mardi 27 mars 2018

LA NOTE AMERICAINE




Titre original : "Killers of the Flower MOON. The osage murder and the Birth of the FBI." -2017-
Auteur : DAVID GRAAN
Traduction : Cyril GAY
Edititions : Globe, l'école des loisirs -2018- 363 pages.
                         

Voici un livre plein de passion et de violences, écrit avec une rigueur et une sorte de détachement clinique, qui donnent plus de force encore aux évènements qu'il relate. 
Loin des fake-news qui nous inondent, nous sommes ici dans le temps de la recherche et de l'objectivité, du respect et de l'empathie aussi.


Source : Nation Osage


Cette histoire, qui se déroule dans les années vingt, touche les survivants d'une tribu indienne, les Osages, dépouillés de leurs terres, comme toutes les tribus le furent, parqués, soit-disant pour leur bien dans une réserve de l'Oklahoma, où les descendants des colons qui les avaient spoliés, les auraient  bien volontiers oubliés.

Mais voilà, le destin est parfois facétieux, et ces terres se sont transformées en aubaine, riches qu'elles sont du pétrole que leur sous-sol renferme. 
Chaque Osage a reçu les droits d'exploitation d'un lot, transformant chacun d'eux en un riche héritier.
Dans ces circonstances, plus question, vous le comprendrez, de les oublier !




C'est dans ce contexte que se déroule une série de meurtres très ciblés, qui vont faire l'objet d'enquêtes plus ou moins bâclées, jusqu'au jour où, à Washington, un jeune et ambitieux jeune-homme, Edgar HOOVER pour ne pas le nommer, va comprendre que cette histoire devrait lui permettre d'asseoir enfin son pouvoir, par le truchement, sur place de ces agents.

C'est l'un d'entre-eux, Tom WHITE, animé par un courage et un sens de la justice à toute épreuve, qui  constitue l'équipe chargée de mener l'enquête et qui portera celle-ci  jusqu'à son terme.


Tom White (à gauche) et Edgar Hoover. Source : histoty.com


Inutile de compter sur moi pour vous en dire plus, si ce n'est que la réalité, dépasse, ici, largement la fiction !

Ce livre m'a passionnée à plus d'un titre :
 -parce qu'elle décrit le destin incroyable de cette tribu,
- parce qu'elle nous montre une  jeune nation où brigands et voyous ont la main sur tout, 
- parce qu'à côté de ceux-ci se dressent des figures pleines de vertu,
- mais aussi parce qu'elle décrit les ravages, laissés sur des générations, par des crimes restés, d'une  certaine façon  impunis.

C'est une histoire totalement hors du commun, une enquête extraordinaire et en disant ceci je pense tout autant à celle menée à l'époque par Tom WHITE et son équipe, qu'à celle conduite aujourd'hui par David GRAAN, qui, je l'espère aidera des plaies encore vives à cicatriser.


Où trouveras-tu donc une caverne assez sombre
Pour couvrir ton visage farouche , Conspiration n'en cherche point ;
Cache-le sous le masque de la bienveillance et de son sourire caressant.

William Shakespeare
Jules César     

mercredi 21 mars 2018

CELUI QUI VA VERS ELLE NE REVIENT PAS




Titre original : "All who go do not return" Graywolfpress -2015-
Auteur : SHULEM DEEN
Traduction : Karine REIGNIER-GUERRE
Editions : Globe, l'école des loisirs -2017- 409 pages.


Il m'a suffi  d'un regard sur la couverture pour savoir que ce livre était fait pour moi.
Ce qu'ont  immédiatement confirmé la lecture de la présentation de l'ouvrage au dos ce celle-ci et la phrase qui inaugure le premier chapitre :

"Je ne suis pas le premier à avoir été banni de notre communauté". 

C'est en effet à un long et douloureux parcours que nous invite l'auteur, tout en nous faisant découvrir "l'une des communautés hassidiques, les plus extrêmes et les plus isolées des Etats-Unis", dans laquelle il a vécu la fin de son adolescence et les presque deux premières décades de son âge adulte.

Contrairement à ce que pourraient nous faire croire ces hommes en caftan noir et chapeau de fourrures qui déambulent devant nos yeux, nous ne sommes pas dans un quartier orthodoxe de Jérusalem, ni dans des temps fort anciens, mais à New SquareConté de Rockland, Etat de New-York, des années 1980 à aujourd'hui .


