise qui lui apprend le métier  dès sa prime enfance, Anna-Dorothea LISIEWSKI, est considérée très tôt comme un prodige, que s'arrache la haute-société.

Si son mariage avec un aubergiste et la naissance de quatre enfants freinent un temps la pousuite de sa carrière, celle-ci reprend dès 1761, lorsqu'elle est appelée à la cour de Stuttgart auprès du duc Carl Eugen Von WÜRTTEMBERG, pour lequel elle peint, dans un délai très court, dix-huit tableaux pour orner la galerie des glaces de son château.
Sa carrière ainsi relancée, elle va d'une cour à l'autre - Mannheim en 1763, Berlin en 1764- engrangeant ainsi reconnaissance et argent.

 Forte de ces appuis elle décide, en 1765 de tenter sa chance à Paris, alors métropole de l'art.
Le succès a-t-il été au rendez-vous immédiatement ? Celui-ci a-t-il été plus long à venir ? Les avis divergent.
Ce qui est certain c'est que DIDEROT joue un rôle important (et ambigu!) dans son parcours, comme en témoignent les huit pages qu'il rédige à son propos dans son "Salon de 1767". 
Celles-ci révèlent tout à la fois :
- le poids des nécessaires recommandations dans le déroulement d'une carrière et DIDEROTs'y prête en l'introduisant auprès de ses nombreux amis et connaissances,
- la difficulté particulière du parcours des femmes , qui souhaitent être reçues à L'Académie Royale de Peinture et de Sculpture et auxquelles peu de choses sont épargnées : mise en doute de leurs capacités voire de leur honnêteté -sont-elles bien les auteures de ces oeuvres ?- , cantonnement aux seules scènes de genre, quand ce n'est pas acceptation du rôle d'objet sexuel que l'on attend d'elles.

"Ce n'est pas le talent qui lui a manqué pour faire la sensation la plus forte dans ce pays-ci. Elle en avait de reste. C'est la jeunesse, c'est la beauté, c'est la modestie, c'est la coquetterie. Il fallait s'extasier sur le mérite de nos grands artistes ; prendre de leurs leçons, avoir les tétons et des fesses et leur abandonner."

- ... et la duplicité même  de notre encyclopédiste, n'hésitant pas à se déshabiller complètement devant elle, alors que posant pour elle elle lui demande de voir... son cou.
Nullement déstabilisée, elle continua de peindre un tableau aujourd'hui disparu, mais le portrait (en buste !) de DIDEROT nous est parvenu grâce à la gravure de BERTONNIER réalisée en 1821.
Curieux épisode, surtout d'avoir été raconté et utilisé à des fins très discutables !



Quoi qu'il en soit c'est bien en tant qu'Académicienne qu'Anna-Dorothéa THERBUSCH quitte Paris en novembre 1768, poussée au départ par des difficultés financières, laissant derrière elle, toujours selon DIDEROT, nombre de créanciers furieux, que doit calmer "le pauvre philosophe", qui ne voit plus en elle que "l'indigne prussienne."  

De retour à Berlin, elle est accueillie à bras ouverts à la cour de Prusse, où FREDERIC LE GRAND devient son mécène. Il lui demande de réaliser des scènes mythologiques pour le nouveau palais de Sans-Souci et se laisse peindre par ses soins grandeur nature.
Bientôt toute la cour et la bourgeoisie berlinoises, se l'arrachent, lui donnant ainsi l'occasion de réaliser de nombreux portraits, dans lesquels la réalité psychologique l'emporte sur les conventions.

A- D. Therbusch. Portrait  de Henriette Herz 1778. 
Gemäldegalerie - Berlin-


C'est également à Berlin qu'elle meurt le 9 novembre 1782, à l'âge de 61 ans.

