De plus en plus, et c'est très bien, les écomusées fleurissent dans nos villes et nos campagnes.
Le Parc Naturel Régional du Morvan, a choisi pour établir le sien, une solution particulièrement intéressante.
Plutôt que de tout regrouper sur un même site, le choix a été fait de répartir sur l'ensemble du territoire quatre "maisons" ("des hommes et des paysages", "du seigle"", "des Galvachers" - les charretiers migrants du Morvan -, "du patrimoine oral de Bourgogne"), et trois musées : "Vauban"- le prestigieux enfant du pays-, "de l'élevage et du Charolais" - en hommage aux bêtes blanches qui paissent dans les prairies- et celui qui nous concerne aujourd'hui et le plus émouvant de tous :" le Musée des Nourrices et des Enfants de l'Assistance Publique".
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Maquette du musée |
Celui-ci, aménagé de manière très novatrice, dans une ancienne maison du bourg d'Alligny-en-Morvan (615 habitants), se veut "un espace de mémoire, de réflexion et de partage" qui permet de retracer "à partir d'archives historiques et de témoignages sensibles", "le parcours de ces enfants, ces femmes et ces hommes, qui ont contribué à l'histoire si particulière du Morvan".
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Morvandelle et son enfant accueilli. |
Car, de tout temps, le Morvan a été un pays pauvre et tout ce qui permettait d'apporter de l'argent et des bras était bienvenu.
C'est ainsi qu'en parcourant la rampe montante qui guide nos pas, en pénétrant dans les trois petites maisons qui traitent chacune d'un aspect particulier du problème, nous pouvons découvrir à côté de l'évolution du statut de la législation concernant les enfants placés, la vie quotidienne de ceux-ci, parfois bêtes de somme parfois enfants aimés, les caractéristiques des familles qui les accueillaient et les avantages que celles-ci tiraient de ce "métier".
Enfin, toute une partie du musée, est consacrée à ce que l'on pourrait considérer comme "l'industrie" des "nourrices sur lieu" ces femmes pauvres, qui partaient à Paris pour découvrir un mode de vie luxueux, dont elles bénéficiaient et qui faisaient vivre ainsi leur famille à distance, au prix de la perte de leur liberté, d'une longue séparation avec leurs proches, et du devenir souvent tragique de leur propre enfant.
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"Une nourrice sur lieu". |
Quelques chiffres pour illustrer l'ampleur et sous certains aspects la cruauté de cette histoire :
- Entre 1807 et 1891, 46 700 enfants ont été placés dans le Morvan, par les services parisiens de l'aide à l'enfance. Ceux-ci ne représentent d'ailleurs qu'un peu plus du quart, des enfants accueillis, puisqu'il faut ajouter à ce chiffre celui des enfants placés par les hospices de Bourgogne et surtout celui des enfants mis en nourrice par leurs propres parents, chez des nourrices dîtes "sur place";
- 35 600 d'entre eux ont survécus (76%) ;
- Ces enfants étaient placés dans les milieux les plus modestes : 49% chez des ouvriers agricoles, 43 % chez des "paysans".
- Prés de 900 femmes sont parties comme " nourrices sur lieu". Environ 450, de leurs enfants sont morts durant leur absence !
- En 14 mois de présence dans une famille parisienne, une "nourrice sur lieu" gagnait quatre fois plus qu' une "nourrice sur place", salaire auquel il faut ajouter les cadeaux, parfois si peu adaptés, faits par leurs patrons, vêtements, jouets, objets précieux ;
- Une partie des "nourrices sur lieu", restait beaucoup plus longtemps dans les familles : "nourrices sèches", elles ont créé avec les enfants dont elles s'occupaient des liens parfois tendres et étroits.
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Onglier, donné en cadeau par ses patrons, à une "nourrice sur place" |
Mais à côté de ces chiffres, le plus émouvant restent les témoignages :
Objets, comme ces colliers que devaient porter les enfants placés, avec la médaille sur laquelle était gravé leur "matricule" ou les carnets de suivi, sur lesquels était inscrit leur parcours, pas toujours simple ;
Vêtements, comme ces cartons de "vêtures" donnés par l'administration jusque dans les années 1960
parfois utilisés pour tous les enfants de la famille ;
Archives orales ou écrites, toujours pudiques et poignantes, qui témoignent le plus souvent d'une vie cruelle - manger et dormir à part, trop travailler, ne faire l'objet d'aucune attention-, même si certains enfants ont connu une vie beaucoup plus facile, quand ce n'est pas totalement familiale.
Le plus célèbre enfant placé du Morvan, reste certainement Jean Genet, confié à la famille Régnier, des artisans d'Alligny en Morvan. Arrivé bébé, puis élève doué, il y passe une enfance choyée , jusqu'à la mort brutale de Madame Régnier. Tout se complique alors pour lui vers l'âge de dix ans, lorsqu'il " prend conscience de sa condition d'enfant abandonné." Il commence alors "à voler et à fuguer" , rejoint une école de typographie, puis à quinze ans la colonie pénitentiaire de Mettray, qu'il quittera à 18 ans.
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Jean Genet, enfant, dans les bras de madame Régnier. |
Aujourd'hui encore, dans les villages, on rencontre de ses "vieux enfants", restés là où ils avaient été placés.
Certains, sales, souvent alcoolisés, semblent sortis d'une autre époque. D'autres ont fait leur vie de belle manière, poussés par leurs parents nourriciers.
Tout le monde sait que le vieux Monsieur X est un enfant de l'Assistance Publique. Certains se souviennent encore d'une arrière-grand-mère, qui a fait construire à son retour de Paris, la belle maison familiale, que l'on nomme "maison de nourrice", beaucoup plus raffinée que ses proches voisines.
Un musée passionnant et très émouvant qui décrit globalement des vies de misère.
Misère de ces enfants, abandonnés, qui se sont toujours sentis autres, misère aussi de toute une région, qui aujourd'hui sait parler de son histoire avec beaucoup de talent.
du 1er mars au 11 novembre :
du mercredi au dimanche de 10h à 18h
fermé le samedi matin
En juillet et août :
tous les jours de 10h à 18h, sauf le mardi
fermé le samedi matin
Toutes les photos et la plupart des textes en italique proviennent du musée