jeudi 2 août 2018

MA VIE EN PEINTURES





Titre original : "EL NERVIO ÒPTICO" -2014-
Auteure : MARIA GAINZA
Traduction de l'espagnol (Argentine) Gersende CAMEREN
Editions : Gallimard - 2018 - 177 pages 

Le beau portrait, intitulé "La petite fille assise", qui figure sur la couverture  de ce livre  est l'oeuvre d'Augusto Schiavoni (1893-1952). Celui-ci aux côtés  d'autres peintres argentins, Candido Lopez, Miguel Carlos Victorica mais également  d'Alfred de Dreux, Gustave Courbet, Hubert Robert, Henri de Toulouse-Lautrec, Foujita, Le Greco, Rothko, constituent la galerie personnelle de Maria GAINZA, historienne et critique d'art.

Chapitre après chapitre, elle nous révèle son contenu,  tout en nous renvoyant aux événements les plus marquants des différentes étapes de sa vie qui leur sont liées, construisant ainsi une "fiction autobiographique", étrange, savante et réjouissante à la fois.

Cette descendante d'une famille aristocratique sur le déclin, dotée depuis l'enfance d'un caractère pour le moins bien affirmé, qui lui a valu  et lui vaut encore, d'entretenir des relations toujours intenses et souvent conflictuelles avec ses plus ou moins proches, sait également poser sur les tableaux  un regard personnel fait d'érudition, de sensibilité et d'un refus affirmé du discours abscons, qui parfois accompagne l'art et sa critique.

Cela nous vaut d'hilarantes anecdotes, comme cette visite, pour deux clients américains,  d'une collection privée,  qu'elle doit faire, après avoir été trempée par l'orage, "en pantoufles blanches poilues", fournies généreusement par l'acide propriétaire, dont le nez aquilin semble aussi tranchant que les paroles.
Mais également de  rapides biographies,  des descriptions personnelles, sans traces de didactisme,  qui m'ont appris beaucoup et qui replacent tel ou tel à sa juste place, sans céder au respect dû aux vaches sacrées de l'époque.

"Rousseau ( Le Douanier*) n'était pas un artiste naïf mais un homme supérieur avec de bonnes raisons de se tenir à distance : il s'était rendu compte que l'air de son ciel mental était plus pur que l'atmosphère raréfiée qui flottait dans les salons de l'avant-garde...
D'un point de vue artistique, les avant-gardes ont pris plus de Rousseau que lui d'elles : on aurait pu s'attendre  à ce que le nouveau adopte à un moment donné les tics des maîtres des lieux (Picasso en premier lieu*), mais il n'en fut jamais ainsi, loin de là".


Le Douanier Rousseau : "La Guerre" (vers 1894). Musée d'Orsay. Paris.


Avec son regard aiguisé, elle nous apprend aussi à aiguiser le notre, nous donnant au passage, la clé de sa démarche.

A propos de cette "Petite-fille assise", dans laquelle elle s'est reconnue au même âge, elle écrit :

"J'étais comme ça à onze ans, les yeux écartés, glacials comme la pointe d'une aiguille, la mine renfrognée, le menton frondeur... Je sais que les raisons qui m'ont poussées vers ce tableau seraient irrecevables aux yeux de l'académie, cette maison aux esprits où règne la peur d'en être exclu, mais au bout du compte les oeuvres réussies ne sont-elles pas des miroirs en miniature ? Une oeuvre réussie ne transforme-t-elle pas la question : "que se passe-t-il ?" en "que m'arrive-t-il ?". Toute interprétation n'est-elle pas une autobiographie ?"


Elle nous invite ainsi à parcourir les musées avec un autre regard, plus conscients peut-être de nos propres réactions et de ce qu'elles impliquent dans notre perception des oeuvres d'art.




