mercredi 28 février 2018

LES SOEURS MATERASSI







Titre original : "Sorelle Materassi" -1934-
Auteur : ALDO PALAZZESCHI
Traduction : Gérard Loubinoux et Emmanuelle GENEVOIS
Editions : Le Promeneur /Folio n°2188 - 374 pages -


Les soeurs Materassi ? 
Toutes les dames de la haute-société florentine étaient capables de les nommer.
C'était auprès d'elles et nul part ailleurs qu'elles se fournissaient en lingerie fine et faisaient réaliser le trousseau de leurs filles. Il leur fallait pour cela, prendre leur auto, se rendre à Santa Maria a Converciano, quelques maisons dans la plaine rassemblées autour d'une église.
C'est dans l'une d'entre elles, une maison de maître tout de même,  que se tenaient Teresa et Carolina, la cinquantaine, "courbées sur leur métier", attentives jusqu'au soir à produire ce qu'il y avait de plus délicat, de plus beau.


Musée de la Broderie. Pistoia. Italie

Parfois c'était aussi "Un prélat de Florence", entouré d'une nuée de dévotes, qui venaient leur rendre visite. Il faut dire que sortaient de leurs mains des merveilles.


Devant d'autel. Musée de la Broderie. Pistoia. Italie.

C'est ainsi, pièce après pièce, fil après fil, qu'elles avaient "d'abord endigué la ruine" de leur famille "avant de la relever et d'en mener une reconstruction digne d'éloges solennels".
La débauche de leur père, la douleur de leur mère avaient ainsi fait "pousser des filles sages et tranquilles, affrontées à la dureté de la vie, à ses luttes, chargées de chagrins, laborieuses, dépouillées de toute aspiration à la joie". 
Elles ne s'étaient pas marié, bien sûr.
Mais maintenant tout était réparé, c'était leur prestige et leur orgueil
Elles pouvaient vivre tranquilles avec Niobé, leur "bonne et joviale" servante.

Bien sûr, il y avait  aussi Giselda, la cadette, revenue vivre avec elles après un mariage désastreux. C'est elle qui administrait le domaine, effectuait en ville les livraisons, sous le regard peu amène  de ses deux aînées, qui ne manquaient jamais de lui reprocher son échec, bien mérité selon elles.

Quant à Augusta, qui s'en souciait encore ? Elle était la troisième, "moins intelligente qu'elles, peu entreprenante", ne possédant "pas non plus la beauté et la vivacité de Giselda". Assembleuse dans une fabrique de chaussures, elle s'était mariée "avec un manoeuvre des chemins de fer", était partie vivre "en" Ancône, avait eu un enfant, aussitôt doté par ses tantes "de vêtements délicieux,... des béguins, des petites robes, choisis ou exécutés par elles-mêmes, d'un raffinement aristocratique".




Tout aurait pu continuer ainsi. Mais le destin joue parfois de curieux tours.
Augusta, devenue brusquement "veuve et indigente" puis "frappée par un mal violent", les pousse à quitter maison et métiers. A peine sont-elles arrivées qu'elle meurt, après leur  avoir confié son fils, Remo, âgé de quatorze ans, à peu près illettré, mais si beau, si raisonnable, si mystérieux...
Comment résister à l'appel d'une mourante ?

Est-il nécessaire de préciser, que leur vie ne sera jamais plus la même ?  Que Remo va éveiller en elles des sentiments, des sensations, dont elles ne soupçonneront même pas pas la nature ? Qu'une route, pleine d'embûches s'ouvrent sous leurs pieds, qui deviendra vite un vrai chemin de croix ?

Face à ses femmes simples, qu'il sait dresser comme "des singes", Remo, saura conduire sa vie selon ses intérêts, leur distribuant  avec parcimonie, mais avec une maestria sans pareille, à qui des marques de tendresse, à qui les reflets de sa virilité

J'ai beaucoup aimé ce livre, tout emprunt  d'ironie , qui dépeint si bien ce coin de Toscane, ce petit monde clos, ces vies bridées, construites sur des chimères, la fragilité des âmes qui se croient fortes, les pouvoirs magnétiques de la beauté.