En écrivant cet article je voulais essentiellement attirer l'attention sur une de ces nombreuses artistes dont on garde si mal le souvenir.
Je n'ai trouvé que très peu d'informations en français sur Anna-Dorothéa THERBUSCH.
Ce que j'ai appris (péniblement!) provient presque exclusivement d'un livre de Gottfried Sello : "Malerinnen aus vier Jahrunderten" et surtout d'un article  fouillé et passionnant de Bernadette Fort "Indicting the Woman Artist : Diderot, le Libertin, and Anna Dorothea Therbusch"que vous pouvez trouver ici.
Son analyse, qui présente le texte de Diderot comme l'exemple même de la critique artistique orientée (négativement !) par le genre, mérite largement qu'on s'y attarde.
J'attends avec impatience, la parution d'une biographie qui libère Anna Dorothea Therbusch d'un poids qui l'écrase encore (une pièce d'Eric Emmanuel Schmitt et un film de Gabriel Aghion intitulés "Le libertin"  perpétuent aujourd'hui encore le portrait qu'en a donné Diderot)  pour qu'elle puisse et son oeuvre avec elle trouver sa juste place.

jeudi 23 mai 2013

LES FORÊTS DU MAINE






Titres originaux : "Knaadn, and the Maine Woods", 1848 
                              "A Walk to Wachusett", 1843 / 
                              "The Succession of Forest Trees", 1860
Auteur : Henry David THOREAU
Traduction et présentation : Thierry GILLYBOEUF
Editions : Payot et Rivages  - 2012 - 217 pages-

Que diriez-vous aujourd'hui d'un grand bol d'air en excellente compagnie ?
Deux grands bols et un moment de réflexion en fait, puisque ce livre regroupe trois textes de Thoreau :
Le  récit de deux excursions qu'il fit la première, en 1842 la seconde quatre ans plus tard, jusqu'au sommet des monts Wachusett et Katahdin , et un texte plus scientifique tiré de ses observations de terrain, sur "La succession des arbres en forêt".



Parce que cette randonnée fut la plus longue et la plus propice à la rédaction d'un texte fourni, c'est par la seconde excursion que le livre commence et d'une certaine façon je trouve que c'est dommage car elle écrase un peu la précédente devenue la deuxième (vous me suivez toujours ?), pourtant pleine de charme. 
Dans l'une comme dans l'autre, cependant nous retrouvons les mêmes ingrédients : joie de vivre et de marcher, passion de la nature, sens aigu de l'observation, conscience d'un monde splendide et déjà menacé, le tout baignant dans une ironie tendre et un humour souriant.

Comment ne pas aimer ce monde où la route longe la nature sauvage : 

"La route elle-même était d'une beauté remarquable. Les différents conifères, dont la plupart étaient rares chez nous,..., la longeaient, par endroits, comme un long jardin qui aurait poussé sur les talus  d'herbe qui la bordaient sans interruption et que la pluie aurait fertilisé ; mais il y n'y avait  qu'un pas de chaque côté jusqu'à la nature sauvage et menaçante, dont seuls le daim, l'orignal, l'ours et le loup réussissaient facilement à pénétrer dans le labyrinthe enchevêtré d'arbres vivants, tombés ou en décomposition." 



Comment ne pas regretter que tant de beauté soit réduite à néant pour un si piètre usage :

"Songez au pin blanc qui se dresse sur la rive du Chesuncook, avec ses branches qui murmurent aux quatre vents et chacune de ses aiguilles qui tremble au soleil -et voyez ce qu'il est advenu de lui à présent : vendu peut-être à la Compagnie d'allumettes à friction de Nouvelle-Angleterre."

Comment ne pas être curieux de la vie de ces hommes, fixés au milieu de nulle part "pour produire de quoi sustenter les bûcherons" et eux-mêmes,  dans leurs demeures bien tenues, pleines de livres, et de meubles ingénieux, où vient même parfois de se fixer  "une nouvelle mariée venue de Boston tout à fait novice dans ces bois".

Le fauteuil-table des pionniers.


Comment ne pas penser aussi à ceux qui les ont précédés, "le visage rouge de l'homme" qui "remonte le Millinocket en glissant et disparaît ...", laissant derrière lui ses descendants avilis.

Comment ne pas comprendre enfin que les dés sont jetés, que Boston et New-York ont déjà gagné quand dans ces lieux reculés on voit "notre hôte nous tendre le journal de notre village, comme si le plus grand charme que ce pays pût offrir au voyageur étaient les facilités de communication avec la ville".

Mais pour l'instant, on peut encore rêver et admirer, s'incliner même, une fois le sommet atteint, devant "la Nature immense, titanesque et inhumaine."


Revenu à Concord, il ne s'agit plus, dans le dernier texte, de nature inhumaine mais plutôt d'une nature ingénieuse, dont le geai bleu et l'écureuil sont les fidèles auxiliaires.



D'après Thoreau il suffit d'observer pour comprendre  et  puis reproduire. 
Une courte leçon de modestie, dont on ferait bien de s'inspirer encore.

