mardi 7 novembre 2017

LETTRES CHOISIES DE LA FAMILLE BRONTË 1821-1855








Auteurs : Anne, Branwell, Charlotte et Patrick BRONTË
Lettres choisies, traduites et annotées par Constance LACROIX
Editions : Quai Voltaire/La table ronde 2017 -591 pages-


Jusqu'à aujourd'hui, les lettres de la famille Brontë, ou tout au moins ce qu'il en reste, n'avaient jamais été publiées en français.
C'est pour combler ce manque que Constance Lacroix a choisi de rassembler et de traduire dans cet ouvrage, trois-cent-dix d'entre-elles, soit un tiers environ de la correspondance éditée en langue anglaise.

De fait et pour de multiples raisons, cette correspondance est surtout celle de Charlotte Brontë, puisque  90% des lettres traduites sont de sa main.

Ces lettres ont été adressées, entre 1821 et 1855, année de la mort de Charlotte à l'âge de trente-neuf ans, à quelques correspondants privilégiés, en tout premier lieu son amie Ellen Nussey, ses éditeurs George Smith et W. S. Taylor, ou à des membres de sa famille. 

Elles constituent bien sûr, un témoignage passionnant sur sa vie et celle de ses frère et soeurs, sur ses aspirations, son milieu, son époque mais, pour moi, sont surtout une formidable leçon de vie.

Bien loin de l'image doloriste que j'avais en tête, elles tracent le portrait d'une jeune-fille puis d'une jeune-femme, franche, loyale, coléreuse, ironique, déterminée, courageuse, qui forte de son éducation et de ses croyances, refuse de se laisser submerger par  tout ce qui limite sa vie ou la transforme en un champ de ruines.

Il y a la solitude de Haworth, d'abord, un monde clos auquel elle aimerait pouvoir plus souvent échapper. Toutes les conséquences d' une situation financière modeste, qui la pousse à devoir exercer le métier de gouvernante, pour lequel elle se sent si peu adaptée. Les responsabilités qu'elles considèrent comme siennes, fille devenue aînée d'un père veuf en charge de quatre enfants, "toutes les contraintes et le dur labeur" alors qu'elle est animée "d'un si vif désir de prendre son envol", d'"une si dévorante soif de voir, de connaître, d'apprendre."
Enfin les assauts successifs du malheur, la perte de sa mère  alors qu'elle a cinq ans, celle de ses soeurs aînées quelques années plus tard, celle encore plus cruelle, en l'espace de huit mois, alors qu'elle a  juste dépassé la trentaine,  de ses trois frère et soeurs, qui constituent avec son père, le centre de son univers.

Face à tout cela elle reste debout, considère qui lui reste encore "bien des motifs de gratitude", refuse la plainte, se tourne comme toujours vers le travail, qui "seul triomphe des chagrins les plus tenaces", se domine "en tyran" même si "les facultés se révoltent" et paie "le calme extérieur par une lutte intérieure presque insupportable".

Comme rarement, on peut mesurer aussi  dans ses pages le poids, l'étouffement qu'ont dû subir ces générations de femmes :

Si l'on n'apprend rien du processus créatif qui aboutit à l'écriture de "Jane Eyre" et de ses autres romans, on suit par contre avec un intérêt hésitant entre colère et "hilarité" tous les méandres de leur publication. Nom masculin d'emprunt, interrogations sur la possibilité que "Jane Eyre" "porte la marque de plus d'un esprit et de plus d'un sexe" et, une fois le pot aux roses soupçonné ou découvert, avalanche de stupidités :
"Si Jane Eyre est l'oeuvre d'une femme, il faut que celle-ci ait dépouillé toute féminité";  Roman  digne de louanges "sous réserve qu'il fût bien d'un auteur masculin" mais jugé "exécrable s'il était de la main d'une dame"...

Le cercle privé n'est guère plus ouvert. Alors qu'elle vient de se marier à Arthur Nicholls, un pasteur, ancien vicaire de son père, par ailleurs "un chrétien accompli et un homme de coeur", elle découvre qu'il lui faudra  demander à ses destinataires de fournir à son mari, sur papier,  la promesse de brûler, après lecture, les lettres qu'elle leur adresse, "sans quoi il n'y en aura pas du tout". 