Isidore Kaufmann (1853-1921). "Un garçon de la yeshiva". 


Né à Brooklyn en 1974, de parents devenus ultra-orthodoxes mais dont la prime jeunesse l'a été un peu moins, Shulem DEEN, après quelques épisodes houleux,  choisit lui-même à 13 ans, d'entrer dans la yeshiva de la communauté Skver de New-Square.
Il compte y étudier la Loi et s'adapte sans trop de mal à ce monde replié sur lui même, dans lequel l'autorité du Rebbe ne peut être contestée, pas plus que sont contestables  les vérités enseignées par la Torah et le Talmud.



Marc Chagall : "Le rabbin"

Source : Artvalue.com


Car la communauté, contrairement aux principes hassidiques des premiers temps, adhèrent totalement à cette injonction :


"Tout ce qui est nouveau est interdit par la Torah".

Pas d'enseignement de l'anglais, ni des mathématiques, ni de matières  professionnelles profanes.
Ici, on ne parle, on n'écrit on ne lit qu'en yiddish, on n'étudie que les textes et leurs commentaires.
Pas de télévision ni de radio bien sûr, pas de cinéma non plus  et encore moins d'ordinateur.
La règle en ce monde : on ne pose pas de questions, puisque les réponses sont déjà toutes là.



Menahem Krief (1928) "Le mariage hassidique"


Mais voilà Shulem DEEN ne peut s'empêcher de la faire. 
Son mariage arrangé lorsqu'il  a 19 ans, sa famille s'agrandissant la nécessité de gagner sa vie, la découverte de la médiathèque de la ville voisine, puis celle de l'informatique qui le passionne, ses discussions avec un ami, sa révolte devant des actes d'intolérance, tout simplement la curiosité de son esprit, vont peu à peu le conduire à remettre en question tout ce sur quoi il avait fondé sa vie.

Le chemin ne sera pas simple, la communauté ne sera pas tendre et le mot est faible.
La conclusion temporaire très cruelle, pour cet homme qui se sent profondément père.
Mais il a tenu, mais il a su s'entourer et entourer, il continue à lutter et attend, en nous donnant cette magnifique leçon de courage et de patience, de mesure et de loyauté.     
   
J'espère que Shulem DEEN,  dans les années qui viennent, nous donnera de ses nouvelles et de celles  ses enfants.


Dominique a également beaucoup aimé.


mardi 13 mars 2018

MARY SOMMERVILLE





Autoportrait de Mary Sommerville
Sommerville Collège. Oxford. Grande-Bretagne


Pas de compte-rendu de lecture aujourd'hui, mais un article "perroquet", qui ne fait que remettre en forme ce que j'ai lu ici, mais qui, je l'espère, vous fera découvrir une femme d'exception, comme cela a été le cas pour moi.
C'est Humboldt qui m'a mis sur la piste, pour avoir dîné avec elle lors d'un séjour qu'il fit à Londres en 1827.

Mary Sommerville, est née le 26 décembre 1780 à Jedburgh, en Ecosse.
Fille du vice-amiral William George Fairfax, elle passe son enfance à Burntilsland, dans un état de "pauvreté distinguée" et reçoit tout d'abord une éducation si sommaire, que son père la considère alors qu'elle a dix ans, comme "une sauvage".
Envoyée durant une année dans la pension huppée de Musselburgh, elle n'y apprend que des rudiments d'écriture, de grammaire anglaise et française ainsi que les bases du calcul.
A son retour, elle profite des moments où elle n'est pas occupée par ses devoirs de fille - apprendre la couture, broder sur un abécédaire, s'initier aux bonnes manières, danser - pour lire Shakespeare dans la bibliothèque de son père et poursuit ainsi son éducation de manière assez chaotique, alternant enseignement pour quelques mois dans des institutions, leçons à domicile données par le maître d'école du village, participation plus ou moins clandestine aux cours de mathématiques du précepteur de son frère, apprentissage du grec et du latin chez ses oncles, rencontres formatrices... toutes occasions bonnes à saisir, sans parler du travail personnel dans lequel elle s'abîme dès que cela lui est possible.

