Auteur : HOMERE
Traduction : Philippe BRUNET
Editions : Le Seuil 2010
Gardant de "l'Odyssée" le souvenir de dieux actifs, je n'imaginais pas cependant à quel point leur présence pouvait être encore plus forte dans "l'Iliade".
* Madeleine Miller : "Circé".
** Commentaires Philippe Brunet
Il y a un an à la même époque je terminais, admirative, la lecture de "L'Odyssée", me promettant bien d'attaquer "l'Iliade", aussi vite que possible. Il m'a fallu un an pour le faire et une grosse dizaine de jours pour refermer ce livre, peut-être plus éblouie encore, après être allée d'étonnements en étonnements.
Le premièr fut le sujet même.
Contrairement à ce que je pensais, pas question de trouver ici le récit détaillé de la guerre de Troie, épisode du cheval de Troie et mort d'Achille compris.
Non, l'Iliade nous transporte au début de la neuvième année de ce conflit qui en compta dix, entre le moment où Agamemnon et Achille se querellent jusqu'à celui, où les Troyens peuvent enfin procéder aux obsèques d'Hector.
Entre temps les conflits auront été sanglants et l'issue des combats fluctuante. Chacun à son tour ce sera cru vainqueur au gré du bon vouloir des Dieux. La mort de Patrocle revêtu des armes d'Achille, puis celle d'Hector, vaincu par un Achille ivre de douleur et de colère, marquent un basculement du conflit, mais Troie n'est pas encore vaincue, même si elle accueille, dans la douleur, la dépouille du fils aîné de son roi.
Combat d'Achille et d'Hector. Peintre d' 'Eucharidès. 500-490 av JC
Musée du Vatican Rome
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Mon second étonnement fut lié aux personnages, qui se révélèrent, pour certains, sous un jour que je ne soupçonnais pas.
Achille en tout premier lieu : s'il est beaucoup question de lui en en paroles, celui-ci est remarquablement absent du conflit, boudant sur ses vaisseaux après qu'Agamemnon lui ait repris la belle Briséis. Seule la mort de son cher Patrocle, lui fera reprendre les armes, pour affronter Hector, le tuer et infliger à sa dépouille un traitement déshonorant. De même, si son statut de héros est constamment évoqué, ses actes prêtent souvent à sourire, enfant gâté qu'il est d'une déesse, qu'il n'hésite pas à appeler à secours, quand ils n'irritent pas profondément.
Je me suis prise à partager le cruel jugement d'Apollon a son égard :
" Dieux ! Vous voulez venir en aide au maudit Achille,
qui ne possède ni coeur sensé ni pensée flexible
dans sa poitrine : comme un lion, il n'agit qu'en sauvage -
lion asservi à sa grande force, à son âme farouche,
attaquant les brebis des mortels par désir de ripailles :
ainsi Achille perd la pitié, ignore la honte,
cette honte qui ruine ou favorise les hommes.
On doit perdre sans doute un jour celui qu'on aime,
ou son fils, ou son frère issu d'une mère commune,
mais on s'arrête après les gémissements et les larmes :
endurant est le coeur que les Moires donnèrent à l'homme.
A mon divin Hector, il a pris une vie précieuse.
De son char, il le traîne autour du tombeau de Patrocle,
mais ne se montre guère ni plus valeureux ni plus brave."
De même Ulysse, "l'endurant", "l'égal de Zeus par la ruse", "fameux par sa lance", "gloire des Achéens", n'apparaît que lors de courts épisodes, non pas de son fait, contrairement à Achille, mais parce que ne lui sont confiées, durant ce laps de temps, que des "missions particulières"** :
"Je me souviens de toutes ces heures qu'il avait passées à la guerre, à ménager les tempéraments orageux des rois, les bouderies des princes, contrebalançant chaque fier guerrier par un autre."*
Par contre j'ai apprécié les figures de Patrocle osant secouer Achille, du vieux Nestor, haranguant les troupes achéennes, du digne Priam, tout aussi vieux, venant réclamer le corps de son fils, du valeureux Diomède "partisan du combat à tout moment, volontaire pour les missions périlleuses nocturnes "** et de tant d'autres guerriers, d'un côté ou de l'autre, se jetant sans faiblir au milieu des combats.
Priam réclame le corps d'Hector à Achille; Hiéron 490-485 av J-C
Kunsthistorisches museum Vienne.
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Gardant de "l'Odyssée" le souvenir de dieux actifs, je n'imaginais pas cependant à quel point leur présence pouvait être encore plus forte dans "l'Iliade".
