lundi 8 avril 2019

INDIGNATION





Titre original : "Indignation" - 2008 -
Auteur : PHILIP ROTH
Traduction : Marie-Claire PASQUIER
Editions : Folio Gallimard - 2010 - 238 pages

Si Marcus Messmer, dix-neuf ans en cette deuxième année de la guerre de Corée, n'avait pas perdu deux de ces cousins germains à la guerre "fantassins sans grade" qui s'étaient fait tuer "l'un à Anzio en 1943, l'autre dans la bataille des Ardennes en 1944",

si son père, boucher kasher de son état à Newark, n'était pas devenu fou d'angoisse à l'idée que "son fils unique et bien-aimé" ait à "affronter les périls de l'existence...", "fou d'avoir aussi découvert qu'un petit garçon grandit, en âge et en taille, qu'il se met à éclipser ses parents, et qu'à ce moment-là on ne peut pas le garder pour soi, qu'il faut le livrer au monde",

si Marcus n'avait pas choisi, après un an de  constante surveillance  paternelle, de quitter sa petite université de Newark, pour le Winesburg Collège, à des kilomètres de là, dans l'Ohio,

s'il n'était pas tombé amoureux d'une jeune-fille fragile aux moeurs trop libres pour sa propre expérience amoureuse,

si le Président et le Doyen de cette université n'avaient pas été conservateurs, au point d'obliger tous les étudiants, quelque soit leur croyance à suivre quarante offices religieux durant leur première année de scolarité, 

si les règles régissant les rapports entre garçons et filles n'avaient pas été aussi strictes,

si la mère de Marcus, par ailleurs la meilleure des femmes, avait pu faire preuve de plus d'ouverture d'esprit et  avait moins bien manié le chantage,

si le Doyen de Winesburg, n'avait pas trouvé inquiétant que cet étudiant modèle, change deux fois de chambre pour pouvoir travailler en paix et refuse, pour les mêmes raisons de s'inscrire à l'une des fraternités du campus,

si Marcus lui-même, n'avait pas été  "aussi mal préparé à la vie", si ce garçon  pétri par le sens du devoir et corseté dans sa volonté de réussir coûte que coûte ses études, pour compenser les sacrifices financiers de ses parents et échapper au sang de la boucherie familiale, comme à celui du  front coréen, avait pu faire preuve d'un peu plus de souplesse,

sa destinée aurait pu être toute autre.

Mais on ne choisit pas, et comme le dit Marcus lui-même à sa mère avant de partir dans sa chambre en claquant la porte :

"le moindre incident peut avoir des conséquences tragiques."







Vingt-huitième livre de  Philip Roth et second ouvrage du cycle "Némésis"  composé de quatre romans courts publiés entre 2006 et  2010, "Indignation", évoque, comme "Némésis" (dernier roman du cycle), le destin d'un tout jeune-homme dans une Amérique en guerre. Les deux héros, ont bien des points communs. Bons garçons tous les deux, tous les deux ont en lot une vie pareillement brisée, bien que de façon différente.
Si celle de  Bucky  est en partie son choix, celle de Marcus ne l'est pas, bien qu'il en soit aussi partiellement responsable.
L'un retourne sa douleur contre lui-même, l'autre sa colère - son indignation - contre un monde auquel il ne comprend pas grand chose.
Pas plus l'un que l'autre ne savent en fait s'adapter et en payent le prix fort.

Roman sur le destin, "Indignation" (comme "Némésis"),  nous renvoie à ce qui constitue le fil de nos vies.
Entre déterminisme et hasard, il nous laisse devant ce mystère, que chacun d'entre nous aimerait pouvoir élucider avant qu'il ne soit trop tard.


Dans leurs commentaires à mon texte sur "Némésis", Claudialucia et Dasola m'avaient fait part,  du plaisir qu'elles avaient tiré de la lecture d"Indignation", Dasola le préférant à" Némésis".
Pour ma part, j'ai énormément aimé ces deux livres et suis bien en mal d'affirmer une préférence.
Je pense que "Némésis", m'a peut-être plus particulièrement touchée, parce que je pense partager quelques traits de caractère avec Bucky et que j'ai aimé , mais d'une manière moins personnelle, l'indignation qui anime Marcus comme Philip Roth lui-même.
Bref une "réponse de normand" (pardon Aifelle) ! 



Monument aux morts de la guerre de Corée. Washington D.C.

20 commentaires:

  1. I am happy to see your post and, as you already know and say, I am getting all of your comments since I do not use Blogger. (And I must say how very much I appreciate that you read my little posts and comment).
    I must read more of Philip Roth, as I said on your earlier post on these two novels.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. I think it's a good way to discover (or rediscover) Philip Roth. I'll read soon the two other short novels of this cycle : "Everyman" and "The humbling". It's for me a good discovery. Have a nice day, Sallie !