Mark Rothko. "Light red over black" (1957)

Source : en-attendant-nadeau.fr

Moins sérieusement, le charme de ce livre,  tient également à l'ironie mordante de  l'auteure, qui émaille son texte de phrases assassines d'une rare efficacité.
Pourquoi, dans ces conditions, au lieu de traduire simplement le titre original - "El Nervio Òptico"-qui correspond si bien au ton de l'ouvrage, avoir choisi pour l'édition française ce : "Ma vie en peintures", chargé d'une neutralité bien peu adaptée au caractère de l'auteure, à la cruauté de bon nombre de ses  anecdotes, comme à son style incisif qui nous porte de bout en bout de l'ouvrage ?   
  
 * toutes les indications entre parenthèses  sont de moi

15 commentaires:

  1. Voilà un récit qui m'attire beaucoup, merci, Annie. Non que j'aime tant les phrases assassines, mais pour ce va-et-vient entre la vie et la peinture.
    Tu as raison pour le titre - les éditeurs édulcorent voire trahissent trop souvent le titre original, nous privant de ce ton "incisif".

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    1. Ce n'est pas que je prise vraiment les phrases assassines, étant par ailleurs bien incapable d'en prononcer une seule, mais ce ton "vif", me semble bien témoigner de la personnalité de l'auteure et donne à son texte une vraie énergie.
      Bon week-end, Tania. J'espère qu'il ne fait pas trop chaud à Bruxelles....

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  2. Heureusement que tu présentes ce livre! Il a l'air tout à fait ce que j'aime, alors qu'au départ je voyais autre chose, une sorte de roman.

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    1. Non, ce n'est pas un roman mais un bel entrelacs entre vie et peinture. Le titre me faisait craindre la mièvrerie mais ce n'est pas du tout le cas !

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  3. Je n'avais pas vu passer ce livre et je le note avec gourmandise. J'apprécie ce type de fiction autobiographique sans didactisme. Ravie de la découverte. Et je te rejoins quant à l'interprétation du titre, ce n'est pas la première fois que je le constate !
    ( les grands esprits, ma prochaine lecture nippone s'intéresse au Douanier Rousseau )

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    1. J'attends donc avec impatience le compte-rendu de cette lecture, car j'ai été très touchée par ce qu'elle écrit sur le douanier Rousseau et je dois le reconnaître assez amusée par ce qu'elle dit de Picasso...

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  4. Tres attirant j'aimerais certainement cette réflexion sur la peinture

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    1. Je te souhaite de le lire, Dominique et de prendre du plaisir à le faire.

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  5. Encore un livre qui me tente ! C'est noté

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    1. C'est bien le problème et la chose la plus rassurante au monde aussi : tant de livres nous tentent !

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  6. C'est vrai que le titre français est plutôt terne, il ne donne pas vraiment envie de l'ouvrir, alors que visiblement c'est une belle découverte. C'est noté, j'aime assez les tons incisifs.

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  7. Moi aussi ! Je trouve que cela donne une belle énergie !

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  8. En te lisant je me demandais si nos vies pourraient être échelonnées de peintures qui nous ont accompagnées pendant différentes parties de nos vies.
    Je me souviens parfaitement des tableaux qu'il y avait chez ma grand-mère, chez mes parents, ceux que j'avais en posters adolescente et plus tard...
    Ce livre au ton vif a tout pour me plaire je crois, merci Annie.

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    1. Ce serait un bon exercice Colo ! Je me souviens aussi d'un tableau dans un restaurant bâlois où nous avions nos habitudes, du temps où nous habitions l'Alsace qui représentait une femme en train de lire devant une table ronde garnie d'un grand napperon de dentelle. Poser les yeux sur lui, c'était me retrouver chez ma grand-mère. Un jour le restaurant a changé de propriétaire. La cuisine est restée toujours aussi simple et bonne. Mais pour moi, c'était fini. Bonne journée, Colo !

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  9. Merci de m'avoir rappelé ton billet, depuis août j'avais oublié... ^_^ En fait je note les livres mais pas les blogs, là je me souvenais juste de Maryline..;

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