Pas question d'intervenir aimablement auprès de Zeus ou de donner à l'un ou l'autre héros un simple coup de pouce. Ici les dieux sont en guerre tout autant que les hommes : Héra, Athena, Héphaïstos, Hermès, Poseidon soutiennent les Achéens, Apollon, Arès, Artémis, Aphrodite épaulent les Troyens. Certains d'entre-eux sont blessés.
Zeus lui-même, qui a bien du mal à faire régner la paix parmi les siens, depuis l'épisode du jugement de Pâris, penche d'un côté ou de l'autre, puis, cédant devant Héra, abandonne les Troyens, "alors qu'il est le père de leur ancêtre Dardanos"**.
Cela nous vaut des descriptions héroïques, tout autant que des moments de quasi vaudevile, lors desquels "le Cronide suprême", se révèle prêt à tout, pour échapper à l'ire de sa soeur et épouse, Héra, "la vénérable déesse", et ce mélange concourt puissamment au charme du récit.
Zeus séparant Arès et Athéna. Potier : Nicosthénès. 540-510 av J-C. British Museum Londres. |
Tout aussi étonnante pour moi, a été enfin la précision des images. Nous sommes dans un poème, mais le "poète" a vu, vécu (?) la violence des combats,
"Tels étaient les propos qu'ils échangeaient l'un et l'autre,
tandis qu'Aias (Ajax) lâchait prise, contraint par la force des flêches.
Le domptaient l'esprit de Zeus, les Troyens magnifiques,
qui frappaient. Et un bruit terrible, autour de ses tempes,
retentissait de son casque, frappé : les bossettes solides
prenaient des coups. Son épaule gauche sentit la fatigue,
à soutenir le bouclier chatoyant ; car les autres
ne pouvaient l'abattre, mais l'oppressaient de leurs lances.
L'essoufflement douloureux le prenait, partout sur ses membres
la sueur ruisselait. Il peinait à reprendre son souffle
et partout la fatigue venait augmenter la fatigue."
comme la cruauté des blessures :
"Idomédée atteignit à la bouche Erymas de son bronze
rude : la lance d'airain s'ouvrit un chemin rectiligne
sous le cerveau, par le bas, et les os brillants éclatèrent ;
sous le choc, ses dents sautèrent, ses yeux se remplirent
l'un et l'autre de sang ; et le sang coula par sa bouche
et par son nez ; la mort-nuée noire voila ses prunelles."
Achille soigne Patrocle d'une blessure au bras, lors de la guerre de Troie
Peintre de Sosias. Environ 500 av J-C. Berlin Museum
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Mais mon plus grand étonnement fut le souffle qui habite tout le poème du premier au dernier vers
(15 700e).
Car comme l'écrit Philippe Brunet, le traducteur, dans sa préface :
" L'Iliade n'est rien d'autre que le poème de la fureur qui vient s'apaiser douloureusement dans la déploration des morts".
A la mort et aux obsèques de Patrocle répond celles d'Hector. Même les rares moments de repos sont chargés de menace. Nous savons qu'Andromaque sera faite prisonnière, nous sentons qu'Astyanax sera tué lorsque Troie tombera.
Et que dire d'Achille dont la fin ne cesse d'être évoquée par sa mère et que lui-même sait proche, puisque c'est le destin qu'il a choisi.
Andromaque tentant de protéger Astyanax. |
Enfin je ne voudrais pas terminer cet article sans parler de de cette traduction qui a nécessité "vingt ans de travail, d'attente, de reprises"**, son auteur, Philippe Brunet, helléniste, professeur à l'université de Rouen et aède lui-même, souhaitant que son texte reprenne le rythme de l'hexamètre grec et "transposer dans la douceur sobre du français l'éclatante diaprure du grec".**
La première lecture intégrale de cette traduction a été faite à la Sorbonne en 2005, suivie de bien d'autres, également chantées comme c'était la tradition dans la Grèce antique, à Avignon, Athènes...
Dire qu'il a réussi serait bien pédant de ma part, n'ayant aucune compétence pour en juger, mais le texte qu'il a produit m'a semblé de toute beauté, de ceux qu'on ne peut oublier.
* Madeleine Miller : "Circé".
** Commentaires Philippe Brunet
Ah j'ai commencé aussi, je ne sais plus dans quelle traduction et c'était étonnant aussi, ce démarrage. J'ai bien accroché, mais remis la suite à plus tard.
RépondreSupprimerVérifie le nom du traducteur et reprends le vite alors !
