C'était ma randonnée préférée. Pas très longue, montant doucement entre torrent et mélèzes, une haute-vallée qui menait à une cascade.
On cherchait des fossiles sur le chemin, on écoutait l'eau qui roulait sur les pierres, on admirait les fleurs, on pique-niquait en regardant les marmottes se faire dorer au soleil, plus loin sur les rochers.
Bien sûr les hommes avaient laissé leurs traces : de gros tas de pierres sur les pentes, parlaient de leur labeur éreintant et de leur modestie.
Une étroite tranchée herbeuse, suivait le sentier du retour, trace d'un ancien canal.
Les lys martagon y poussaient fin juin, mêlés aux myosotis.
On parlait peu, on admirait.
Et puis des "fées" se sont penchées sur la vallée. On n'y a pas pris garde et on a même souri des traces laissées par leur premier passage.
Puis, elles ont persévéré.
Depuis deux ans, elles n'arrêtent plus. Leurs "installations" se multiplient. Des petits panneaux expliquent et nous invitent à réfléchir. On est même gentiment prié de laisser son obole.
Certaines traces, dans un autre complexe ne m'auraient pas déplu.
D'autres me navrent.
Je ris jaune en découvrant ce mur de pixels, "pour défragmenter le paysage au format 16:9" et devant lequel "certains verront même l'occasion de créer des selfies originaux".
Leur accumulation m'exaspère.
La neige a la gentillesse d'en faire disparaître certaines, mais d'autres résistent, polluant le paysage.
En poursuivant je me demande comment j'ai pu prendre tant de plaisir à parcourir ces forêts sans croiser ces "jeux d'enfants",
à regarder ces arbres sans découvrir que "ces derniers ont depuis longtemps internet".
Jusqu'ici je n'avais eu nul besoin de cette truite géante, pour savoir que c'est dans cette boucle du chemin que le torrent se fait entendre à nouveau.
Mais avant, je n'échapperai pas à "ce véhicule tout terrain semblant à l'abandon", "un Hummer", " souvent détesté des randonneurs".
Quelle malignité habite donc son créateur, pour nous le rappeler ainsi, alors qu'aucun "Hummer" n'a jamais roulé sur ces pentes ?
Je n'aime plus ma belle randonnée.
Je ne suis plus en montagne, je suis dans un parc urbain.
Ce n'est pas là que j'ai choisi de vivre.
A-ton vraiment besoin ici d'une "réalité augmentée" ? De ses discours plus ou moins abscons ?
La montagne, ses arbres, ses fleurs, ses animaux, ses brusques variations de temps, ses saisons, ne sont-ils pas suffisants ? Lequel d'entre-nous, en une seule vie, en a-t-il épuisé les richesses ?
Combien de temps faudra-t-il encore pour qu'il en soit ainsi partout ?
Je ne comprends pas.
Heureusement je commence à me faire vieille.
Espérons que la nature saura tout faire disparaître, patience...
RépondreSupprimerC'est mon voeu le plus cher, mais les "fées" s'entêtent !
SupprimerSus aux fées de ce gabarit! Comme je te comprends...ce qui m'échappe c'est le pourquoi. Comme si la nature ne se suffisait pas à elle-même.
RépondreSupprimerJe te souhaite de trouver une balade moins humanisée; et vive l'âge..hum,non?
C'est exactement la question que je me pose : pourquoi ? La seule réponse qui me vienne est : "pour attirer les touristes", dont certains en effet défilent comme en ville... Mais les fidèles randonneurs s'éclipsant je me demande où est le bénéfice.
SupprimerVive l'âge, oui, par ailleurs !
J'aime le land art mais quand il sert à souligner la beauté de la nature, quand il est poétique lui-même. Mais là, il y a des oeuvres détestables le Hummer par exemple, ou celle qui invite à faire des selfie originaux ! Et puis, c'est vrai, il y a en trop ! Je comprends que cela te dérange et d'autant plus que tous tes souvenirs d'enfance sont détruits par cette intrusion.