J'espère que comme moi vous vous laisserez prendre aux charmes  de ce livre vivifiant. 
En le refermant on a juste envie envie de préparer son sac pour le Maine ou ailleurs et  de remercier le guide lettré et amical qui nous a offert ce bon moment de paix et de sérénité. 

dimanche 19 mai 2013

BAROQUES


Avant d'entamer cette journée avec la passionnante Isabelle RIVE, je ne me doutais pas que les austères églises du Queyras, contenaient autant de surprises.


Eglise Saint-Laurent -Arvieux-  Hautes-Alpes. France

Eglise Saint-Pierre -Abriès- Hautes-Alpes. France

Eglise Saint-Véran -Saint-Véran- Hautes-Alpes. France

Eglise Saint-Romain -Molines en Queyras. 
Hautes-Alpes. France





















Voûtes peintes,


Saint-Pierre d'Abriès -Abriès-  Hautes-Alpes. France

retables surchargés,


Eglise Saint-Laurent -Arvieux-  Hautes-Alpes. France

pilastres rutilants,


Eglise Saint-Romain -Molines en Queyras. Hautes-Alpes. France

monstres menaçants,


Eglise Saint-Véran -Saint-Véran- Hautes-Alpes. France

une véritable débauche de séraphins et de chérubins éclatant de dorures,


Eglise Saint-Véran -Saint-Véran- Hautes-Alpes. France

tout l'attirail de la contre-réforme et de son bras armé, le baroque, pour réaffirmer la puissance d'une église catholique un peu oubliée dans ces hautes-vallées qui avaient si bien su accueillir les Vaudois.

mercredi 15 mai 2013

LA FEMME QUI TREMBLE

"Une histoire de mes nerfs"



Titre original : "The Shaking Woman or a History of My Nerves" -2009-
Auteure : Siri HUSTVEDT
Traductrice : Christine LEBOEUF
Editions : Actes Sud-Babel -2010- 257 pages


Siri HUSTVEDT,  grande migraineuse depuis l'enfance et de ce fait victime de la"divine exaltation", des scintillements des trous noirs voire des hallucinations visuelles, qui précèdent ou accompagnent ces crises douloureuses a 51 ans , quand, en 2005, deux ans et demi après la mort d'un père qu'elle chérissait, elle s'apprète à prendre la parole pour lui rendre hommage, au pied du sapin qui a été planté à sa mémoire.
Famille, amis, anciens collègues l'entourent, dans cette ville où elle est née et où elle a passé son enfance. Un moment émouvant, certes, mais pas particulièrement effrayant a priori, pour une intellectuelle de sa trempe, qui a l'habitude de s'exprimer en public.
Pourtant à peine les premiers mots prononcés, et sans que sa voix en soit altérée, elle se met à trembler violemment du cou jusqu'aux pieds. Ces tremblements ne cesseront qu'une fois le dernier mot prononcé.
Devant la récurrence du phénomène, qui la fait  de manière angoissante, se découvrir dédoublée sans pouvoir rien contrôler, déjà portée par une curiosité initiale, devenue passion impérieuse pour "tout ce qui touche [son] propre système nerveux",  elle décide, faute de pouvoir guérir, de chercher à comprendre son mal.

 "Qui sommes-nous ?...
  Qu'est-ce que le corps et qu'est-ce que l'esprit ?...
  Chacun d'entre-nous est-il singulier ou pluriel ?...
  Comment nous souvenons-nous des choses et comment les oublions-nous ?...
  Comment lisons-nous un symptome ou une maladie ?..."
telles sont quelques unes des questions que Siri HUSTVEDT, se pose.

Pour y répondre, elle convoque tous  ceux qui se sont interrogés sur nos cerveaux, de Galien, le médecin de l'empereur Marc-Aurèle aux  neurologues psychiatres, psychanalistes, neuro-psychiatres contemporains qu'elle consulte de manière fictive ou réelle ; lectrice boulimique elle interroge tous les écrits qu'elle a  pu étudier et qu'ont produits scientifiques ou philosophes ; elle n'oublie pas son histoire et fouille dans son passé pour confronter ces théories à ses expériences personnelles,  lointaines ou proches, ou à celles des "individus, atteints de maladies complexes" auprès desquels, depuis des années, elle anime un stage d'écriture dans une clinique psychiatrique ; elle se soumet enfin à tous les examens qui lui sont prescrits et teste différentes molécules. 
En vain ou presque, le mystère reste entier. 

