En guise d'au revoir temporaire, je vous offre les premières pages du dernier livre* de Françoise Héritier, dont j'ai appris le décès avec stupeur, le 15 novembre dernier, alors que je l'avais écoutée quelques jours auparavant, avec toujours la même admiration mêlée de plaisir.
"... grelotter d'un coup, et se blottir sous une couverture, accorder du temps et de l'indulgence aux gens pressés et intolérants, se souvenir qu'un camionneur lors de la grande tempête qui coucha tous les arbres de la forêt de Paimpont et d'ailleurs avait vu un groupe de vaches s'envoler dans les airs bien au-dessus de son pare-brise d'après les témoignages publiés par Ouest-France, essayer d'avoir le débit de paroles de la spirituelle et mutine Marie Dubois dans "Tirez sur le pianiste", saliver devant des plats simples tels que de belles tomates farcies ou une brandade de morue ou un hachis parmentier fait maison, faire à quarante ans passés une nouvelle robe à sa poupée chauve début de siècle, trinquer dans un bar de bord d'autoroute avec des chauffeurs de poids lourds, voir des formes étranges dans les nuages ou dans le papier peint ou sous ses paupières pressées avec les pouces, rire au souvenir de la mésaventure de ce jeune-homme en vélo sur une route africaine que freinait par-derrière à coups de patte une jeune lionne facétieuse et qui battait pour le coup des records de vitesse debout sur les pédales, vider discrètement son verre d'un mauvais soda dans un palmier en pot, se battre avec constance avec le pied de chèvre cuit avec son sabot et sa fourrure qui vous échut au hasard du service, sourire aimablement à la personne qui vient de vous parler sans que vous ayez saisi un mot de ce qu'elle a bien pu vous dire, détester le tutoiement d'office, écouter avec tendresse ce vieux monsieur si heureux d'avoir trouvé une oreille accueillante pour pouvoir raconter sa guerre de 14-18 et son évasion miraculeuse...."
Le Collège de France en 1985 |
Je souhaite à chacun et chacune d'entre vous, de passer de Bonnes Fêtes et de commencer l'année 2018, avec un esprit aussi ouvert que le sien, un humour aussi tendre, une aussi grande simplicité.
Par contre j'espère que "mauvais soda" et "pied de chèvre cuit avec son sabot et sa fourrure" vous seront épargnés...
*"Au gré des jours" Editions Odile Jacob 2017