mercredi 24 janvier 2018

LA GUERRE ALLEMANDE. Portrait d'un peuple en guerre. 1939-1945




Titre original : "The German War- A Nation under Arms, 1939-1945 " 
Auteur : Nicholas STARGARDT
Traduction : Aude de SAINT-LOUP et Pierre-Emmanuel DAUZAT
Editions : La librairie VUIBERT  2017 -797 pages.



En 1983, paraissait aux éditions Fayard, l"Atlas Stratégique" de Gérard Chaliand et de Jean-Pierre Rageau. Celui-ci débutait par cinq pages de cartes regroupées sous le titre "Les visions du monde", qui présentaient celui-ci, tel que le voient en planisphère, l'Amérique du Nord,  feue l'Union Soviétique, l'Europe, la Chine et le monde arabo-musulman.
Ces points de vue différents, furent pour moi une découverte, un véritable choc, habituée que j'étais à voir le monde, réparti de part de d'autre de notre continent.

J'ai ressenti le même déséquilibre, en lisant le livre de Nicholas STARGARDT, qui comme l'indiquent titre et sous-titre aussi importants l'un que l'autre, présente la seconde guerre mondiale, telle que l'a vécue le peuple allemand, sur les fronts comme au coeur du pays mais également pourquoi  celle-ci  était justifiée à ses yeux.

En suivant un plan parfaitement chronologique, des prémices à l'effondrement final, l'auteur parvient à la fois, chapitre par chapitre, à décrire l'enchaînement des évènements et les réactions,  positives ou négatives des soldats comme de la population civile.

Pour ce faire Nicholas STARGARDT, s'est appuyé sur une vaste documentation,  des livres bien sûrs, mais également des journaux intimes, des lettres échangées entre époux, amants, parents et enfants, restés chez eux, déplacés, ou sur le front. 
On peut ainsi, peu à peu, suivre leur parcours (pas toujours complet) et découvrir l'évolution de quinze "personnages principaux", de profils contrastés, issus cependant majoritairement des classes moyennes, parfois supérieures, du menuisier de Thuringe au professeur d'université, en passant par la jeune et coquette photographe chargée de faire des clichés de propagande. 
Ils ont tous les âges, de l'adolescence à l'âge mûr,  sont protestants ou catholiques, certains sont juifs, partagent l'idéologie nazie totalement, peu ou pas.
D'autres témoignages plus ponctuels, complètent également ce tableau complexe qui mène souvent à s'interroger sur la nature de telle ou telle réaction, allemande ou seulement humaine, dans ce que ce mot à de moins brillant.

Si l'on se demande durant un moment s'il est possible de tirer  des conclusions générales d'un échantillon aussi restreint, on comprend vite que ces témoignages permettent surtout d'introduire magistralement la complexité  de l'humanité dans un corpus de connaissances -il y a près d'une cinquantaine de pages de bibliographie- toujours en construction, mais déjà bien établies.

M'ont particulièrement frappée :

- La volonté farouche et partagée de ne pas imposer à la génération suivante les affres de 1918.

- L'habilité diabolique, de la propagande, martelant année après année, que l'Allemagne était attaquée  par le capitalisme, puis le bolchevisme, juif international,"en vue de garder leur nation dans l'esclavage qui était le sien" depuis cette date.

- La façon dont Hitler, "pacificateur (autoproclamé) frustré",  s'est appuyé  "constamment sur le désir de paix des Allemands et les intentions de paix" pour "... doter le peuple allemand de l'armement toujours nécessaire pour fonder l'étape suivante". Il s'agit bien entendu du discours qu'Hitler répétait à l'envie, pour modeler l'opinion publique et y parvenir.

- La croyance qui en découle jusqu'en 1942, pour la majorité des Allemands que "la guerre demeurait encore une guerre de défense nationale".

- Le sentiment profond  jusqu'à la fin du conflit, fortement renforcé, après les bombardements des villes allemandes, d'être des victimes,  permettant de justifier, parfois inconfortablement, que "la guerre [soit] devenue impériale et génocidaire".

- A partir de 1941, ce que l'auteur nomme "le secret partagé", c'est à dire  le sort réservé aux Juifs. Comme l'écrit dans son journal, une jeune journaliste, en comparaison des bombardements et du rationnement la " grande masse de la population est indifférente, voire approuve, l'éradication des Juifs", même si inversement, certains, craignent d'être allés trop loin et de devoir payer pour cela.

- L'attitude, parfois courageuse, souvent  très qu'ambigüe des églises catholique et protestantes.
A l'inverse, les positions pacifistes affirmées jusqu'à la mort,  des Témoins de Jéhovah et de quelques opposants comme ceux du mouvement de "La Rose Blanche".

- L' organisation presque sans faille , des services d'aide à la population.

- Le jusqu'au boutisme de la plupart des dirigeants, pour lesquels contre toute évidence, il fallait "tenir", quitte à sacrifier pour cela, des milliers d'hommes, d'adolescents, voire d'enfants.

- Le démantèlement de la solidarité nationale "sous la force de l'invasion alliée", entraînant, l'exacerbation des "fidélités locales", avec sa suite d'exactions parfois terribles entre concitoyens : pillage, viols, exécutions... 