Je dois l'avouer tout de suite cet essai ne se lit pas comme un roman et m'a donné parfois du fil à retordre !
J'ai été gênée, par l'absence de chapitres : 257 pages d'une seule traite sur un sujet ardu font souhaiter quelques pauses ! J'ai été également parfois accablée par autant de références dans des domaines que je suis loin de bien maîtriser.

Cependant par beaucoup d'aspects ce livre m'a aussi passionnée :
Parce qu'il nous permet de partager les expériences douloureuses et déconcertantes d'un autre être humain, parce qu'il nous renvoie à nos propres troubles et à la façon dont nous essayons de les juguler ou de nous interroger à leur sujet, parce qu'il soulève un coin du voile sur les mystères de nos  cerveaux, de nos pensées, de nos cultures et nous fait découvrir toutes les stratégies que nous mettons en place pour faire face à la souffrance et à la perte d'une partie de soi ou à celle d'un autre.
On y trouve également une belle leçon de vie : comment apprendre à vivre, avec la douleur, comment accepter de ne plus y porter trop d'attention, pour ne pas l'exacerber.
Accepter en quelque sorte d'être aussi "la femme qui tremble".

dimanche 12 mai 2013

DRÔLE D'OISEAU !

Protection des abeilles oblige, nous avons soigneusement laissé les pissenlits envahir notre jardin.
Mais visiblement elles ne sont pas les seules à les apprécier !
Durant une bonne heure ce chardonneret nous a donné un bien curieux spectacle :

Acte I  :
Il se pose sur une tige de pissenlit , en arrache et en mange consciencieusement les graines :


Acte II : 
Cela doit être un travail bien fatigant car, toujours sur la même tige, il glisse sa tête sous son aile et pique un petit somme.


Acte III :
Il change de tige et recommence son manége :


Acte IV :
suivi d'une nouvelle petite sieste...


Acte V :
Puis lassé des pissenlits et constatant que la mangeoire hivernale est fermée pour l'été,


Il s'envole !

mercredi 8 mai 2013

L'ATELIER DES STRESOR



Auteure : Cécile OUMHANI
Editions : Elyzad -2012- 160 p


Juste quelques traces.

C'est tout ce qu'il reste de l'oeuvre d'Henry STRESOR et de celle de sa fille Anne-Renée,  pourtant l'une des très rares femmes admises à l'Académie Royale de peinture  et de sculpture, dans cette seconde partie du XVIIème siècle.
Peu d'images, quelques textes, souvent difficilement lisibles, et c'est tout.

C'est pourtant à partir de ces petits riens, que Cécile OUMHANI, a écrit  ce beau roman.
Deux parties, l'une pour évoquer le père, l'autre  pour rappeler la fille, tous deux liés, au-delà de leur amour réciproque et de leur passion pour la peinture,  par une culpabilité tue et pourtant partagée.
S'il était revenu comme il l'avait dit en juin à Magdebourg, si elle avait fait preuve de plus de sollicitude...

Car leur parcours est différent et semblable, marqué par l'exil, subi et choisi : la guerre de Trente ans pour le père,  la disparition de toute sa famille, son choix de rejoindre Paris et l'atelier des frères Le Nain, son installation chez le jovial Louis Buart maître-peintre et chanteur, son succès et son bonheur, sensés compenser la perte d'une famille victime de la peste, d'un pays ravagé, d'une langue et d'une religion considérée hérétique.
Une vie chaleureuse pour la fille, la joie d'être élue par son père qui lui enseigne son art mais lui tait tout son histoire, un succès exceptionnel qui comble ses parents mais l'éloigne de ses amis, les joies de la vanité et de l'amour,  le rejet aussi par crainte d'une mésalliance, pour finir l'enfermement volontaire dans un couvent et le besoin de s'y consumer.


Louis Le Nain -"La visite chez la grand-mère"


Pour parler de ces êtres, sensibles et tourmentés Cécile OUMHANI a choisi un beau parti : un plan simple, une succession de tableaux - chaque scène en est un au sens pictural du terme, un beau style, classique, riche de mots anciens qui parfois interrogent mais charment toujours.