Qui se souvient d'Arthur Nicholls ? Qui ne connaît pas Charlotte Brontë ? Quelle oeuvre encore plus riche aurait-elle pu produire dans un autre contexte ?

J'ai refermé le livre partagée entre admiration et tristesse. J'y retournerai car c'est vraiment un très beau livre.




Charlotte Brontë à 29 ans




15 commentaires:

  1. Je l'ai repéré sur d'autres blogs et noté. C'est souvent passionnant les livres épistolaires.

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  2. Tout à fait et celui-ci tout particulièrement. Bonne fin de journée, Aifelle et merci de ta visite.

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  3. Je regrette de ne pas lire plus de correspondances, elles sont si éclairantes sur une époque, les auteur(e)s. Je retiens ce recueil.
    Les contraintes pesant sur les femmes, les écrivaines de ces générations corsetées sont incroyables.

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  4. J'ai jusqu'à présent peu lu de correspondances. Celle-ci m'a particulièrement touchée et j'aimerais beaucoup avoir un avis masculin sur cet ouvrage. Pour ma part, je ne suis pas prête d'oublier Charlotte Brontë.

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  5. j'aime les correspondances, les journaux, les biographies donc je note ce livre là
    j'ai lu une bio de la famille évidement et c'est vrai qu'il en ressort de la tristesse ET de l'admiration

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    1. Je te le recommande vraiment Dominique. Rien de mieux je pense que ses lettres, pour découvrir Charlotte Brontë et son milieu. C'est sa force qui m'a le plus impressionnée.

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  6. Comme toi je lis peu de correspondances, elles disent tellement de leurs auteurs. Tu présentes si bien ce livre que je le note illico, merci!
    Bon week-end Annie.

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    1. Merci Colo, j'espère que tu le liras bientôt et que nous diras ce que tu en penses. C'est une si bonne chose d'échanger sur un livre que l'on aime.

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  7. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. J'ai également beaucoup aimé cette correspondance. Mais quelle vie aride, n'est-ce pas ?

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    1. Oui, terriblement et pourtant si riche aussi. J'en ai été bouleversée.Subir autant de frustrations, c'est terrifiant.

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  9. Je n'ai pas lu ces lettres mais une biographie de la famille Bronté qui montre combien tous les membres sont marqués par la mort qui les cerne. Tous réagissent différemment, Branwell, le frère par l'alcool et l'opium, Emily fait preuve d'une morbidité certaine qui apparaît dans son oeuvre quand elle fait déterrer le cadavre de Catherine dans les Hauts de Hurlevent. Charlotte est celle qui paraît le mieux s'en sortir effectivement soutenue par sa foi et l'idée d'une certaine supériorité morale.
    Je n'aime pas chez elle sa certitude de la supériorité des anglais, superiorité de sa classe sociale, du protestantisme et sa xénophobie galopante. Tu as lu Le Professeur? Ce bouquin fait voir Charlotte sous une autre face, moins admirable.

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    1. Non, je n'ai pas lu "Le Professeur". Par contre j'ai été très frappée par les certitudes de son protestantisme.
      Je viens de lire deux récits de voyages, l'un en Chine (XIXe siècle), dont j'ai rendu compte, l'autre bien involontairement chez les inuits (XVIe siècle), dont je parlerai bientôt. Dans les deux cas j'ai été abasourdie par nos certitudes d'européens, notre soi-disant supériorité morale et intellectuelle. Totalement affligeantes. Nous en sommes-nous complètement libérés ?

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    2. Relativement libérés par rapport au XIX siècle, dans la mesure où le pouvoir de de l'église a régressé. Vive la laïcité !
      Mais il existe encore des extrémistes en France et ailleurs ! Ce n'est malheureusement pas l'apanage des Européens. Regarde ce qui se passe dans le monde entier quand il s'agit de Religion. C'est toujours au nom d'un Dieu que l'on tue, que l'on prive les autres de leur liberté, que l'on maintient la femme dans un état de soumission alors même que le principe de la religion devrait reposer sur l'amour et l'égalité.

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  10. Il doit être passionnant ce livre, je le retiens.

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