Titre original : "The German War- A Nation under Arms, 1939-1945 "
Auteur : Nicholas STARGARDT
Traduction : Aude de SAINT-LOUP et Pierre-Emmanuel DAUZAT
Editions : La librairie VUIBERT 2017 -797 pages.
En 1983, paraissait aux éditions Fayard, l"Atlas Stratégique" de Gérard Chaliand et de Jean-Pierre Rageau. Celui-ci débutait par cinq pages de cartes regroupées sous le titre "Les visions du monde", qui présentaient celui-ci, tel que le voient en planisphère, l'Amérique du Nord, feue l'Union Soviétique, l'Europe, la Chine et le monde arabo-musulman.
Ces points de vue différents, furent pour moi une découverte, un véritable choc, habituée que j'étais à voir le monde, réparti de part de d'autre de notre continent.
J'ai ressenti le même déséquilibre, en lisant le livre de Nicholas STARGARDT, qui comme l'indiquent titre et sous-titre aussi importants l'un que l'autre, présente la seconde guerre mondiale, telle que l'a vécue le peuple allemand, sur les fronts comme au coeur du pays mais également pourquoi celle-ci était justifiée à ses yeux.
En suivant un plan parfaitement chronologique, des prémices à l'effondrement final, l'auteur parvient à la fois, chapitre par chapitre, à décrire l'enchaînement des évènements et les réactions, positives ou négatives des soldats comme de la population civile.
Pour ce faire Nicholas STARGARDT, s'est appuyé sur une vaste documentation, des livres bien sûrs, mais également des journaux intimes, des lettres échangées entre époux, amants, parents et enfants, restés chez eux, déplacés, ou sur le front.
On peut ainsi, peu à peu, suivre leur parcours (pas toujours complet) et découvrir l'évolution de quinze "personnages principaux", de profils contrastés, issus cependant majoritairement des classes moyennes, parfois supérieures, du menuisier de Thuringe au professeur d'université, en passant par la jeune et coquette photographe chargée de faire des clichés de propagande.
Ils ont tous les âges, de l'adolescence à l'âge mûr, sont protestants ou catholiques, certains sont juifs, partagent l'idéologie nazie totalement, peu ou pas.
D'autres témoignages plus ponctuels, complètent également ce tableau complexe qui mène souvent à s'interroger sur la nature de telle ou telle réaction, allemande ou seulement humaine, dans ce que ce mot à de moins brillant.
Si l'on se demande durant un moment s'il est possible de tirer des conclusions générales d'un échantillon aussi restreint, on comprend vite que ces témoignages permettent surtout d'introduire magistralement la complexité de l'humanité dans un corpus de connaissances -il y a près d'une cinquantaine de pages de bibliographie- toujours en construction, mais déjà bien établies.
M'ont particulièrement frappée :
- La volonté farouche et partagée de ne pas imposer à la génération suivante les affres de 1918.
- L'habilité diabolique, de la propagande, martelant année après année, que l'Allemagne était attaquée par le capitalisme, puis le bolchevisme, juif international,"en vue de garder leur nation dans l'esclavage qui était le sien" depuis cette date.
- La façon dont Hitler, "pacificateur (autoproclamé) frustré", s'est appuyé "constamment sur le désir de paix des Allemands et les intentions de paix" pour "... doter le peuple allemand de l'armement toujours nécessaire pour fonder l'étape suivante". Il s'agit bien entendu du discours qu'Hitler répétait à l'envie, pour modeler l'opinion publique et y parvenir.
- La croyance qui en découle jusqu'en 1942, pour la majorité des Allemands que "la guerre demeurait encore une guerre de défense nationale".
- Le sentiment profond jusqu'à la fin du conflit, fortement renforcé, après les bombardements des villes allemandes, d'être des victimes, permettant de justifier, parfois inconfortablement, que "la guerre [soit] devenue impériale et génocidaire".
- A partir de 1941, ce que l'auteur nomme "le secret partagé", c'est à dire le sort réservé aux Juifs. Comme l'écrit dans son journal, une jeune journaliste, en comparaison des bombardements et du rationnement la " grande masse de la population est indifférente, voire approuve, l'éradication des Juifs", même si inversement, certains, craignent d'être allés trop loin et de devoir payer pour cela.
- L'attitude, parfois courageuse, souvent très qu'ambigüe des églises catholique et protestantes.
A l'inverse, les positions pacifistes affirmées jusqu'à la mort, des Témoins de Jéhovah et de quelques opposants comme ceux du mouvement de "La Rose Blanche".
- L' organisation presque sans faille , des services d'aide à la population.
- Le jusqu'au boutisme de la plupart des dirigeants, pour lesquels contre toute évidence, il fallait "tenir", quitte à sacrifier pour cela, des milliers d'hommes, d'adolescents, voire d'enfants.
- Le démantèlement de la solidarité nationale "sous la force de l'invasion alliée", entraînant, l'exacerbation des "fidélités locales", avec sa suite d'exactions parfois terribles entre concitoyens : pillage, viols, exécutions...
- La guerre terminée, les "barrières de silence" qui s'élèvent entre les générations à propos des calamités que les plus anciennes ont provoquées, tout en en souffrant elles-mêmes.
C'est curieusement un livre facile et difficile à lire. Si le style est très clair, l'enchaînement des horreurs est, comme toujours sur ce sujet, accablant.
Mais ce sont surtout les réactions des acteurs, de cette tragédie, qui rendent le parcours ardu. Adhésion farouche ou plus molle, engrenage infernal, déchaînement des instincts les plus vils, inconscience coupable, remords souvent vite écartés.... On s'y perd, on s'interroge, bien persuadé au fond de soi, que tout peut recommencer ici ou ailleurs.
Mais ce sont surtout les réactions des acteurs, de cette tragédie, qui rendent le parcours ardu. Adhésion farouche ou plus molle, engrenage infernal, déchaînement des instincts les plus vils, inconscience coupable, remords souvent vite écartés.... On s'y perd, on s'interroge, bien persuadé au fond de soi, que tout peut recommencer ici ou ailleurs.
Peinture rupestre : la guerre à la préhistoire.
Source : doltopamartsplat.overblog.com
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Pour terminer tout de même sur un sourire, voici la dédicace laissée par mon petit-fils de 19 mois, sur la page de garde, découverte juste au moment où je refermais ce livre, en soupirant.
Un futur historien ?