- La guerre terminée, les "barrières de silence" qui s'élèvent entre les générations à propos des calamités que les plus anciennes ont  provoquées, tout en en souffrant elles-mêmes. 


C'est curieusement un livre facile et difficile à lire. Si le style est très clair, l'enchaînement des horreurs est, comme toujours sur ce sujet, accablant.
Mais ce sont surtout les réactions des acteurs,  de cette  tragédie, qui rendent le parcours ardu. Adhésion farouche ou plus molle, engrenage infernal, déchaînement des instincts les plus vils, inconscience coupable, remords souvent vite écartés.... On s'y perd, on s'interroge, bien persuadé au fond de soi, que tout peut recommencer ici ou ailleurs.


Peinture rupestre : la guerre à la préhistoire.
Source : doltopamartsplat.overblog.com

Pour terminer tout de même sur un sourire, voici la dédicace laissée par mon petit-fils de 19 mois, sur la page de garde, découverte juste au moment où je refermais ce livre, en soupirant.



Un futur historien ?

jeudi 18 janvier 2018

LE DERNIER ERMITE








Titre original : "The stranger in the woods"
Auteur : Michael FINKEL
Traducteur : Johan-Frederik Hel Guegj
Editions : JC Lattès. 2017. 272 pages


De 1987 à 2014, soit durant 27 ans, le camp d'été pour enfants souffrant de handicaps de Pine Tree et les trois-cents bungalows  qui s'échelonnent le long des vingt-trois kilomètres qui délimitent  l'Etang du Nord et le Petit Etang du Nord,  non loin du village d'Albion dans le Maine, furent la cible de multiples vols aux caractéristiques similaires : des vols "propres", pas du vandalisme,  des objets ciblés : vivres surtout sous emballage, matériel de camping, vêtements pour homme, piles, livres et revues, très peu d'argent...
Le voleur était si prévisible que bientôt chacun sut qu'il était "un bec sucré",  préférait un certain type de bière à un autre et les slips aux caleçons.
On invoquât d'abord une bande d'adolescents, puis petit à petit, le Maine ayant toujours été "une terre d'excentricité", se construisit la légende de l'ermite.


North Pond et Little North Pond 
Source :daysrealstate.com


Mais tout lasse.
En 2004 , la plupart des bungalows ayant été visités,  aucune trace ne permettant de suivre une quelconque piste, les battues au milieu des bois et des amas de rochers qui forment l'environnement des étangs étant restées infructueuses, une caméra à détecteur de mouvement  fut installée par l'un des propriétaires. Elle  permit enfin d'apercevoir le responsable de tous ces troubles : un homme vêtu proprement "ni émacié, ni barbu", pas particulièrement "agile ou robuste" : rien d'un homme des bois, non, un  "Monsieur Ordinaire", dont, malheureusement le visage restait flou.
Ce n'est que dix ans plus tard, qu'un un garde-chasse amateur de technologie de pointe réussit à le piéger :

Christopher KNIGHT, 49 ans, cinquième enfant d'une famille de"gens de la campagne" du tout proche village d'Albion, brusquement disparu à l'âge de 22 ans, sans que rien ne puisse l'expliquer. Juste un garçon silencieux et timide, "mais pas du tout bizarre".

Cette découverte entraîna un énorme tapage médiatique dans tous le pays.

Seul, Michael FINKEL, journaliste dans le Montana, réussit à entrer en contact avec lui, en lui adressant une lettre respectueuse, dans laquelle il évoquait son goût pour la nature et la littérature. Une semaine plus tard, il recevait une courte réponse rédigée au dos d'une photo d'un vieil homme, qui avait toujours vécu dans la brousse. Une correspondance espacée suivit ainsi que quelques rencontres durant l'incarcération de KNIGHT, puis après sa sortie de prison.


Le camp de Christopher KNIGHT

Source : mainepublic.org


C'est à partir de ce matériau, enrichi par la visite de l'extraordinaire "camp" que Christopher KNIGHT avait établi peu à peu, que Michael FINKEL a écrit cet ouvrage.
 Il y dresse  le portrait (est-ce d'ailleurs possible ?) de cet homme, qui a choisi de vivre  la vie dont il avait besoin : rêver, "penser à tout ce qui [lui ]passait par la tête", "observer la nature", lire, écouter parfois la radio, survivre aussi, tache épuisante dans cet environnement, être seul (27 ans), en affirmant cependant ne jamais l'avoir été. Vivre.
Son seul regret, ou plutôt sa honte : avoir volé, seule façon pour lui de pouvoir échapper "au contact des autres", qui "le soumettait à un état de tension permanent".

J'ai beaucoup aimé ce livre, histoire d'une rencontre, aussi courte fut-elle, entre deux hommes, capables de pleurer ensemble.

J'aimerais apprendre un jour que Christopher KNIGHT  a pris à nouveau une route, que tout le monde ignore et que surtout que personne ne souhaite connaître.

jeudi 11 janvier 2018

POUR TANIA


Deux clichés, pour Tania, qui nous a si bien parlé de Marguerite Yourcenar récemment et pour Christian également qui avait fait de même un peu avant.