Je vous le recommande vivement !   



jeudi 22 février 2018

STORY ENJOY


"La lecture des contes en famille" Gustave Doré -1861-
Source : BNF

Il est bien loin le temps où chaque soir, Grand-mère rassemblait autour d'elle ses petits enfants pour leur lire une histoire...
Aujourd'hui, beaucoup d'entre-nous communiquons avec ceux-ci, par Skype ou Face-Time,
attendant avec impatience le jour où nous pourrons les prendre sur nos genoux, ouvrir un livre et commencer : "Il était une fois..."

Heureusement, certaines ont des idées de génie !
C'est le cas  de Caroline Lopez, qui habite La Réunion, conceptrice du site "STORY ENJOY", que j'ai découvert  et testé dans la foulée.

Le principe est simple :  vous vous inscrivez, vous achetez à un prix très raisonnable le nombre de tickets (livres) que vous souhaitez pouvoir lire dans le temps, vous choisissez un livre parmi ceux qui sont proposés et dont vous avez pu feuilleter quelques pages, vous vous filmez en la racontant, vous l'envoyez par mail à votre petit-enfant, qui peut l'écouter autant de fois qu'il le souhaite sur une tablette.
Les pages défilent, et vous apparaissez en train de lui lire  l'histoire, au fur et à mesure.

 Une démonstration vaut certainement mieux que toute tentative de description.




L'application étant sortie le 9 décembre, le nombre de livres proposés est pour l'instant un peu restreint (17), mais très bientôt 21 autres seront ajoutés, au rythme de deux par semaine. 
D'autres suivront. Un partenariat avec deux maisons d'édition, Poisson Soluble et Cache Caillou est déjà scellé ou prêt de l'être. 
Des contacts avec d'autres maisons d'édition sont en cours.

Tous ces livres, comme le site, sont porteurs de belles valeurs : partage, amitié, courage, tolérance, protection de la nature....
Il s'adresse à tout adulte ayant envie de lire à un enfant. La conceptrice souhaiterait recruter ses lecteurs au delà des familles, parmi les pensionnaires de maisons de retraite, permettre des liens avec des institutions accueillant des enfants.


De ma première expérience quelles conclusions ai-je tirées ?
- C'est vraiment très simple,
- Les livres proposés , très colorés, sont de qualité,
- Le contact avec l'équipe est extrêmement facile et agréable : réponse rapide, précise et d'une grande gentillesse.

Quant à celui auquel l'histoire était destinée, il était semble-t-il ravi !

Que demander de plus ?

Je dédie cet article à ma grand-mère maternelle qui me lisait si bien "Le bon petit diable", le soir dans mon lit...

Je n'ai bien sûr aucun lien de quelque sorte que ce soit avec le site ! 

samedi 17 février 2018

LES VESTIGES DU JOUR






Titre original : "The remains of the day" -1989-
Auteur : Kazuo ISHIGURO
Traduction : Sophie MAYOUX
Editions : Gallimard Folio n°5040 - 2010 - 339 pages.

Il y a parfois des hasards heureux dans l'ordre de nos lectures !
Je venais juste de terminer "La guerre allemande", lorsque j'ai entamé la lecture des "Vestiges du jour" et cette dernière est venue éclairer la première, tout autant que l'inverse.

La seconde guerre mondiale est terminée depuis déjà quelques années. Sa Seigneurie, Lord Darlington a quitté ce monde, marquée par l'opprobre que lui ont valu ses efforts de conciliation avec l'Allemagne, même si ce n'est pas en ces termes qu'il aurait défini son action. Le domaine a été vendu à un riche américain, le monde a tourné.





 James Stevens, fils de majordome et majordome lui-même à Darlington Hall depuis les années 20, se voit proposer  par son nouveau maître,  Mr Farraday, de prendre  "un petit congé", tandis que celui-ci retourne aux Etats-Unis durant quelques semaines. Il lui laisse, pour ce faire, l'usage de sa voiture.

Touché par cette suggestion qu'il ne prend d'abord  "pas du tout au sérieux", Stevens commence à pouvoir envisager cette éventualité après avoir reçu une lettre de Miss Kenton, l'ancienne intendante du domaine, avec laquelle il avait autrefois entretenu des rapports professionnels complexes et qui vit à présent en Cornouailles.

Miss Kenton, en fait Mrs Benn, semble montrer "une indéniable nostalgie de Darlington Hall", juste au moment ou Stevens, qui a dû se séparer de la majorité de la domesticité, constate qu'un employé supplémentaire serait bien nécessaire à la bonne marche de la maison.
Il s'accorde donc six jours , non pour son seul plaisir mais par obligation professionnelle, et prend la route, après avoir averti Miss Kenton de sa venue.