Tout a été ressenti ici et ce qui est écrit a d'abord été vu, senti, touché entendu, goûté :

"Les ruines, les gibets, les cadavres et la mort, il les a laissés là-bas sur une autre rive. Les sinistres bouffées d'avant, il les a éloignées en respirant à pleins poumons l'odeur des pigments de l'atelier. La griffe osseuse de la vieille voisine et son récit funèbre, il les a repoussés dans son sommeil, en noyant sa tête dans la chevelure de Catherine endormie. Le silence mortel des rues de sa ville s'est fondu dans une épaisse nuit, éclipsé par le souffle de Catherine à son oreille, la chaleur de son ventre contre le sien."

Pour finir un bel objet : couverture attrayante, papier épais, mise en page claire, belle typographie...
Vraiment que demander de plus ? 

mercredi 1 mai 2013

UNE TRISTE NOUVELLE


Cliché : Photo club de Montreuil

La conteuse, chanteuse, auteure haïtienne, Mimi BARTHELEMY est décédée le 27 avril dernier, à Paris.

Elle contait en français et en créole haïtien "dans le souci de transmettre ce qu'elle a reçu en partage et d'en être témoin à part entière au sein de la francophonie".*

Elle avait publié de nombreux ouvrages pour la jeunesse, en France, en Haïti, au Canada. 
Elle dirigeait également la collection "Les petites histoires du monde" aux Editions Vents d'ailleurs.

Catherine Bayle,  qui avait publié avec elle deux ouvrages ,"La Création de l' île de la tortue" et 
"Les perles de Zima" a eu la gentillesse de m'en informer.


Elles avaient commencé ensemble à travailler sur un nouveau livre, que malheureusement, nous n'aurons pas la joie de lire à nos enfants, petits-enfants, arrière-petits enfants...

*People Bo Kay

CHRONIQUE D'HIVER




Titre original : "Winter journal" - 2012 -
Auteur : Paul AUSTER
Traduction : Pierre FURLAN
Editions : Actes Sud/Leméac - 2013- 252 pages


Devant ce fait incontestable : il n'est plus jeune, soixante-quatre ans, au moment où il achève ce manuscrit, Paul Auster choisit de faire un retour sur sa vie en empruntant un chemin original, les sensations, toutes celles  "qui viennent de vivre dans ce corps depuis le premier jour" où il s'est senti vivant, jusqu'à aujourd'hui.

Elles sont nombreuses ces sensations : "plaisirs physiques et douleurs physiques",  plénitude  du sommeil enfantin, ivresse  de la bagarre et des jeux,  piqûres horribles des guêpes ou des frelons,  baisers donnés et reçus, extases rêvées puis vécues, mais aussi paroles restées gravées dans sa tête et son coeur, sonneries de téléphone qui ont bouleversé sa vie, malaises violents qui l'ont projeté à terre, et tant d'autres qui ont laissé leurs traces : cicatrices et bosses, dégâts probables et acceptés de l'alcool et du tabac.

Paul Auster, se regarde et se souvient, convoque les images des pays où il a vécu, dont la France, des vingt-et-un appartements et maisons qui l'ont accueilli, évoque ceux qui l'ont marqué, ceux qu'il a aimés ou qui l'ont aimé : inconnus, amis, amantes, tante détestable, cousine secourable,  parents mal-assortis et beaux-parents unis, fils espéré, fille admirée et bien sûr "l'Unique", rencontrée "le 23 février 1981", la femme qui est avec lui depuis ce soir-là. 

Il est tout çà, comme il est, suppose-t-il "le résultat de vastes migrations préhistoriques, de conquêtes de viols et d'enlèvements," le descendant de juifs d'Europe orientale à la progéniture si diverse, qu'il a décidé "en toute conscience d'être tout le monde, d'englober tout le monde" afin d'être "pleinement et plus librement" lui-même. 

C'est un livre d'un charme rare que celui-ci : parce qu'on y découvre un homme sensible et honnête qui se remémore et regrette ses lâchetés, qui pose sur le monde et les autres un regard aigu et tendre, qui sait dire qu'il a aimé et qu'il aime.

Pour peu que l'on ait son âge ou presque, s'ajoute le plaisir des souvenirs partagés.  Le "tu" avec lequel il s'interpelle nous interpelle  tout autant.

Comme  lui on sait qu' "une porte s'est refermée. Une autre s'est ouverte". 
Ensemble nous sommes entrés dans l'hiver de nos vies. 

Heureusement, il y a aussi de belles journées d'hiver en attendant, de "mourir aimable (si l'on peut)."