Le bois et la rivière , près desquels est déposée l'urne contenat les cendres de Marguerite Yourcenar, sous cette simple petite dalle.





Je n'ai jamais rien vu d'aussi apaisant.

lundi 8 janvier 2018

UN CLAFOUTIS AUX TOMATES CERISES





Auteure : VERONIQUE DE BURE
Editions : Flammarion 2017- 384 pages


Toutes les fois où je vais voir ma mère, je lui porte une pile de livres. Ceux qui m'ont plu, ceux dont je pense qu'ils lui plairont.
C'est ce que j'ai fait en arrivant pour Noël.
Mais cette fois, elle m'a également tendu un livre, en souriant : " Tiens lis-çà !"

En fille obéissante que je suis,  je l'ai fait, entre deux préparations de repas ou aux heures bénies où petits et grands ne souhaitent qu'une chose : être tranquilles, chacun dans son coin.

JEANNE, donc, a 90 ans et, allez savoir pourquoi, au début du printemps, elle décide de tenir son journal durant toute une année.
Ce n'est pas qu'elle pense avoir des choses importantes à raconter, non, elle souhaite simplement consigner les petits faits, qui font sa vie à présent.

Parisienne bon teint, elle n'est jamais devenue vraiment campagnarde.  Depuis la mort de son mari, il y a déjà plusieurs années, elle vit seule, près d'un village entre Moulins et Vichy, dans la grande maison familiale, qu'elle n'utilise  plus qu'en partie, sauf quand enfants et petits enfants s'annoncent.

Mais seule ne veut pas dire solitaire :

il y a d'abord les voisins : les vieux fermiers Bernard et Marcelle. Ils sont "la présence", ceux qu'elle aperçoit derrière ses fenêtres, qui débarquent chez elle pour un prétexte ou un autre, pour rendre ou demander service.
Il y a le jardinier et la femme de ménage, dont la venue rythme la semaine et dont la défection, momentanée entraîne d'intenses négociations avec leurs suppléants temporaires.
Il y a ses amies, Gilberte, Nine, Toinette, réparties aux alentours, veuves elles aussi, qu' elle retrouve à la messe, ou avec plus de plaisir encore, chez l'une ou l'autre, devant un gâteau fait maison -est-ce utile de le préciser ?- tasses de thé ou verres de muscat, quand ce n'est pas devant les tables de bridge où quelques vieux messieurs se joignent à elles.
Il y a les enfants enfin, les petits enfants et leur chien, qu'elle attend avec plaisir, mais voit aussi repartir avec un certain soulagement.

Il y a aussi les objets :
Ceux qui lui sont indispensables : la petite voiture, la radio, les télés,  les journaux et magazines
pourvoyeurs de mots-croisés et le congélateur. Très important le congélateur !
Ceux qu'elle aurait tendance à trouver superflus, comme le téléphone portable ou l'alarme qui la relie au centre de secours et qui la barbent, mais les enfants ont dit...

Les jours s'écoulent sans ennui, les pensées sont splendides cette année, une vache ou un cheval s'invitent parfois dans le jardin, Marcelle semble perdre la tête puis  la perd pour de bon, une amie tombe malade...  Mais il faut préparer des choux pour l'apéritif et les mettre au congélateur pour l'arrivée des enfants.
Les nuits sont parfois plus difficiles, le sommeil n'est pas toujours là, on entend des craquements bizarres... mais qu'on est bien le lendemain, à lire dans son fauteuil tandis que le vent souffle.

Jeanne n'en demande pas plus, vit avec bonheur tous ces moments, s'attristant parfois mais se reprenant vite, sachant profiter  de tous les "Bonheurs du jour" et pardonner ses propres faiblesses, comme celle de ne pas entretenir la tombe de son mari au cimetière de Moulins... Elle a toujours détesté Moulins.

Elle n'est pas dupe, il ne faut pas perdre une minute, il vaut vivre, simplement, profiter de chaque moment.

Ce livre charmant, même s'il n'est pas dénué de clichés, risque d'ennuyer les plus jeunes ou au contraire de leur faire porter un autre regard sur les vieilles personnes qu'elles connaissent, ou croisent dans la rue.
Par contre il risque de charmer et émouvoir tous les "grands enfants", de soixante ou soixante-dix ans, qui ont encore la chance de pouvoir chérir un parent âgé de cet acabit.

Pour moi, j'y ai retrouvé la vie de ma nonagénaire préférée, qui de plus, mène ses affaires de main de maître, envoie des mails, consulte internet, appelle sur Face-Time, ne joue pas au bridge ni ne va à la messe, mais ne raterait pour rien au monde son jour de chorale. 
Plus finaude  que Jeanne,  elle a eu le talent de se faire des amies de vingt ou trente ans ses cadettes, histoire de ne pas rester seule, quand ses contemporaines ont une fâcheuse tendance à disparaître.

1mètre 51 d'attention aux autres et de joie de vivre, 1 mètre 51 de COURAGE.


TRES BONNE ANNEE 2018 A TOUTES ET A TOUS !