Auteure : Léonora MIANO
Editions : Grasset - 2013 - 234 pages
Bien loin du décorticage de nos états d'âme, voici un livre qui nous emmène loin d'ici, il y a bien longtemps aussi, pour nous mettre face à une question mystérieuse : que se passe-t-il lorsque, brusquement tout un peuple est confronté à l'incompréhensible ?
L'incompréhensible dans ce cas, c'est la brutale disparition de douze hommes du clan Mulongo : Deux dignitaires et dix jeunes initiés, qui semblent s'être volatilisés, une nuit, après qu'un incendie, tout aussi insensé, ait ravagé une partie du village.
Les Mulongo forment un peuple paisible et soudé. Ils entretiennent des relations courtoises avec leurs voisins, les Bwele. Leur chef, Mukano, est respecté de tous. Que signifie alors cet évènement ?
Désemparés par cette situation inédite, les sages font appel à Ebele, épouse de Mundene, le ministre des cultes, lui aussi disparu, mais surtout la matrone du clan, dont chacun respecte la sagesse.
C'est elle qui propose d'isoler dans une case les dix femmes "dont les fils n'ont pas été retrouvés" :
Non pas qu'elle les soupçonne de quoi que ce soit, mais pour que leur douleur soit circonscrite et ne se répande pas dans tout le village, car ce qu'il faut avant tout, c'est comprendre et reconstruire.
Comprendre ne sera pas donné à tout le monde, quant à reconstruire...
De l'aveu même de son auteure, ce très beau roman n'aurait pas vu le jour, si en 2010, un document intitulé "La mémoire de la capture" - la traite transatlantique - ne lui avait pas été donné à lire.
Il s'agissait des résultats d'une enquête menée au Bénin, avec le concours de la Société africaine de la culture et de l'UNESCO, qui démontrait "l'existence d'un patrimoine oral sur le sujet", confirmant en elle "de très anciennes intuitions", devenues "obsessionnelles".
Voici donc de quoi est fait le coeur de ce roman : décrire l'arrachement - être enlevé ou vivre la disparition inexpliquée d'un proche - mais aussi décrire le monde de ceux qui ont vécu de tels évènements, qu'ils aient été emportés au "pays de l'eau" , dont l'existence pour eux n'avait même pas de sens, ou qu'ils soient restés sur la rive.
J'ai infiniment aimé ce livre, lu d'ailleurs une seconde fois dans la foulée !
On y découvre un monde si peu et si mal connu et la réalité d'une histoire particulièrement cruelle, portés par de superbes personnages, des femmes majoritairement, et par l'écriture de Léonora MIANO, aussi puissante que ses héroïnes.
"Elle était issue d'un peuple qui possédait une langue, des usages, une vision du monde, une histoire, une mémoire. Elle était issue d'un groupe humain qui, depuis des générations, enseignait à ses enfants que le divin se manifestait à travers tout ce qui vivait."
On y découvre de quelle manière la traite transatlantique a pu détruire des vies mais également le monde dont ses victimes étaient issues. de quelle manière aussi, tous ont su utiliser le legs le plus précieux de leurs ancêtres, "l'obligation d'inventer pour survivre", avec une infinie sagesse.
"Elle était issue d'un peuple qui possédait une langue, des usages, une vision du monde, une histoire, une mémoire. Elle était issue d'un groupe humain qui, depuis des générations, enseignait à ses enfants que le divin se manifestait à travers tout ce qui vivait."
On y découvre de quelle manière la traite transatlantique a pu détruire des vies mais également le monde dont ses victimes étaient issues. de quelle manière aussi, tous ont su utiliser le legs le plus précieux de leurs ancêtres, "l'obligation d'inventer pour survivre", avec une infinie sagesse.
"Sachons accueillir le jour lorsqu'il se présente. La nuit aussi."