En 1804, elle épouse un lointain cousin, le capitaine Samuel Greig, consul de Russie à Londres où elle s'installe. Elle n'y est pas heureuse car son mari, sans pourtant la brimer,  partage largement les préjugés de l'époque contre les femmes instruites.
Mais en 1807, celui-ci décède. Elle retourne en Ecosse avec ses deux enfants  et se remet d'autant mieux à l'étude, notamment des mathématiques, que son héritage lui permet maintenant de le faire sans contraintes.

En 1812, elle se remarie avec son cousin, le docteur William Sommerville, qui contrairement à son premier mari, l'encourage et l'aide à aborder les sciences physiques. Elle étudie ou approfondit ainsi les mathématiques, l'astronomie, la physique, la chimie, la microscopie, le magnétisme, la géographie, la botanique, la géologie... 
Ils ont quatre enfants et mènent une existence riche en voyages et rencontres, qui lui permet d'entrer en relation avec  les écrivains, les artistes , les scientifiques les plus brillants de son temps, comme ce fut le cas notamment pour Turner et  Humboldt.
Installée avec sa famille à Chelsea elle devient  le professeur de mathématiques d'Ada Byron, plus connue sous le nom de Lovelace, aujourd'hui considérée comme une pionnière de la science informatique.

En 1826, elle publie un premier article : "Les propriétés magnétiques des rayons ultraviolets sur le spectre solaire", bientôt suivi en 1831 par "The mechanism of the heavens", traduction dans tous les sens du terme, de l'oeuvre de Pierre-Simon Laplace  "La mécanique Céleste".
C'est ce premier ouvrage qui la rend célèbre :

"J'ai traduit l'oeuvre de Laplace de l'algèbre au langage commun"

dit-elle et c'est ce style simple, net et précis, qui sera à l'origine de sa popularité.

Elle publie ensuite d'autres ouvrages de son cru :

- "On the connexion of the physical Sciences" (1834), dans lequel elle plaide pour l'interdisciplinarité et qui lui vaut d'entrer à la "Société Royale d'Astronomie" en même temps que Caroline Herschel.

- "Physical Geography" , (1848), qui "présente de grandes affinités avec la vision humboldtienne des sciences et du monde naturel" (A.Wulf), avec lequel elle remporte la médaille Victoria de la Société Royale de Géographie.

- "Molecular and Microscopic Science" (1869), qui lui demande dix ans d'efforts.

Dans la sixième édition de "On connexion of Physical Sciences", elle pose de l'existence d' une planète perturbant Uranus,  ce qui amène John Couch Adams  à chercher et découvrir Neptune.



Neptune
Source : Nasa.gov


En 1838,  elle s'installe en Italie avec son mari. Ils y passeront le plus clair de leur temps jusqu'à leurs morts, tout en continuant à correspondre avec l'élite scientifique de leur temps.

Quatre année avant sa mort elle signe, sans succès, la pétition de John Stuart Mill en faveur du suffrage des femmes.

Elle meurt  le 28 novembre 1872 à Naples, où elle repose dans le cimetière anglais.

L'année suivante paraît son autobiographie "Personnal recollections", dont l'intérêt repose autant sur ce qu'elle révèle de son caractère, que pour l'aperçu qu'elle donne des milieux littéraires et scientifiques de son époque.

C'est ainsi que celle qu'on appelait "La rose de Jedburgh" dans sa jeunesse, en référence à ses manières douces et polies,  est devenue  "la Reine de la Science"

Aujourd'hui, le "Collège Sommerville" à Oxford, un établissement supérieur à Brisbane, une salle du parlement d'Edimbourg, une île,  un astéroïde -le 5771 Sommerville-,  un cratère lunaire, un billet de la banque d'Ecosse, portent son nom ou son effigie et témoignent encore de sa remarquable carrière.


mercredi 7 mars 2018

L'INVENTION DE LA NATURE








Titre original :"The invention of Nature"-2015-
Auteure : ANDREA WULF
Traduction : Florence Hertz
Editions : Noir sur Blanc -2017- 636 pages.