RépondreSupprimerJ'ai visité de superbes jardins de sculptures, que j'ai beaucoup appréciés, mais ne suis pas certaine d'avoir croisé du land-art tel que tu le définis. J'imagine une touche légère dans un beau paysage. Aurais-tu quelques exemples à me citer pour que je me fasse une idée plus juste ? Je t'en remercie par avance.
SupprimerDénaturer ainsi les paysages c'est tout à fait coupable et je m'étonne que l'ONF ou les communes environnantes laissent faire
RépondreSupprimerC'est tout à fait navrant
Comme le dit Claudialucia un exemple de land art pourquoi pas mais après stop
Hélas c'est la commune elle-même qui est à l'origine de ce projet, relayé par les offices de tourisme du coin. Chaque année je m'étonne tristement de plus en plus. Les citadins viennent ici (Marseille,LyOin, Turin) mais semble vouloir y retrouver... ce qu'ils ont à la ville (cinéma, bowlings, patinoires, etc etc). Pour moi, c'est un mystère.
SupprimerOh, quel dommage ! J'espère que l'installation n'est qu'éphémère et que tu retrouveras ton chemin d'avant. Si ce n'était pas le cas, il y aura sans doute d'autres réactions. "Sentier d'art" autoproclamé ou "parcours des fées", voilà qui illustre une certaine dérive "ludique" dont on se passerait bien.
RépondreSupprimerCe qui me rassure en effet, c'est que tout ou presque est réalisé dans des matériaux périssables et que l'hiver est encore neigeux et rude par ici.
SupprimerCe qui m'inquiète, c'est que s'il en disparaît une, deux apparaissent au printemps suivant accompagnées, de panneaux, bannières, "entrée" etc. cette dérive ludique est terrible et se manifeste partout, comme si plus personne ne pouvait plus se contenter de marcher, de botaniser, de lire, d'admirer... Cela m'effraie.
Je comprends en quoi vous faites un lien avec le livre de Annie Le Brun.
RépondreSupprimerJe vous rejoins.
Notre monde veut toujours "plus de", de progrès, de vitesse. J'ai vu le projet d'un train sur coussin d'air, rapide comme un avion qui relierait les villes françaises en quatre ou cinq fois moins de temps. Pour qui, pour quoi, pourquoi ? Le progrès est lié à la croissance. Votons la décroissance et aimons la nature qui souffre.
Merci Annie d'avoir partagé votre belle balade et votre humeur !
Merci pour votre soutien, Christian. Tous ces commentaires me font du bien car parfois je me demande si je ne vieillis pas mal.
SupprimerC'est incroyable en effet que l'humanité continue à toujours vouloir plus, plus vite etc alors, que notre énergie devrait plutôt chercher à résoudre les drames actuels de notre monde et ceux qui se préparent.
Affolant ! J'ai pensé comme Tania au mot ludique, comme si nous ne pouvions plus regarder si notre regard et notre attention ne soient pas attrapés et orientée. Quel gâchis !
RépondreSupprimerIci on le constate de plus en plus chaque année : en été particulièrement où les propositions d'activités organisées sur terre, sur l'eau et même dans les airs se multiplient à l'envie.
SupprimerC'est, semble-til le résultat du "marketing expérientiel".
Hélas, le ridicule ne tue pas !
Mon mari vient de me dire que c'était le "marketing expérientiel et inspirationnel !" Bien sûr ça change tout !
SupprimerHow very strange. If I were ever fortunate enough to visit, such augmented reality would not attract me as a tourist. I would ask you to point me in a more natural direction! (For example, the green mountains and colorful Autumn flowers and confused apple tree in your later post. I would love that walk much more.)
RépondreSupprimerMe too, Sallie I just thing it's not the good place for such an exhibition.
SupprimerC'est de l'expression... donc respectable.
RépondreSupprimerMais pourquoi là ? Telle est la "bonne" question...
Je ne suis pas certaine que toute expression soit respectable (je pense aux tags laissés sur certains murs notamment), car pour moi tout le monde à droit au respect (les propriétaires des dits murs aussi).
RépondreSupprimerMais ici le problème n'est pas là en effet mais bien dans le : "Pourquoi là ?" C'est cela que je ne comprends pas. Merci de votre passage.