Titre original : "Cider with Rosie" 1959.
Auteur : LAURIE LEE
Traduction : Patrick REUMAUX
Editions : Libretto - 259 pages-
Le petit garçon dépenaillé qui nous regarde bien en face d'un air aussi assuré qu'un peu provocateur, ne doit pas être bien différent de ce qu'était l'auteur durant cette "première enfance", qu'il a choisie de raconter ici.
Avant-dernier enfant d'une famille qui en a compté neuf, bébé quasiment mort-né qui choisit de vivre malgré tous les pronostics et qui renouvelle ce choix tout au long de ses premières années, garçon choyé par une mère toujours amoureuse d'un presque fantôme, garnement pauvre, sans le soupçonner un instant, d'un village des Cotswolds, qui vit les dernières heures d'un monde ancien avant d'être projeté dans la modernité, comme l'auteur dans la vie d'adulte.
Mais nous n'en sommes pas là. Avant ce grand saut, il y a donc eu la merveilleuse enfance dans une grande maison aussi poétique qu'inconfortable, dans un pays où l'hiver est glacial et l'été parfois fort chaud. Mais de tout cela le jeune Laurie n'a cure : il découvre le monde à sa hauteur avec autant de craintes que d'avidité, sous la houlette fantasque d'une mère irritante et poétique, qui lui donne à jamais le goût de la beauté :
"Tout ce que je vois maintenant est entouré d'un halo d'or : un changement de saison, un oiseau caché comme une gemme dans un buisson, les yeux des orchidées, un plan d'eau à la tombée du soir, un chardon, une image, un poème - c'est à elle que je dois mon plaisir."
C'est également avec sa façon " si dépourvue de prétention et si débonnaire", qu'il nous parle de son enfance, rythmée par les grands étapes qu'ont été pour lui, l'arrivée dans cette maison inconnue entourée d'un fantastique univers, le passage à l'école où il lui faut bientôt quitter la jeune maîtresse des Petits "avec sa poitrine tressée, ses mains déboutonneuses et sa voix d'amour dormeur", pour entrer dans le monde des grands où règne "Miss B., l'institutrice en chef", "baptisée la Grinchue", avec son "aigre regard jaune, des macarons de cheveux plats sur les oreilles, la peau et la voix d'une dinde", la découverte des filles et du cidre, qui précède de peu le départ vers un autre âge et une autre vie.
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Photographie : Andrew Rolant. Source : easyvoyage.com |
Au gré du temps, lui reviennent ainsi en mémoire, tous ceux qui furent ses proches :
sa mère et ses soeurs et leur monde de porcelaines, rubans, chapeaux, fous-rires, et qui pourtant sont si dures à la tache,
ses six oncles, "des héros carrés d'épaules, qui cognaient et buvaient sec, que nous adorions et qui furent les rois " de sa jeunesse,
les voisins "hors-la-loi" aux surnoms savoureux - Charlie-Trognon-de-chou, Albert le Diable, Gueule d'espoir ou le bien nommé Lève le coude-,
les voisines, Grand-mère Trill et Grand-mère Wallon, pourtant séparément si charmantes, mais qui ne tiennent en vie que par la haine qu'elles se portent l'une à l'autre ou ce vieux couple émouvant, qui vit depuis tant d'années "comme deux châtaignes dans une bogue".
Il y a aussi les peurs, les drames, les fêtes, les rares sorties, la nature omniprésente, les paysages, tout ce qui marque un enfant et qui construit un homme.
Bien que certains chapitres aient été publiés dans différentes revues avant d'être rassemblés et complétés ici, l'ensemble est parfaitement cohérent et nous tient émerveillés de bout en bout.
Car le charme de ce livre, qui est un classique Outre-Manche, tient autant à la personnalité de son auteur, qu'à son regard aigü, ironique et tendre et à sa capacité de retrouver et de rendre magistralement les émotions de l'enfance.
"A l'âge de trois ans, je fus déposé de la carriole du transporteur, et ma vie au village commença dans la terreur et le désarroi.
L'herbe de juin, partout était plus haute que moi, et je pleurais. Je n'avais jamais vu d'herbe d'aussi près. Elle me dominait et m'entourait, chaque brin tatoué comme la peau d'un tigre par le soleil. Elle était coupante, sombre, d'un vert mauvais, aussi épaisse qu'une forêt et pleine de criquets, qui dans un bruit de crécelle, fendaient l'air d'un bond comme des singes".
A dix-neuf ans Laurie quittera son village, violon sous le bras. Impatient de voir le monde il partira pour l' Espagne, où bientôt il découvrira la guerre.
Deux nouveaux livres - "Un beau matin d'été" et "Instants de guerre"- témoigneront de ces nouvelles et dures expériences.
Est-il bien nécessaire de vous dire qu'ils sont déjà commandés ?