Titre original : "PATRIA" - 2016-
Auteur : FERNANDO ARAMBURU
Traduction : Claude BLETON
Editions : Actes Sud, 2018 -615 pages-
Le vendredi 20 avril dernier, "après plus de quarante ans de terrorisme et plus de 800 morts", juste avant de formaliser le 5 mai prochain sa dissolution, le groupe séparatiste basque ETA a demandé "pardon" aux victimes de ses violences, reconnaissant "le mal qu'elle a causé au cours de sa trajectoire armée" et sa "responsabilité directe" dans "la souffrance démesurée du peuple basque".
C'est à peu près à ce moment que j'ai refermé avec regret "Patria", le roman de Fernando ARAMBURU, qualifié platement sur l'inévitable bandeau rouge qui ceint à peu près tous les livres, "le grand roman du pays basque".
"La souffrance démesurée du peuple basque" aurait mieux convenu en effet.
Pourtant rien de théâtral ici. Juste l'histoire, sur quatre décennies, de deux familles basques, issues du même village.
Au départ deux amies d'école, Bittori et Miren, qui ont failli se faire nonnes, mais on vite changé d'avis après avoir rencontré le Txato et Joxian, qu'elles ont épousés. Les deux couples ont eu des enfants : un garçon et une fille pour les premiers, Xabier et Nerea, une fille et deux garçons, pour les seconds, Arantxa, Joxe Mari et Gorka.
Les femmes sont restées à la maison, les hommes ont travaillé, fait du vélo ensemble et ensemble joué aux cartes, dans la plus franche amitié. Le Txato a appris aux enfants à faire de la bicyclette et leur a payé des glaces, par les jours de chaleur. Joxian, au retour de l'usine, a ramené du potager des légumes dont Bittori a profité aussi. Les deux amies ont continué leurs sorties du samedi à San Sebastian. Même la réussite du Txato, gros travailleur qui a développé son entreprise de camionnage et fournit ainsi du travail au village n'a pas séparé ce petit monde jusqu'au moment où....
... l'impensable s'est produit. Le Txato, froidement abattu un après-midi de pluie, par un membre de l'ETA.
Tout explose alors.
C'est en cent-vingt-cinq courts chapitres, alternant les voix de tous les membres des deux familles, que Fernando Aramburu, déploie son récit. Les uns évoquent le passé, les autres le présent avec son poids de haine et de douleurs, que l'abandon définitif des actions armées en 2011 n'arrive pas à alléger, quand il ne développe pas un nouveau mouvement de rejet.
Cent-vingt-cinq chapitres pour décrire les ravages produits par ces meurtres chez chacun et dans la société : oubli impossible, vie qui s'arrête pour se fixer sur un seul but, frénésie mortifère, honte devant sa propre lâcheté, inversions perverses des valeurs, faisant de la victime le criminel, oubli total du prix d'une vie humaine, repli facile sur une idéologie à laquelle, même ceux qui lui ont prêté leurs bras, au fond, ne comprennent rien.
Rien de plus efficace pour démontrer l'horreur du terrorisme, "quelle horreur, quelle indignité ", tout en parlant simplement de la vie au jour le jour.
Rien de plus efficace non plus pour démonter les idéologies et leurs conséquences sur ceux qui s'y sont accrochés et payent à présent dans une cellule, les fautes de leur jeunesse, de leur bêtise ou de leur inculture.
Musée Juif de Berlin
Source : postdam.2013.blogspot.com
|
Tout ça : "Pour rien" : 835 morts, des milliers de prisonniers, autant de familles brisées sur plusieurs générations, même si l'espoir est là, visible sur le beau visage ravagé d'Aranxta, celui prêt à se dissoudre de Bittori, sur les traits vieillissants et accablés de Joxe Mari, et même sur celui de l'intraitable Miren.
Un livre, jamais larmoyant, plein d'énergie au contraire, à lire absolument et avec plaisir qui plus est, car bien loin justement de toutes les langues de bois.
La vie juste la vie, ses fragilités et sa complexité.