mercredi 8 janvier 2014

L' ART DE L' EFFACEMENT


La gourmandise mène à tout !
Parce que j'avais envie de boire un  bon chocolat chaud, j'ai ouvert la porte du salon de thé* de ma petite ville, un soir de décembre.
Perchée sur mon tabouret haut, je regardais  avec intérêt les boîtes de thé, pots de confiture, théières,  mugs et autres tasses qui décoraient les étagères tout en pensant que j'avais choisi la bonne adresse, car le chocolat, en plus d'être généreux était vraiment chaud et bon, ce qui n'est pas si courant que cela.

Mais très vite ce qui a attiré mon regard c'est un modeste présentoir en carton sur lequel des livres étaient exposés.



Sur la petite bibliothèque comme sur les bandeaux oranges des ouvrages on lisait :




" Litterama 05 Livres nomades 2013-2014"

Bien sûr je me suis approchée, bien sûr j'ai lu le dépliant posé juste à côté et c'est ainsi que j'ai découvert qu'une association déposait ici, comme dans d'autres "lieux insolites" des livres qui circulaient ainsi dans tout le département.
Il suffisait d'en prendre un, de le rapporter, éventuellement de participer aux deux rencontres qui seraient organisées dans l'année pour partager nos impressions.
Sympathique, non ?

Je suis donc repartie chez moi avec celui-ci, parce que son titre me plaisait et parce que son auteure était indienne, pas tout à fait convaincue cependant parce qu'il s'agissait de nouvelles - la plupart des livres exposés étant justement des nouvelles ou de courts romans, nécessité de faire tourner vite la sélection,  je suppose - et qu'en général je n'apprécie pas vraiment ni les uns ni les autres !



Titre original : "The artist of disappearance" - 2011 -
Auteure : Anita  DESAI
Traducteur : Jean-Pierre AOUSTIN
Editions : Mercure de France - 2013 - 185 pages

Pourtant, bien m'en a pris !

Trois titres, donc pour ce recueil, trois lieux, une grande ville Dehli et deux coins de province plus ou moins désolés. 
Trois héros également, une femme et deux hommes, qui vont vivre de façon bien différente, trois expériences d'effacement.

Le premier, un jeune fonctionnaire nommé dans un coin perdu de l'Inde pour y faire ses premières armes n'en sera que le témoin ou l'acteur par défaut.
Sollicité par un vieux serviteur pour sauver une étrange collection constituée au fur et à mesure des envois d'un jeune maître qui a préféré l'absence, il aurait pu choisir - est-ce bien sûr d'ailleurs ? - de tenter d'endiguer la disparition de cet ancien domaine et de la bien curieuse collection qu'il abrite.
Mais il n'en fera rien et n'en gardera qu'un souvenir douloureux, ce léger et tenace remord qui nous poursuit nos vies durant, quand nous avons préféré détourner la tête. 
Pouvait-il lutter d'ailleurs, contre le temps, la poussière, l'oubli, contre une éléphante capable à elle seule d'engloutir tous les biens et ainsi toute l'histoire d'une famille ?

La seconde, une femme entre deux âges, modeste professeur de littérature anglaise "dans une petite faculté féminine située dans un lointain et morne quartier " de Dehli a, au contraire, choisi de lutter contre l'oubli, sans y prendre garde.
Réapprenant la langue de sa mère disparue, consacrant sa thèse à une auteure  qui la pratique, allant jusqu'à traduire ses nouvelles, pensant découvrir enfin sa voie vers la lumière en s'accordant abusivement le droit  de s'exprimer à travers elle, avant de replonger dans  l'inéductable ennui  et la médiocrité de son existence.

Le dernier, enfin, un jeune garçon, puis un adulte conscient qu'il ne peut vivre sa vie qu'"à une altitude himalayenne", "dehors où était la liberté " "puisqu'il ne s'intéressait qu'aux variations et aux mutations de ce qui vit, à leurs innombrables possibilités", fera de l'effacement un art : c'est lui " The artist" du titre original.
Car lui seul le vit  l'effacement, dans toute sa plénitude.
Voyant tout  disparaître peu à peu : famille, maison, amie, et même  ce qui est son oeuvre et la magnifique expression de son être, il sait, à chaque étape, laisser aller et pourtant recréer son univers toujours plus petit mais toujours aussi beau et puissant.

