Titre original : "The magic barrel" - 1958 -
Auteur : BERNARD MALAMUD
Traduction : Josée KANOUN
Editions : Payot & Rivages -2018 - 265 pages.
Quittant la Russie tsariste et même plus largement l'Europe et leurs persécutions antisémites, dont nous constatons malheureusement chaque jour l'incroyable retour, Bernard Malamud, nous entraîne aujourd'hui, dans ces treize contes, à regarder ce que sont devenus, ceux qui ont quitté ces terres inhospitalières pour venir s'installer et faire souche, de l'autre côté de l'Atlantique.
Pas question pour lui de nous raconter leurs vies en détail. Il lui suffit, la plupart du temps de les saisir à un moment de leur existence, très court ou un peu plus long, déterminant dans leurs parcours. Ces moments où tout bascule, pour le meilleur ou pour le pire, sans qu'on puisse, pas plus que le héros, comprendre pourquoi cet incident, cette rencontre, vont avoir un tel poids dans leur vie.
C'est ainsi que nous faisons la connaissance de toute une troupe d'hommes et de femmes qui ont pour points communs, d'être juifs, plus ou moins âgés, pauvres quand ce n'est pas miséreux, exerçant ou ayant exercé des métiers modestes : cordonnier, mireur d'oeufs, épiciers, boulangers, des gens qui ont travaillé dur pour en tirer peu de choses. Cinq personnages de la génération suivante, qui témoignent déjà d'une première ascension sociale, font exception par l'âge ou le statut : un jeune-homme qui cherche du travail, deux universitaires partis pour l'Italie, un chef de rayon de chez Macy et un presque rabbin.
Tous, comme tout le monde, cherchent quelque chose : bien marier sa fille, vivre sa vieillesse en paix dans son logement, avoir un petit travail pour ne pas dépendre de ses enfants, être reconnu par le quartier, trouver l'amour ou la paix, faire du bien.
Beaucoup gardent au fond des yeux une tristesse indicible tout en restant tournés vers la vie.
Bernard Malamud décrit ce monde de cruauté et de tendresse, entre réalité et fantastique, en quelques mots, qui campent le plus simplement et le mieux possible ambiances et personnages.
Ainsi en est-il du début du premier conte :
"Le cordonnier haussa les épaules et continua de contempler par la fenêtre à demi envahie de givre une bruine de neige qui floutait la vision, en ce mois de février. Ni le blanc halo mouvant ni le souvenir résurgent du village polonais où il avait gâché sa jeunesse ne parvenait à le distraire de Max l'étudiant..."
Ou de cette description du boulanger, attiré par une voix sortie du passé :
"Attiré comme par magie dans la boutique par la voix, le boulanger parut dans leur dos, en maillot de corps. Ses bras roses et charnus avaient plongé dans la pâte jusqu'au coude. En guise de couvre-chef, il portait crânement un sachet en papier d'emballage enfariné. Ses lunettes de vue étaient embuées d'un voile de farine ainsi que son visage respirant la curiosité..."
Comment mieux évoquer également le pain au parfum de miel que celui-ci fabrique et qui n'est rien d'autre que "l'oeuvre des pleurs" :
"Trente ans durant, expliqua le boulanger, il n'avait pas eu un sou vaillant. Au point qu'un jour, dans son malheur, il avait pleuré sur la pâte. Depuis son pain était si bon qu'il lui attirait des clients de tous côtés".
Et que dire des songes du presque rabbin, qui pour échapper au malaise que la présence du marieur exerce sur lui, contemple le ciel par la fenêtre ?
"On était encore en février mais l'hiver rendait les armes, ce dont il voyait les signes pour la première fois cette année. Il observait la blanche lune toute ronde vagabonde haut dans le ciel parmi sa ménagerie de nuages et la regarda bouche bée pénétrer une énorme poule et sortir d'elle comme un oeuf qui se serait pondu tout seul".