C'est un livre érudit, foisonnant et passionné que celui-ci, qui veut réhabiliter la mémoire d'un savant de premier plan, aujourd'hui oublié par beaucoup, notamment dans les pays anglo-saxons.
Prise selon ses propres mots par une véritable "frénésie humboldtienne", Andréa Wulf, ne se contente pas de nous conter la vie hors du commun de ce petit homme de génie, simple et hautain, sarcastique et généreux, courageux et terriblement bavard. Elle nous offre aussi, dans sa lancée les portraits de tous ceux, Simon Bolívar, Charles Darwin, Henry David Thoreau, Georges Perkins Marsh, Ernst Haeckel, John Muir, qui, influencés pas sa pensée,  lui ont donné une suite, jusqu'à nos modernes écologistes, qui ont toujours autant de mal à faire comprendre que la terre est une et que nos actions la modèlent au delà du raisonnable.
Il en ressort, un ouvrage un peu hybride entre biographie(s) et essai, dans lequel on se perd parfois, mais que l'on quitte avec tristesse, parce que le(s) héro(s), comme celle qui les décrit,  nous sont devenus profondément sympathiques tant est grand leur courage et profonde leur volonté de savoir et de transmettre.



Friedrich Georg Weitsch-Alexander von Humboldt-
Staatische Museum. Berlin.


Alexander von Humboldt donc. 


Né le 14 septembre 1769 , fils d'un "officier de l'armée prussienne, chambellan à la cour ", trop vite orphelin de ce  père "charmant et affectueux", élevé avec son frère aîné Wilhelm sous la férule d'une mère "froide, rigide et distante", qui a le bon goût de leur donner tout de même, "en guise d'amour maternel... la meilleure éducation qui puisse alors se trouver en Prusse"
L'aîné, philosophe et linguiste deviendra ambassadeur et pour un temps ministre de l'éducation, fondant l'université de Berlin qui porte son nom et celui de son frère, se mariera.
L'autre, resté célibataire, entamera, selon les voeux de sa mère une carrière de haut-fonctionnaire, puis, celle-ci ayant fort heureusement pour ses deux fils, quitté ce monde, pourra enfin assouvir sa passion du voyage  et des sciences.

C'est de sa première expédition aux Amériques, entamée en 1799, qui le conduira successivement en Nouvelle-Grenade  -Vénézuela puis au retour de Cuba, Colombie et Equateur actuels-,  au Pérou, enfin au Mexique et aux Etats-Unis, qu'il tirera à son retour en 1804 et pratiquement jusqu'à la fin de sa longue vie, le matériau de ses nombreux ouvrages, qui embrassent la plus grande partie des champs de la connaissance de son temps : botanique, zoologie, géologie, géomagnétisme, astronomie, études des courants marins  et des cultures anciennes.... 

Il lui faudra attendre vingt-cinq ans, pour entamer son second périple à travers la Russie, jusqu'au  pied du mont Altaï. Il a alors soixante ans, a compris qu'il ne pourrait jamais réaliser son rêve d'escalader l'Himalaya, comme il l'avait fait autrefois du volcan Chimborazo, les anglais lui barrant la route de l'Inde de peur qu'il ne dénonce, comme il l'avait fait au retour à son retour d'Amérique, les méfaits du colonialisme et de l'esclavagisme.

Entre ces deux voyages et après le dernier, il mène une vie d'érudit, rédigeant notamment les trente-quatre volumes de son "Voyage aux régions équinoxiales du Nouveau Continent" et les quatre tomes, de son "Cosmos", adulé dans toute l'Europe, correspondant avec tout ce que le monde compte d'hommes d'influence, ami de Goethe, mais aussi chambellan auprès des rois de Prusse, qui lui assurent ses maigres revenus.

Il quitte le monde, le 6 mai 1859, presque nonagénaire,  considéré par "bien des gens", tout simplement comme "le plus grand homme depuis le Déluge".



Géographie des plantes équinoxiales.
Tableau physique des Andes et Pays voisins dressé par Alexander von Humboldt.

Il faut dire qu'il a découvert beaucoup de choses, qui aujourd'hui sont les fondements de notre rapport à la nature, de notre vision du monde.
 C'est lui, qui le premier a perçu la nature comme un ensemble vivant, se préoccupant surtout des relations entre les choses, qui a jeté les bases de l'étude des écosystèmes, qui a dressé la carte des isothermes, qui a dénoncé les ravages de la déforestation et de l'agriculture intensive.
C'est également lui, qui "subjugué par la" plénitude de la vie universellement répandue", a permis le développement d'une approche de la nature plus subjective, qui aujourd'hui reste de celle de beaucoup d'entre nous.


Dominique avait également énormément aimé ce livre.

Grand Teton National Park. Etats-Unis.