Si les deux premières nouvelles m'ont plues, la troisième, qui a donné son titre au recueil m'a vraiment enchantée : j'ai refermé l'ouvrage en silence, j'ai regardé autour de moi consciente tout à coup de la beauté de ce qui m'entoure et que j' ignore si souvent, comme nous le faisons tous, emportés que nous sommes par la vie ou tout au moins ce que l''on a trop rendance a appeler ainsi.


Anita DESAI est une auteure indienne d'expression anglaise, née en 1937. Elle a écrit de nombreux romans et recueils de nouvelles. Elle est actuellement professeure au MIT.
Sa fille, Kiran DESAI, née en 1971, est l'auteure de "La perte en héritage" ("The inheritance of loss") qui a recu le Man Booker Prize en 2006.

* "L'Instant Thé",  rue Fontaine, 05200 Embrun

18 commentaires:

  1. Quelle jolie aventure livresque, ce sont des pratiques que je trouve très sympathiques et bien faites pour rapprocher les gens des livres
    Anita Desai je ne connais que son nom je crois n'avoir rien lu d'elle, je suis comme toi je n'aime pas beaucoup les nouvelles mais je vais noter ce recueil car ton plaisir est manifeste

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    1. J'espère qu'il ta plaira également...La troisième nouvelle m'a conquise et du coup j'ai relu avec plus d'attention les deux précédentes et les ai beaucoup plus appréciées.

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  2. Je suis ravie de lire un article sur ce livre... j'ai beaucoup aimé ce recueil aussi. Je reprend ton mot, je suis sortie de cette lecture enchantée.

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    1. Je suis égalment ravie de trouver quelqu'un qui l'a apprécié. Une occasion en plus de découvrir ton blog !

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  3. Je vais inspecter ce que ma bibliothèque possède en Mercure de France et tenter de partager avec vous mes impressions sur ce recueil: un genre qui me convient, nouvelles et récits courts. Surtout, a priori la troisième histoire qui nous réapprend à regarder autour de soi, si je vous lis bien: alors c'est incontournable !
    Bonne soirée Annie !

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    1. J'attends avec impatience votre avis ! Regarder autour de soi en effet, et savoir aussi recréer le monde à l'échelle la plus infime. Bonne soirée à vous également !

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  4. Hot chocolate and books--these are a few of my favorite things!

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  5. L'idée est déjà très sympathique, en plus une bonne surprise. Je connais l'auteur, au moins de nom, je vais regarder aussi si je le trouve à la bibliothèque, tu m'as tentée.

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    1. Oui, c'est aussi pour moi l'occasion de lire des livres que je n'aurais pas rencontrés autrement, ou pas achetés par prudence. J'espère que tu le trouveras !

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  6. What a wonderful shop! It's great to find good books in unexpected places (especially while drinking hot chocolate ))). I do not care much for short stories either and, like you, very very seldom read new books. I usually go with the tried and true. But I have read about Anita Desai and I shall try to find this book in the Library.

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    1. It's a very little shop and I'll return there often ! I'm sure you'd love these short stories. If you read them tell me what you think about them !

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  7. Quelle belle initiative, et de plus le livre t'a plu, c'est super , ça devrait se multiplier ce genre de choses...

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    1. Cela a été pour moi une vraie (et bonne surprise !), la boutique, la présence de livres et celui-ci en particulier.

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  8. Passer d'un délicieux chocolat à une aussi belle découverte, quelle chance!
    Merci de nous présenter ce livre que je chercherai ici (pourvu qu'il soit traduit en espagnol aussi!)

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    1. Oui, c'était parfait ! Cette auteure, dont j'ignorais le nom, est en fait assez connue semble-t-il. Donc tous les espoirs sont permis. Bonne lecture !

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  9. Je n'ai jamais rencontré de livres nomades.... J'aimerais bien.

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  10. C'est une belle initiative que de déposer des livres ainsi dans des lieux choisis. J'ai beaucoup entendu parler de cette auteure mais je ne l'ai pas encore lue.

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