C'est son journal de voyage que nous allons découvrir, dans lequel il note, jour après jour,  de son beau style précis et corseté,  la douceur des paysages de ce coin d'Angleterre, les petits incidents qui émaillent son parcours, les rencontres avec les gens du coin. C'est également une occasion pour lui de se remémorer cette curieuse Miss Kenton, qu'il avait dû reprendre à plusieurs occasions, bien que sa compétence ne puisse jamais être prise en défaut. Occasion également de faire le point sur ce qui avait été l'ambition de sa vie : être un "grand majordome", avec tout ce que ce qualificatif suppose de "dignité"  et de "loyauté".




Mais que lisons-nous en fait ? Le récit d'une vie réussie ou celle d'une vie perdue, celle d'une inexistence ?

Bien sûr, Stevens à atteint la "grandeur". La maison à laquelle il était affilié était "réellement distinguée" et il n'a rien à redire sur "la valeur morale " de son employeur, sa Seigneurie,  à la clairvoyance de laquelle il s'est remis en toute confiance.
Oui, il a, en toute occasion, "habité" son rôle. Il ne s'est pas laissé ébranler par les évènements extérieurs, "fussent-ils surprenants, alarmants ou offensants" et c'est bien là ce qui lui a fait atteindre "la dignité".
Mais qu'a-til compris des fleurs que Miss Kenton souhaitaient lui apporter pour égayer son office, des soirs d'été qui l'émouvaient, des larmes versées au décès de sa tante, de ses sorties, de son départ pour se marier ? Si peu, si ce n'est rien.




Voilà donc ce qui se passe, lorsqu'on abandonne  tout libre-arbitre, quand on obéit sans réfléchir à ce que signifie l'acte que l'on va poser,  quand on accepte d'être moqué sans frémir, quand on confond son destin avec celui d'un autre, que l'on considère comme plus grand.

Dans ce livre magnifique, d'une retenue et d'une élégance parfaites, Kasuo Ishiguro réussit  d'un seul jet, à décrire le déclin d'un monde, les affres de l'amour,  tout en décortiquant les ressorts qui mènent, sans bruit,  à l'aliénation.


"Quel terrible gâchis, j'ai fait de ma vie"
Miss Kenson


Les trois photos sont issues du film, du même titre,  que James Ivory a tiré de ce roman.

mercredi 14 février 2018

LES VERSETS DU PARDON






Auteure : Myriam ANTAKI
Editions : Actes Sud -1999- 197 pages.

Myriam ANTAKI est née dans une famille chrétienne de Damas et a vécu à Alep jusqu'en 2011, date à laquelle elle s'est vue contrainte de partir en exil à Beyrouth avec sa famille.
Parfaitement bilingue, elle est l'auteure de plusieurs romans écrits en français, qui évoquent  son pays.
Curieusement, "Les versets du pardon", deuxième ouvrage de mon parcours à la découverte des écrivaines syriennes, fait exception à la règle en évoquant le drame de la Palestine.

Signature des accords d'Oslo. 13/09/1993.

Paru en 1999, ce livre, écrit  après la signature des accords d'Oslo, qui faisaient renaître les espoirs de paix entre l'état d'Israël et l'OLP, se veut porteur d'un message de réconciliation, par le biais du récit tourmenté d'Ahmed, jeune terroriste palestinien, dont l'exécution doit avoir lieu le lendemain.

Enfant "jeté à la porte d'un camp de réfugiés", élevé dans un orphelinat au Liban, il a trouvé, dans le terrorisme,  le moyen de donner un goût à sa vie.

Entré en possession d'une lettre de sa mère (Marie) et du journal de son père (David), qui jusque là lui étaient parfaitement inconnus, il nous  conte leurs parcours et donc aussi le sien, bouleversé autant par ce qui le lie à son père que par l'amour de sa mère. 
Il souhaite ainsi "réinscrire [sa] vie dans une confession de paix". 

A cette occasion, il nous donne à relire l'histoire d'une terre, de deux peuples et de trois religions déchirés, pour lesquels il voit poindre "une certitude d'espoir".

Ecrite sous la forme d'une longue incantation, qui parfois m'a portée, parfois m'a lassée, cette parabole, m'a, je l'avoue, laissée assez dubitative.

