mardi 23 octobre 2018

LES SAISONS DE LA NUIT




Auteur  : COLUMN MC CANN
Titre originel : "THE SIGHT OF BRIGHTNESS"
Traduction : Marie-Claude PEUGEOT

Il y a la ville, la grande ville, la métropole celle qui peu à peu dévore, les champs, les forêts et  s'insinue sous terre, sous les rivières aussi profondes et larges soient-elles, qui étend ses réseaux sur et sous le sol, avant de s'attaquer au ciel en édifiant d'immenses buildings, tours, gratte-ciel, qui peu à peu grignotent l'horizon.

Pour l'irriguer, il a fallu des hommes, des blancs, des noirs des dits rouges ou jaunes, des qui parlent anglais-fort peu-,  irlandais, italien, russe, que sais-je encore, qui défoncent le sol à coups de pique ou de mines, qui charrient les gravats, qui sautent aussi parfois en même temps que la roche, qui perdent un membre ou la vie et pour ceux qui s'en sortent, à terme la santé.

Pour la construire, il en a fallu d'autres encore, souples, habiles, indifférents au vide qui pourtant les entourent.


Ouvrier sur un chantier routier, en fin de journée. Yukon Canada. Cliché personnel.

Tous se sont plaints, tous ont été moqués, ritals ou négros, mais tous ont été fiers. Et puis il faut bien vivre, nourrir la famille que l'on retrouve le soir dans les quartiers où les autres, ceux que la ville enrichit, ne veulent pas vivre, nourrir aussi  les illusions de ceux qui sont restés au pays, le vrai, celui qu'on rêve de retrouver, qu'il s'appelle Géorgie, ce sud profond, ou Irlande ou tant d'autres encore.

Les uns ont  vécu, ont aimé, ont perdu leurs amours, sont  devenus  vieux, raides, essoufflés et pourtant  son restés joyeux.
D'autres ont cru tout avoir : amour, enfant, et même suffisamment d'argent  pour ne plus se sentir pauvre. La vie semblait pouvoir être belle, puis tout brusquement s'est écroulé.

Ils  sont devenus des clochards, des épaves : ils son sales, sentent mauvais, boivent, se piquent ou avalent trop de cochonneries. Pourtant ils ne sont pas SDF, ils ont un abri là, dans le ventre de la terre, ou ils conservent la trace des visages ou des lieux qu'ils ont aimés.

Source : Journal "L'Alsace".

Je ne dirai pas plus de ce très beau livre, construit autour de deux personnages dont on soupçonne jusqu'au bout ou presque les liens sans les comprendre et dont on découvre la vie de chapitre en chapitre, chacun d'entre-eux en étant le centre successivement.

C'est un livre qui marque, qui nous fait regarder avec plus d'attention et de respect, ceux qui travaillent sur les chantiers les plus durs et dont la couleur n'a guère changé, comme ceux que nous trouvons de plus en plus nombreux dans nos villes, assis à la porte du supermarché, grommelant et gesticulant en arpentant nos rues, affalés sous le poids de leur vie et de tout ce qu'ils avalent, pour l'oublier sur les bancs qui peuvent encore les accueillir. 

C'est un livre plein d'humanité que je n'oublierai pas.


Durant encore une quinzaine de jours mes parutions risquent fort d'être courtes et mes commentaires sur vos blogs assez irréguliers...  Il faut savoir s'adapter et c'est ce que j'essaie de faire, mais je tenais tout de même à m'en excuser auprès de vous.


vendredi 12 octobre 2018

RODERICK HUDSON





Titre original : RODERICK HUDSON. 1876.
Auteur HENRY JAMES
Traduction : Anne BATTESTI
Editions : Bibliothèque de  La Pléiade. Gallimard. 354 pages


Il est des livres qui me font contrairement à d'autres, perdre tout esprit critique. Il me suffit d'en lire quelques lignes et je sais que je poursuivrai, sans sauter un mot, jusqu'à la dernière, en n'éprouvant que plaisir et admiration.
"Roderick Hudson" est de ceux-là.

