Auteur : ALDO PALAZZESCHI
Traduction : Gérard Loubinoux et Emmanuelle GENEVOIS
Editions : Le Promeneur /Folio n°2188 - 374 pages -
Les soeurs Materassi ?
Toutes les dames de la haute-société florentine étaient capables de les nommer.
C'était auprès d'elles et nul part ailleurs qu'elles se fournissaient en lingerie fine et faisaient réaliser le trousseau de leurs filles. Il leur fallait pour cela, prendre leur auto, se rendre à Santa Maria a Converciano, quelques maisons dans la plaine rassemblées autour d'une église.
C'est dans l'une d'entre elles, une maison de maître tout de même, que se tenaient Teresa et Carolina, la cinquantaine, "courbées sur leur métier", attentives jusqu'au soir à produire ce qu'il y avait de plus délicat, de plus beau.
Musée de la Broderie. Pistoia. Italie |
Parfois c'était aussi "Un prélat de Florence", entouré d'une nuée de dévotes, qui venaient leur rendre visite. Il faut dire que sortaient de leurs mains des merveilles.
Devant d'autel. Musée de la Broderie. Pistoia. Italie. |
C'est ainsi, pièce après pièce, fil après fil, qu'elles avaient "d'abord endigué la ruine" de leur famille "avant de la relever et d'en mener une reconstruction digne d'éloges solennels".
La débauche de leur père, la douleur de leur mère avaient ainsi fait "pousser des filles sages et tranquilles, affrontées à la dureté de la vie, à ses luttes, chargées de chagrins, laborieuses, dépouillées de toute aspiration à la joie".
Elles ne s'étaient pas marié, bien sûr.
Mais maintenant tout était réparé, c'était leur prestige et leur orgueil.
Elles pouvaient vivre tranquilles avec Niobé, leur "bonne et joviale" servante.
Bien sûr, il y avait aussi Giselda, la cadette, revenue vivre avec elles après un mariage désastreux. C'est elle qui administrait le domaine, effectuait en ville les livraisons, sous le regard peu amène de ses deux aînées, qui ne manquaient jamais de lui reprocher son échec, bien mérité selon elles.
Quant à Augusta, qui s'en souciait encore ? Elle était la troisième, "moins intelligente qu'elles, peu entreprenante", ne possédant "pas non plus la beauté et la vivacité de Giselda". Assembleuse dans une fabrique de chaussures, elle s'était mariée "avec un manoeuvre des chemins de fer", était partie vivre "en" Ancône, avait eu un enfant, aussitôt doté par ses tantes "de vêtements délicieux,... des béguins, des petites robes, choisis ou exécutés par elles-mêmes, d'un raffinement aristocratique".
Tout aurait pu continuer ainsi. Mais le destin joue parfois de curieux tours.
Augusta, devenue brusquement "veuve et indigente" puis "frappée par un mal violent", les pousse à quitter maison et métiers. A peine sont-elles arrivées qu'elle meurt, après leur avoir confié son fils, Remo, âgé de quatorze ans, à peu près illettré, mais si beau, si raisonnable, si mystérieux...
Comment résister à l'appel d'une mourante ?
Est-il nécessaire de préciser, que leur vie ne sera jamais plus la même ? Que Remo va éveiller en elles des sentiments, des sensations, dont elles ne soupçonneront même pas pas la nature ? Qu'une route, pleine d'embûches s'ouvrent sous leurs pieds, qui deviendra vite un vrai chemin de croix ?
Face à ses femmes simples, qu'il sait dresser comme "des singes", Remo, saura conduire sa vie selon ses intérêts, leur distribuant avec parcimonie, mais avec une maestria sans pareille, à qui des marques de tendresse, à qui les reflets de sa virilité .
J'ai beaucoup aimé ce livre, tout emprunt d'ironie , qui dépeint si bien ce coin de Toscane, ce petit monde clos, ces vies bridées, construites sur des chimères, la fragilité des âmes qui se croient fortes, les pouvoirs magnétiques de la beauté.
Je vous le recommande vivement !