      Supprimer
  2. J'apprends par ton billet que Nemesis et celui ci font partie d'un cycle. Et je n'oublie pas que tu m'a motivée à lire P.Roth, " Nemesis " est sur mon bureau ( il se rapproche, ça viendra ).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, c'est un cycle de quatre courts romans. Les deux autres évoquent (si j'ai bien compris) des hommes vieillissants, comme l'était Roth au moment où il les a rédigés. J'attends avec impatience ton billet.

      Supprimer
  3. Il y a de la sagesse dans les réponses de normand ;-) Pour l'instant je n'ai toujours rien lu de Philip Roth et j'avoue être un peu perdue devant tout ce qu'il a écrit (et ce que l'on a écrit sur lui et son oeuvre).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'en doute pas Aifelle ! Je trouve que ce cycle de quatre courts romans est une bonne manière de lire Roth, quand celui-ci ne vous attire pas trop à priori. J'ai pris grand plaisir à cette lecture et j'ai bien l'intention de lire les deux ouvrages restants du cycle.

      Supprimer
  4. PS. Mon commentaire est passé, sans grilles à remplir, eureka, tu as trouvé !!!

    RépondreSupprimer
  5. Ces "si" composent bien des déterminations... comme pour chacun de nous.
    Avec Roth je suis dans l'indécision, avec quoi continuer après ma réception mitigée (et que je sais provisoire) de "Portnoy". Le cycle "Némésis me dirait bien : un homme sur la fin de sa vie, un écrivain comme Philip Roth qui plus est, avec sa lucidité et sa verve.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On ne peut pas trop parler de verve ici, au moins dans les deux romans que j'ai lus de ce cycle. C'est une écriture simple et sensible dans "Némésis", plus enlevée dans "Indignation", compte-tenu de la colère qui anime aussi bien Marcus Messmer que le narrateur. J'ai l'intention de lire bientôt les deux derniers romans du cycle, qui évoquent, si j'ai bien compris la vie d'hommes vieillissants.Bonne fin de journée Christian.

      Supprimer
  6. Je ne comprends pas, je pensais avoir laissé un com... J'avais beaucoup aimé e roman, surtout pour sa construction. J'en ai d'autres de cet auteur dans ma PAL

    RépondreSupprimer
  7. Oui, tu l'avais laissé et c'est moi qui avais oublié de cliquer sur publier. Excuse-moi, mais je n'ai n'ai pas encore tout à fait l'habitude de ces commentaires modérés. C'est vrai que le passage du récit fait par Marcus à celui du narrateur est très abrupt et souligne la violence de son destin. Je vais pour ma part terminer d'abord ce cycle avant d'en aborder un autre après une petite coupure. Bonne journée.

    RépondreSupprimer
  8. J'aime beaucoup ces Si qui changent le cours de nos vies. Conséquences tragiques ou heureuses, parfois.
    Je n'ai jamais lu aucun Philippe Roth mais j'avais noté celui-ci, après ton billet, je le souligne sur la liste:-)
    Merci Annie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'avais "mal" lus certains des romans de Philip Roth il y a longtemps. La lecture des deux courts romans ("Némésis" et "Indignation") m'a permis une redécouverte et m'ont donné envie d'aller plus loin. Je suis heureuse de savoir qu'il en est de même pour toi.

      Supprimer
  9. Bonjour Annie, je ne l'écris pas souvent mais je trouve que ce roman est un chef d'oeuvre. Bonne journée.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour ma part je n'irai pas jusque là mais c'est enrichissant de connaître ce que ressentent les autres et de réfléchir au pourquoi ?
      Ton avis m'a conduite à lire ce livre et je t'en remercie !

      Supprimer
  10. C'est un roman plein de force, oui. J'aime la façon dont tu rends compte ici de ce Philip Roth, l'écrivain acharné à explorer les ressorts de la vie.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu as très bien trouvé le mot Tania. Il y a de la force dans ce roman, jusqu'à cette fin si tragique. Je vais continuer sur ma lancée. Bonne journée à toi.

      Supprimer
  11. J'ai adoré te lire, on apprend beaucoup de chose mais tu n'éclaircis pas pour autant le mystère. Cela donne très envie de le lire.

    RépondreSupprimer
  12. Merci, Ann. J'essaie toujours de ne pas en dire trop sans toujours y arriver. Bonne lecture à toi.

    RépondreSupprimer
  13. Je crois qu'Indignation sera mon prochain Roth, puisqu'il appartient au même cycle que Némésis qui soulève plein de questions passionnantes...

    RépondreSupprimer

La sérénité, c'est important ! J'ai donc choisi la modération des commentaires pour vous éviter de perdre la votre, devant des photos floutées qu'il vous faut cocher pour prouver que vous n'êtes pas un robot. Dîtes-moi si cela marche !