 Second roman de Henry James et premier "au décor international", cet ouvrage nous entraîne  à la suite du riche et jusque là désoeuvré  Rowland Mallet, qui découvre brusquement sa vocation de mécène, en admirant la statuette qu'un jeune-homme, Roderick Hudson, a sculpté puis offert à la cousine chez qui Rowland passe quelques jours avant de quitter l'Amérique pour l'Europe.

Roderick est beau, "impulsif, spontané, sincère" et incapable de résister à la proposition qui lui est faite, de quitter Northampton, Nouvelle-Angleterre,  autrefois épicentre "d'un calvinisme intransigeant" bien peu "propice aux épanouissements artistiques".
D'autant plus que les ambitions du jeune-homme ne sont pas minces : "Faire aussi bien que Michel-Ange", sinon rien.

Si Roderick est enchanté, sa mère l'est beaucoup moins : veuve, ayant déjà perdu un fils aîné, elle a toujours vécu à Northampton et son seul rêve est de voir le seul enfant qui lui reste, s'y établir,  devenir un  homme de loi respecté et mener une vie aussi pieuse et terne que la sienne.
Miss Garland, la jeune cousine fille de pasteur, qui séjourne pour quelques temps chez Mrs Hudson,  n'a probablement pas d'autre ambition pour lui, mais y renoncera si le bonheur de Roderick nécessite son départ à l'autre bout du monde.


Northampton. Massachussetts

Bien sûr leur arrivée en Europe et particulièrement à Rome, où s'installent les deux jeunes-gens, est une véritable extase. Roderick travaille, Rowland pourvoie à tous ses besoins, veille aussi sur lui conscient à l'extrême de sa responsabilité,  devant Mrs Hudson et Miss Garland qui lui font totalement confiance pour veiller sur leur idole.
 Troublé d'avoir appris les fiançailles de cette dernière avec son cousin, Rowland met de côté les sentiments que celle-ci lui a inspirés au premier coup d'oeil et ne peut que se remémorer la beauté cachée de cette jeune-femme intelligente, secrète et droite.

Mais Rome, est dangereuse pour une âme passionnée, égotiste, inconstante.
Et Roderick Hudson n'est pas Ulysse acceptant de se faire attacher au mât de son navire pour échapper aux chants des sirènes. La belle et capricieuse Miss Light va rapidement se révéler la plus dangereuse d'entre elles.


Rome

A partir de ce moment les événements vont s'enchaîner, inéluctables. Les caractères d'abord esquissés vont peu à peu se dévoiler, en miroirs inversés.
D'un côté la facilité, une certaine paresse, l'incapacité à résister à toute tentation, une attention forcenée à soi et à ses états d'âme, que le génie est sensé excuser. 
De l'autre, le sens du devoir, la générosité, la capacité à se maîtriser, une attention sensible aux autres, qui semblent naturelles et comme dues à ceux qui en sont tellement dépourvus.
Pourtant pas de manichéisme. L' âme la plus cruelle n'est pas la plus noire. Chacun va au bout de lui -même, plus ou moins enchaîné à l'autre, les yeux ouverts.
Aucun d'eux, aucune d'elles ne sortira vainqueur de l'aventure, chacun accomplira son destin avec éclat ou modestie selon le cas. 
Et tous les coeurs seront brisés.


Alexandre Calame (1810-1864) Montagne en Suisse. Crayon et fusain sur papier.


Je ne sais pas ce qu'il faut le plus admirer dans ce livre du contraste.
La construction sage, en chapitres équilibrés -le roman a paru tout d'abord en feuilleton dans la presse - qui  nous conduit implacablement vers la fin.
Le style pour moi parfait, qui sans aucune fioriture, sans un mot de trop,  avec précision et délicatesse, sait rendre l'enchaînement des événements comme les nuances et les variations violentes ou subtiles des sentiments.
La connaissance des tourments des âmes, ceux que certains s'infligent et infligent, ceux que les autres supportent et qui laissent à jamais coupables, malgré leur juste révolte, ceux qui ont toujours cherché à aimer, malgré tout, fidèlement.

