mercredi 23 janvier 2019

YAAK VALLEY, MONTANA






Titre original : "Fourth of July Creek"- 2014 -
Auteur : SMITH HENDERSON
Editions : Belfond. 10/18; -2016 - 641 pages

Si vous pensez en regardant cette couverture et ce titre, que je vais vous parler à nouveau des beautés de la vallée du Yaak et de ses habitants, écolos militants toujours sur la brèche pour défendre leur vallée, détrompez-vous ! Ce n'est qu'un truc d'éditeur pour appâter le chaland ! 

Ici la vallée du Yaak, n'est qu'un cadre, les enfants ne sont pas proprets et les adultes, "de parfaits anarchistes", plus portés sur l'alcool, la drogue et la paranoïa que sur la défense de l'environnement.

Pete, dans la trentaine est assistant social, comme l'a été l'auteur. Une rareté. Comme il le dit lui-même : "On est plutôt des femmes d'habitude"
Divorcé et père de Rachel qui veut être appelée Rose, une gamine frêle au tout début de l'adolescence, il s'inquiète de la voir partir au Texas avec sa mère, dont il n'ignore pas les failles. 
Ce n'est pas son seul souci.  Son frère, Luke, en probation, vient de tabasser son référent et a pris la fuite, Pete a lui-même coupé ou presque tout lien avec son père, son travail ne le conduit que dans des familles dysfonctionnelles : pères absents, mères droguées, jeunes en révolte, enfants terrorisés qui espèrent trouver en lui la planche qui ferait leur salut. Même sa petite amie a un passé bien lourd. Lui-même vit seul dans sa cabane et boit beaucoup trop. Assez pour déprimer.

La rencontre fortuite dans une école, avec Ben un gamin souffreteux, dépenaillé, visiblement perdu et son désir de l'aider, vont le conduire jusqu'au père, Jeremiah Pearl, une sorte d'illuminé qui applique à la lettre le conseil de Thoreau, qui figure en exergue du livre :

"Si je tenais pour certain qu'un homme se rendait chez moi dans l'intention délibérée de faire mon bien, je m'empresserai de fuir."

Jeremiah, s'il fuit, menace auparavant, n'hésitant pas à saisir son arme.

La découverte par Pete de mystérieuses pièces percées va rendre sa tâche encore plus complexe.
Bientôt tout va s'accélérer, le conduire sur les routes du nord au sud du pays, le plonger dans la l'angoisse, lui faire découvrir la folie, le faire basculer du côté des coupables, lui faire comprendre aussi, dans la douleur, que chacun a sa vie

Vous l'aurez compris c'est un roman noir et haletant, un roman du côté des perdants. La brutalité règne ici en maître. La tendresse affleure souvent. Tout est rendu dans un style cinématographique qui laisse peu de choses de côté.
Les chapitres, qui égrainent les rapports de Pete et de ceux dont il a la charge, alternent avec de mystérieux interrogatoires durant lesquels, quelqu'un, qui s'enquiert de Pete et de sa fille, interroge un autre, qui a suivi l'histoire.
Le constat est cruel pour tous. Seuls les Cloninger qui accueillent sans barguiner tous les éclopés que Pete leur confie, apparaissent comme un point stable dans ce monde. Les liens que Pete arrivent à nouer avec Ben et Cecil, un gamin marqué à vie par la déchéance de sa mère, sont réels mais fragiles. Ceux avec sa fille encore plus.
Si l'amour est présent, ses formes sont le plus souvent déviantes,  quant à l'espoir il reste suspendu.

Un livre poignant.

"Pete s'assoit sur une  banquette  près de la vitre. Il promène distraitement sur la table un nickel frappé d'une croix gammé quand la serveuse vient enfin lui apporter un verre d'eau, des couverts et un menu.
Elle observe les infirmiers en train de charger la victime à l'intérieur de l'ambulance.
"Paraît qu'il est mort.
- Je crains que oui, en effet.
- Ca me donne envie de cracher par terre.
- Je parie que vous pouvez faire mieux que ça."
La vie ne l'a pas épargnée - ça se voit aux signes de l'âge qui marquent son visage, à son front creusé de sillons - mais la réflexion de Pete lui arrache un sourire rare. Il a identifié cette femme, une vérité profonde inscrite en elle, et elle se sent valorisés d'être regardée ainsi, de sentir sa force de caractère reconnue.
"Oh oui, bien mieux que ça, Qu'est-ce que je vous sers, joli coeur ?""