RépondreSupprimerah quel plaisir que ton billet, j'ai lu l'Iliade à 2 reprises, une fois sans rien y connaitre et une seconde après avoir largement lu autour du thème et les deux fois avec le même plaisir
RépondreSupprimerCertes je trouve qu'il y a quelques passages difficiles voir un peu obscurs mais ça n'est pas un frein
comme toi j'aime les personnages que j'avais eu tant de plaisir à retrouver chez Madeline Miller dans le chant d'Achille
Ici tu cites son dernier livre mais dans ton texte je ne trouve pas le passage ou bien peut être mes yeux sont défaillants
j'ai bien l'intention de lire Circé
Le voici Dominique :
RépondreSupprimer"Je me souviens de toutes ces heures qu'il avait passées à la guerre, à ménager les tempéraments orageux des rois, les bouderies des princes, contrebalançant chaque fier guerrier par un autre."*
Je suis entrain de lire Circé ... et je me régale. C'est vraiment grâce à toi, car ce sont tes articles qui m'ont donné envie de lire L'Iliade et L'Odyssée. J'ai attrapé le virus... et l'ai peut-être transmis à l'une de mes petites nièces, qui , l'an dernier, âgée de 8 ans a demandé à être déguisée en Aphrodite, pour le carnaval de son école !
Te voici ce retour avec une grande lecture. J'ai pris plaisir à lire ton billet, tu motives à la lecture ( parce que je n'ai jamais lu en entier, ni en continu, mais de multiples extraits ) . Ce n'est pas cette traduction, mon exemplaire est ancien. En lisant ce que tu écris, je me disais que le traducteur était revenu à l'origine, le chant, un texte fait pour l'oral.
RépondreSupprimerC'est exactement le cas, Maryline. Si tu penses reprendre cette lecture, je te conseille vivement de choisir cette traduction ! Le choix de l'une d'entre elles est souvent déterminant. Bonne semaine.
SupprimerL'Iliade et l'Odyssée sont des livres jamais refermés pour moi. J'ai la traduction de Jaccottet, et ce que vous dites de cette traduction m'attire beaucoup. Merci. Je vais encore m'y plonger.
RépondreSupprimerJ'ai lu la traduction de Jaccotet pour L'Odyssée et l'ai trouvé très belle. N'hésitez pas à investir dans celle-ci pour L'Iliade. C'est tout à fait différent mais tout aussi beau. Bonne semaine à vous.
SupprimerJ'ai bien prévu de le faire, et je me vois déjà, comparant les traductions. De bien belles soirées en perspective.
SupprimerJe crains que vous ne soyez déçue, car je crois que Jaccottet n'a traduit "que" l'Odyssée. Ce qui n'empêche pas de lire "L'Iliade" dans cette traduction, bien entendu. Très bonne lecture à vous.
Supprimermerci à toi c'est moi qui n'avait pas vu la petite astérisque
RépondreSupprimerce sont des lectures pour lesquelles j'ai été initiée par une prof, j'étais déconfite de n'avoir jamais appris le latin et le grec et elle m'a consolé en me montrant que je pouvais malgré tout accéder aux textes et en tirer du plaisir je n'ai jamais plus cessé
Je te comprends ! Cela me donne envie d'apprendre le grec ancien mais crains que ce soit un peu trop ambitieux...
SupprimerLes extraits que tu cites sont vraiment très beaux entre réalisme et poésie. je retiens le nom du traducteur.
RépondreSupprimerJe retiens cette traduction, ton billet donne vraiment envie de revenir à ces classiques.
RépondreSupprimerPlus je les lis, plus j'y trouve de la joie. Il y a les livres essentiels et les autres. Aucune hésitations sur ceux-ci. Bonne lecture, Tania.
SupprimerJe voudrais le relire, il est fascinant !
RépondreSupprimerPas d'hésitation à avoir et bonne lecture !
RépondreSupprimerAh je vois que vous prisez L'Odyssée et L'Iliade ! Personnellement je ne suis pas très attiré par ces lectures et je me réjouis de votre enthousiasme. Avez-vous étudié le grec en humanités ou êtes vous attachée à l'histoire ancienne ?
RépondreSupprimerLors de mes études, mon choix s'est porté vers ce qu'on appelait ici latin-math et non latin-grec. Je n'ai donc pas eu de "formation" aux auteurs grecs.
C'est Dominique, dont vous appréciez également le blog, qui m'a donné envie de me lancer dans ces lectures. Auparavant je les redoutais plutôt. Les émissions que France-Culture y a consacré l'été dernier m'ont libérée de mes dernières craintes, en me permettant d'en écouter des extraits, que j'ai trouvés très beaux, dans deux traductions relativement récentes. Celle de Philippe Jaccottet pour l'Odyssée, celle de Philippe Brunet pour l'Iliade.
RépondreSupprimerJ'ai donc franchi le pas, et ne le regrette pas. J'ai trouvé que ces deux textes se lisaient tout seuls ou presque. Je n'ai fait ni latin, ni grec à mon grand regret, mais dans un premier temps des études d'histoire t d'histoire de l'art. D'où mon goût pour les vases grecs qui s'est encore renforcé après cette expérience.