Vous l'aurez compris je n'oublierai pas ce livre  et je suis profondément heureuse de savoir qu' il me reste encore de nombreux romans d'Henry James à découvrir.

vendredi 5 octobre 2018

IDAHO





Titre original : IDAHO -2017
Auteure : Emily RUSKOVICH
Traduction : Simon BARIL
Editions Gallmeister - 2018 - 358 pages.


Je sens que cet article va être difficile à écrire car  je me dois, ni d'en dévoiler les ressorts, ni me montrer trop critique sur certains aspects qui m'ont gênée car c'est un livre de qualité,  qui ne mérite en aucun cas d'être écarté, comme nous avons parfois envie de le faire lorsque les critiques dithyrambiques, qui figurent sur la quatrième de couverture, nous semblent, tout compte fait, un peu exagérées.

Tout d'abord je pense important de dire que c'est un  premier roman, qui fait suite à des recueils de nouvelles, qui ont été assez appréciés, pour être récompensés par un prix prestigieux outre-atlantique.

L'intrigue se déroule dans les montagnes de l'Idaho entre 1975 et 2025 et implique un homme, Wade, coutelier et éleveur de chiens, ses deux épouses successives, Jenny et Anne professeur de piano et de chant, les deux filles de son premier mariage June et May, ainsi qu'un personnage, totalement extérieur la famille, Elisabeth, qui partage avec Jenny, une expérience dévastatrice.

Rien n'aurait dû venir troubler la vie tranquille de ce couple et de leurs enfants et Anne n'aurait jamais dû  entrer dans cette famille,  si le drame ne s'était pas brusquement invité au coeur de la montagne.
A partir de là tous les personnages vont vivre  une expérience commune, sans la partager  vraiment , chacun à leur place.
Une expérience cruelle marquée par la perte, les ressorts de la mémoire et la culpabilité, et d'autant plus lancinante qu'un espoir, de plus en plus tenu au fur et à mesure que les années passent, s'emploie à maintenir les plaies ouvertes.

 Voici donc un  beau sujet et de beaux personnages. Des êtres sensibles, éminemment respectueux les uns des autres, aimants. Wade ne veut pas parler de ce qui c'est passé tout en continuant à espérer. Il avance vers le destin qui est celui des hommes de sa famille sans flancher. Jenny boit son calice jusqu'à la lie, culpabilité et dégoût d'elle-même mêlés, sans jamais regimber. Elisabeth sait, pour le bien d'une autre, se séparer de ce qui donnait sens à sa vie. Quant à Anne, elle continue à chercher pour aider et tout au long de son parcours fait preuve d'un grand courage et d'une totale humanité.

Voici également un récit construit avec une grande habileté. Les évènements ne se succèdent pas par ordre chronologique mais se combinent, peu à peu dans un désordre temporel voulu, jusqu'à nous mener au terme de l'histoire, sans la résoudre totalement, ce que j'ai curieusement regretté et apprécié, car elle semble devoir ainsi se poursuivre, sait-on jamais ?

Voici enfin une auteure qui sait ce qu'écrire veut dire, peut-être  même un peu trop.

Trop et pas assez voilà ou pour moi le bât a blessé.

Des personnages trop parfaits. A plusieurs reprises je me suis interrogée sur ce lieu où tous et toutes ont un tempérament d'une telle sensibilité.
Un récit un peu trop maîtrisé, un style parfois trop travaillé qui m'ont fait souvent penser à un exercice littéraire.
Quant au "pas assez", il concerne particulièrement le noeud du drame, qui m'a semblé  d'une légèreté plus qu'étonnante. Une impulsion, certes, mais tout de même.

Je conclurai, en disant qu' Emily RUSKOVICH est certainement une auteure à suivre.  Le dernier chapitre est en effet bouleversant. Elle a un grand talent qui serait encore plus éclatant me semble-t-il si elle acceptait  de faire un peu plus simple.
Il faut bien que jeunesse se passe, même lorsqu'elle est prometteuse!