21 commentaires:

  1. Ah il est en poche! Exact, on n'est pas dans 'la belle nature', c'est une histoire plutôt rude

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    1. Tout à fait, mais c'est bien intéressant de découvrir l'autre visage de cette belle vallée !
      Annie

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  2. ah et moins qui me faisait une idée idyllique de cette vallée !!!

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    1. Moi aussi, d'où mon étonnement un peu triste. Ce livre est l'envers du décor mais pose aussi la question de notre façon de voir le monde chacun dans son groupe social : nous ne voyons toujours les choses que par un bout de la lorgnette... La réalité est complexe, c'est ce que nous oublions toujours !

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  3. Cela donne donc une toute autre vision du lieu que Rick Bass !

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    1. Oui, assez radicalement opposée ! Comme je le dis en réponse à Dominique, la réalité est complexe : les grands espaces attirent les amoureux de la nature comme les opposés à tout qui peuvent s'y réfugier ...

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  4. (je signale juste qu'il me semblait avoir laissé un commentaire keisha (qui passe en anonyme)

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    1. Keisha je n'y comprends rien : je n'ai reçu aucun autre commentaire venant de toi que celui-là. J'ai l'impression qu'il y a un peu de bazar sur blogger en ce moment. Aifelle, de son côté n'arrive pas à laisser du tout de commentaires. J'ai essayé de bidouiller un peu mais visiblement sans résultat. J'espère que les choses vont rentrer dans l'ordre rapidement !

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  5. En lisant le titre, j'ai aussi pensé à Rick Bass, puis j'ai compris que l'approche était nettement moins bucolique... C'est triste et en même temps c'est bien d'avoir ces deux regards.

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    1. C'est en effet beaucoup moins bucolique. Mais c'est aussi ce qui m'a intéressée dans cette lecture : l'envers du décor. Cependant ce livre donne parfois une impression de trop : tous les protagonistes (sauf la famille Cloninger d'ailleurs très peu présente) ont de graves problèmes, les assistants sociaux étant à peu près aussi paumés que les gens dont ils ont la charge. J'ai eu le sentiment que c'était un peu trop.

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  6. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  7. C'est effectivement un roman très noir qui m'a marquée.

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    1. J'ai même eu l'impression qu'il était trop noir !

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  8. Je m'attendais à du nature wrinting en effet. Mais ce que tu dis de ce roman est tentant, dans un tout autre genre (hier j'ai abandonné après 5-6 grilles, aujourd'hui ça passe mieux chez les copines, alors je croise les doigts ...)

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    1. Je suis heureuse de te relire ici, Aifelle et j'espère que ce relatif "mieux" va se confirmer !
      C'est un bon roman en effet... mais je me demande si l'auteur peut encore remettre un pied dans la vallée du Yaak...

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  9. You have found another book from here that I have not heard about and how interesting it sounds! I read at least three newsletters about books and several other book blogs who are from this country and still from across the ocean you find the most intriguing books. I will add Yaak Valley to my list

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    1. I'm happy to help you, Sallie... Pay attention : the title in english is " Fourth of July Creek". I'd be happy to know if you like it.

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  10. Bonjour ! Je suis venue rendre une petite visite matinale et te remercier de tes commentaires réguliers sur mon blog. C'est gentil. Et heureuse de t'avoir appris le mot "impasto" !

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    1. Merci pour ce message qui m'a beaucoup touchée, comme la plupart de tes articles d'ailleurs ! Quant à "impasto", il est à présent bien inscrit dans ma mémoire.

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  11. Pas le genre de livre qui me tente pour le moment, non à cause de la brutalité, mais pour la longueur. Bonne critique partout, semble-t-il, un futur classique ?
    (Je teste la modération en espérant que tout va bien...)

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    1. Je ne pense pas tout de même qu'il deviendra un classique, mais bien sûr je peux me tromper ! Un bon roman par contre c'est certain. Quant à la modération cela semble marcher...

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