Ainsi, peu à peu, nous laissons nous saisir par ce monde concret et mystérieux à la fois jusqu'au moment où un mot, une phrase retournent brusquement la situation, nous laissant étonnés, déstabilisés, parfois même un peu hagards, mais toujours enchantés.
"Considéré par Philip Roth comme un chef-d'oeuvre fondateur, ce recueil est un classique en Amérique."
On comprend vite pourquoi.
L'idée d'en faire des contes semble excellente et ôte probablement une partie du tragique. Je note bien sûr, merci, les extraits que tu as mis sont si précis, beaux, poétiques, tristes..
RépondreSupprimerBonne semaine Annie.
Merci, Colo. Oui, j'ai été très frappée par le style de ces nouvelles. Je trouve qu'en quelques mots tout est dit. Le boulanger est devant nous, la neige tombe .... Quant au pain des pleurs comment faire plus bref et plus profond ?
SupprimerSouvent je me suis surprise à avoir envie de lire le texte à haute-voix, comme pour un conte.
Bonne fin de semaine à toi également.
Depuis ton premier billet, j'ai noté cet auteur à découvrir. Je crois que tu viens de me dire avec quel titre.
RépondreSupprimerJe pense que c'est en effet la meilleure manière de commencer. Rien d'aussi dramatique que "L'Homme de Kiev", mais un mélange de bonté et de tristesse tout à fait poignant. Bonne lecture, Maryline.
SupprimerUn auteur que je connais seulement de nom. Ton billet me donne très envie de le lire prochainement. (Aifelle)
RépondreSupprimerN'hésite pas, Aifelle ! Cela a été pour moi une très belle découverte et je pense qu'il en sera de même pour toi. Passe un bon week-end.
Supprimerj'ai noté grâce à toi l'ensemble des titres qui ont été republiés, cela fait une jolie série
RépondreSupprimermanifestement ils valent la peine, alors ils font partie de mes lectures à venir et je m'en réjouis à l'avance
J'en suis heureuse pour toi, Dominique. Heureuse également de savoir que mes articles t'ont donné envie de lire cet auteur. J'ai fait tant de découvertes grâce à toi. Bon week-end.
SupprimerJe ne connaissais pas non plus; merci pour la découverte!
RépondreSupprimerJ'espère en effet faire des adeptes et que les articles des unes et des autres élargiront vite le lectorat. Bonne lecture, Eimelle !
SupprimerTu n'as pas tardé à prolonger cette rencontre littéraire. Je vais chercher ces contes, l'éloge de Philip Roth aidant. Bon dimanche, Annie.
RépondreSupprimerEn effet, j'avais été séduite par l'émission dont j'ai parlé et la lecture de "L'homme de Kiev" avait parachevé mon désir de lire Malamud. J'espère que cela te plaira. J'attends avec impatience ton article. Bonne semaine, Tania !
SupprimerJe me rends compte que j'aime beaucoup les récits qui ne sont pas simplement réalistes mais qui possèdent aussi une sorte de fantastique qui leur donne beaucoup de poésier, ainsi cet homme qui pleure sur la pâte de son pain.
RépondreSupprimerComme toi, cette image m'a beaucoup touchée. Je pense que ce livre te plairait car en effet on passe de la réalité à "autre chose", parfois du fantastique, des fois quelque chose de moins marqué, un peu dans le rêve...
SupprimerMalamud est moins bien connu pour un maître de la nouvelle. Je note, merci pour ce bon billet illustré de citations bien choisies.
RépondreSupprimerMerci à vous ! Je ne le connaissais pas mais cela a été pour moi, qui par ailleurs préfère en général les "gros" ouvrages", une véritable découverte.
RépondreSupprimerMoi aussi je ne connais pas cet auteur mais je vois que tu l'as bien adopté puisque c'est le second que tu présentes ici. Encore un nom à retenir !
RépondreSupprimerC'est vraiment un auteur à découvrir. Les deux livres que j'ai lus sont très différents mais tout aussi beaux l'un que l'autre.
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