Peut-être, parce qu'elle est trop évidente, peut-être aussi parce que depuis le temps a passé.

Nous savons ce qu'il en est de cet espoir de paix. 
Nous ne pouvons plus lire avec la même distance, les mots par lesquels s'ouvre ce livre : "Je suis un terroriste, un rêveur"
Nous avons certainement perdu l'innocence de croire que tout pourrait se régler un jour.
Pour Ahmed, David et Marie, le chemin semble encore bien long. 


Traduit aux Etats-Unis en 2002 sous le titre "Verses of Forgiveness", ce livre a obtenu le "Hemingway Reward".

vendredi 9 février 2018

UNE PETITE PAUSE...



... qui s'est un peu prolongée. Je rassemble mes esprits et je reviens !


Benozzo GOZZOLI. Naissance d'Esaü et de Jacob. 1473-1475
Musée des Sinopies. Pise. Italie

jeudi 1 février 2018

UN SI PROCHE ORIENT





Auteure : Marie SEURAT
Editions : Grasset 1991 -219 pages-


L'Université du temps libre de ma petite ville propose cette année deux cours sur le thème de "La Syrie racontée par ses écrivaines".
Quatre livres sont donc au programme et les cours se déroulant au mois de mars, j'ai pensé, qu'il était temps de me mettre au travail. J'ai donc commencé par le premier de la liste, qui est également,  celui publié le plus loin dans le temps.
Il évoque, entre autre,  une  Syrie, aujourd'hui disparue puisque contemporaine de l'enfance et du début de l'adolescence  de Marie Seurat, née en 1949, ou plutôt de Marie Maamar Bachi, comme elle se nommait alors.

Autant le dire tout de suite, il ne s'agit pas de mémoires orientales baignant dans une douce nostalgie, mais plutôt du récit partiel d'une vie marquée par trop d'appartenances, par un drame majeur aussi : l'enlèvement par le Jihad islamique de son époux, Michel Seurat, le 22 mai 1985, son  décès en détention annoncé en mars de l'année suivante et les vingt années qui furent nécessaires, pour que le corps de celui-ci soit rapatrié en France.

Pourtant de Michel Seurat, il est assez peu question ici, même si son absence, plane sur tout le livre. C'est le décès en 1990 de son ami Jean-Pierre Thieck, orientaliste comme lui et soutien sans faille de Marie Seurat durant son épreuve, qui est à l'origine de celui-ci.


Qui suis-je ? Comment vivre, lorsque l'on est marquée par des identités multiples ? 

Pour moi telles sont  surtout les questions que se pose l'auteure, qui tisse sous nos yeux, le récit de sa vie, alternant les chapitres entre un hier oriental (Alep, Beyrouth) des lendemains mêlés (Oxford, New-York, Beyrouth), un aujourd'hui français, sans que jamais le lien avec ce "si proche Orient" ne soit jamais coupé.

Qui est-elle,  en effet, cette enfant gâtée d'une minorité chrétienne chassée d'Anatolie par les Kurdes ou les Turcs, née à Alep dans une famille de la haute-bourgeoisie, élevée par des nurses, puis dans une école chrétienne,  sous la haute-main de sa spectaculaire mère bardée de bonnes manières autant que de solides préjugés, adolescente  révoltée suivant sa famille à Beyrouth, provoquant père et mère  jusqu'à épuiser leur patience, jeune étudiante à Oxford, goûtant à la drogue, comme aux charmes de la gentry, graphiste à New-York, pour la revue Arab World, déclarant,  avec une certaine coquetterie, détester les livres tout en vivant  au milieu d'intellectuels...

Quant à la Syrie, "Terre monochrome et silencieuse" "prélude aux steppes de l'Asie", elle est décrite à hauteur d'une enfant qui mêle ses sensations, violentes et délicieuse aux certitudes, qui se révèleront si fragiles, des adultes qui l'entourent.

C'est un livre que j'ai trouvé très attachant "douloureux, indécent et d'une gaieté de funambule", comme semble l'être son auteure (ah les difficultés de l'écriture inclusive !),  agaçant parfois aussi, mais symbole également de courage et de désir de vivre.

"Vous avez la vie chevillée au corps", lui avait dit un jour un ami jésuite.

Cette vie,  Bien et Mal mêlés, Marie Seurat sait la rendre avec brio, dans un style vibrant, qui est l'un des grands charmes de cet ouvrage.