Un format plus grand ou plus petit que de coutume, une couleur étonnante, un détail insolite, parfois tout cela à la fois et nous voilà oubliant le reste, fasciné par un seul objet.
Tel a été le cas pour moi devant ce tableau qui cumulait un peu tous ces critères : grande taille, tons raffinés et surtout ce bien curieux monocle, qui donne encore plus de caractère au visage de cette femme dont on ne doute pas qu'elle en soit déjà bien doté !
Anna- Dorothea Therbusch. Autoportrait 1777. Gemäldegalerie - Berlin- |
Anna-Dorothea THERBUSCH, donc, la voici telle qu'elle a choisi de se représenter à l'âge de cinquante-six ans : robe froissée, cheveux grisonnants retenus à la va-vite, assise sans afféterie, livre à la main et monocle sur l'oeil, certainement pas une gracieuse poupée, mais une femme qui cherche et qui sait.
Mais qui est-elle et quels chemins a-t-elle pris pour en arriver là ?
Née à Berlin en 1721, d'un père portraitiste d'origine polonaise qui lui apprend le métier dès sa prime enfance, Anna-Dorothea LISIEWSKI, est considérée très tôt comme un prodige, que s'arrache la haute-société.
Si son mariage avec un aubergiste et la naissance de quatre enfants freinent un temps la pousuite de sa carrière, celle-ci reprend dès 1761, lorsqu'elle est appelée à la cour de Stuttgart auprès du duc Carl Eugen Von WÜRTTEMBERG, pour lequel elle peint, dans un délai très court, dix-huit tableaux pour orner la galerie des glaces de son château.
Sa carrière ainsi relancée, elle va d'une cour à l'autre - Mannheim en 1763, Berlin en 1764- engrangeant ainsi reconnaissance et argent.
Forte de ces appuis elle décide, en 1765 de tenter sa chance à Paris, alors métropole de l'art.
Le succès a-t-il été au rendez-vous immédiatement ? Celui-ci a-t-il été plus long à venir ? Les avis divergent.
Ce qui est certain c'est que DIDEROT joue un rôle important (et ambigu!) dans son parcours, comme en témoignent les huit pages qu'il rédige à son propos dans son "Salon de 1767".
Celles-ci révèlent tout à la fois :
- le poids des nécessaires recommandations dans le déroulement d'une carrière et DIDEROTs'y prête en l'introduisant auprès de ses nombreux amis et connaissances,
- la difficulté particulière du parcours des femmes , qui souhaitent être reçues à L'Académie Royale de Peinture et de Sculpture et auxquelles peu de choses sont épargnées : mise en doute de leurs capacités voire de leur honnêteté -sont-elles bien les auteures de ces oeuvres ?- , cantonnement aux seules scènes de genre, quand ce n'est pas acceptation du rôle d'objet sexuel que l'on attend d'elles.
"Ce n'est pas le talent qui lui a manqué pour faire la sensation la plus forte dans ce pays-ci. Elle en avait de reste. C'est la jeunesse, c'est la beauté, c'est la modestie, c'est la coquetterie. Il fallait s'extasier sur le mérite de nos grands artistes ; prendre de leurs leçons, avoir les tétons et des fesses et leur abandonner."
- ... et la duplicité même de notre encyclopédiste, n'hésitant pas à se déshabiller complètement devant elle, alors que posant pour elle elle lui demande de voir... son cou.
Nullement déstabilisée, elle continua de peindre un tableau aujourd'hui disparu, mais le portrait (en buste !) de DIDEROT nous est parvenu grâce à la gravure de BERTONNIER réalisée en 1821.
Curieux épisode, surtout d'avoir été raconté et utilisé à des fins très discutables !
Quoi qu'il en soit c'est bien en tant qu'Académicienne qu'Anna-Dorothéa THERBUSCH quitte Paris en novembre 1768, poussée au départ par des difficultés financières, laissant derrière elle, toujours selon DIDEROT, nombre de créanciers furieux, que doit calmer "le pauvre philosophe", qui ne voit plus en elle que "l'indigne prussienne."
De retour à Berlin, elle est accueillie à bras ouverts à la cour de Prusse, où FREDERIC LE GRAND devient son mécène. Il lui demande de réaliser des scènes mythologiques pour le nouveau palais de Sans-Souci et se laisse peindre par ses soins grandeur nature.
Bientôt toute la cour et la bourgeoisie berlinoises, se l'arrachent, lui donnant ainsi l'occasion de réaliser de nombreux portraits, dans lesquels la réalité psychologique l'emporte sur les conventions.
A- D. Therbusch. Portrait de Henriette Herz 1778.
Gemäldegalerie - Berlin- |
C'est également à Berlin qu'elle meurt le 9 novembre 1782, à l'âge de 61 ans.
En écrivant cet article je voulais essentiellement attirer l'attention sur une de ces nombreuses artistes dont on garde si mal le souvenir.
Je n'ai trouvé que très peu d'informations en français sur Anna-Dorothéa THERBUSCH.
Ce que j'ai appris (péniblement!) provient presque exclusivement d'un livre de Gottfried Sello : "Malerinnen aus vier Jahrunderten" et surtout d'un article fouillé et passionnant de Bernadette Fort "Indicting the Woman Artist : Diderot, le Libertin, and Anna Dorothea Therbusch"que vous pouvez trouver ici.
Son analyse, qui présente le texte de Diderot comme l'exemple même de la critique artistique orientée (négativement !) par le genre, mérite largement qu'on s'y attarde.
J'attends avec impatience, la parution d'une biographie qui libère Anna Dorothea Therbusch d'un poids qui l'écrase encore (une pièce d'Eric Emmanuel Schmitt et un film de Gabriel Aghion intitulés "Le libertin" perpétuent aujourd'hui encore le portrait qu'en a donné Diderot) pour qu'elle puisse et son oeuvre avec elle trouver sa juste place.