Textes retranscrits par Franck LESTRINGANT, Grégoire HOLTZ, Jean-Claude LABORIE
Editions : Gallimard Folio classique - 575 pages-
Voici exactement le genre de livre auquel je suis incapable de résister, certaine que je suis d'y trouver tout ce qui fait le charme de l'histoire racontée par ceux qui l'ont vécue : aventure, poésie, descriptions plus ou moins subjectives, préjugés, bons sentiments, mauvaise foi, curiosité teintée de modestie ou outrecuidant sentiment de supériorité (entre autres !).
C'est donc à la suite de de trente huit voyageurs, que ce livre nous conduit, sur une période de deux siècles (1450-1650), au travers d'extraits de textes qui ont été publiés à leur retour, parfois beaucoup plus tard et même après leur mort et que trois spécialistes de la littérature de voyage ont sélectionnés, traduits, remis la plupart du temps en français moderne, nous offrant ainsi "un panorama représentatif de la diversité du corpus viatique de l'époque".
Nos voyageurs, le plus souvent navigateurs, sont portugais, espagnols, français, anglais, hessois, hollandais, nés à Florence à Bologne ou à Gènes. Ils sont au service de leur souverain ou d'un autre prince plus intéressé à financer leurs voyages. Ils pratiquent la religion catholique la plupart du temps, mais peuvent être tout aussi bien protestants qu'adeptes au moins durant un temps de la religion musulmane. Le plus souvent laïcs, parfois religieux, ils sont plus que célèbres comme Christophe Colomb, Amerigo Vespucci, Herman Cortés, Jacques Cartier, ou moins renommés comme Marc Lescarbot ou Hans Staden.
C'est avec leurs yeux et leurs cultures que nous abordons donc les rivages de l'Afrique, arpentons la Turquie beaucoup plus vaste qu'aujourd'hui, gagnons les Indes et même le Japon et découvrons le Nouveau Monde : Antilles, Mexique, Pérou, Canada, Brésil et ce qu'on appelait alors la Floride et la Virginie.
Si certains restent trop centrés sur eux-mêmes, transformant ainsi sans hésitation un temple hindou de Calicut en église, persuadés qu'ils sont d'avoir abordés le royaume chrétien du prêtre Jean, la plupart rapportent leur étonnement, leur émerveillement, leur répulsion ou au contraire leur admiration devant les contrées, les peuples et les moeurs qu'ils découvrent, créant parfois sans le savoir des fantasmes qui perdureront des siècles durant "dans l'imaginaire européen".
D'autres, comme Jean de Léry, protestant, se font philosophes, ne se contentant pas de rapporter les horreurs si souvent évoquées de l'anthropophagie pour démontrer l'animalité de ces peuples, mais, les comparant à celles qu'il a lui-même vécues lors des guerres de Religion, conclut, sans hésitation, que les plus sauvages ne sont certainement pas ceux que l'on croit.
Aventures collectives ou individuelles, souvent les plus éprouvantes, ces récits émeuvent, enchantent, mais nous renvoient aussi à une dramatique réalité : la destruction de ces mondes et de ces peuples, auxquels on ne rougissait pas d'offrir quelques petits miroirs, quelques perles bleues, contre leur lingots d'or ou d'argent.
Je vous conseille très vivement ce livre, qui parle si bien d'eux et de nous, et nous renvoie à un moment de notre terre à jamais disparu, un moment également où le beau mot d'aventure avait un sens que l'on ne connaît plus aujourd'hui.
Les illustrations réalisées par Théodore de Bry (1528-1598) représentent pour la première "Le chef Holata expliquant les rites de sa tribu" et pour la seconde "les Floridiens véné[ant] la colonne érigée par le capitaine (Jean Ribault) lors de la première expédition". Elles sont tirées de l'ouvrage de Jacques Le Moyne de Morgues "Brevis narratio eorum in Florida Americae provincia Gallis acciderunt", publié en 1591 à Francfort.
Toujours magnifiquement écrits, tes papiers donnent très envie d'ouvrir à notre tour les livres que tu as lus. Ces récits de voyages rassemblés, qu'elle belle aventure ! Merci Annie
RépondreSupprimerMerci à toi également, Sylvie. Je reste toujours admirative devant ces récits, me demandant comment leurs héros ont bien pu survivre à de telles aventures. Certaines sont particulièrement rudes tout de même...
SupprimerOn se dit qu'ils avaient de la chance de découvrir des continents vierges et inexplorés en ces temps de tourisme de masse .. C'est une bonne idée cette sorte de compilation des grands voyageurs.
RépondreSupprimerOui, j'imagine toujours le choc que cela a dû être de découvrir ainsi des terres et des peuples totalement inconnus. Aujourd'hui, lorsque nous voyageons, nous avons déjà vu sur des photos ou dans des films ce que nous allons découvrir.
SupprimerQuant à la surprise de ceux qui les voyaient arriver, elle devait être encore plus grande.
Je comprends que vous n'ayez pas pu résister... Je vais pourtant le faire car j'ai trop de projets de lecture en ce moment, hélas ! Mais je vois bien ce que vous voulez dire à propos de cette période désormais révolue : découvrir la Terre, en fait, avoir soif de découvertes, et aller au-devant de l'autre. Ça, aujourd'hui....
RépondreSupprimerBonne journée.
Les dés sont en effet plus que pipés en ce moment et nous n'avons plus, hélas, ce regard totalement neuf, comme celui des très jeunes enfants. Il y a tellement de livres passionnants à lire qu'on en est même parfois presque découragé !
Supprimercomme Bonheur du jour je vais le noter car le sujet me plait infiniment mais ma pile est en voie d'écroulement !!! j'ai lu une partie de ces textes d'exploration et certains sont passionnants, pour d'autres le décalage rend la lecture difficile donc ce livre a tout son intérêt pour nous en donner un accès plus facile
RépondreSupprimerJe pense que je vais faire le chemin inverse et à présent les textes en entier, ceux de jean de Léry et Hans Staden notamment. Ce livre ouvre beaucoup de portes.
SupprimerBonjour Annie, je renouvelle ma tentative de commentaire en croisant les doigts. Ton billet est passionnant, à l'image de cette lecture. Je comprends que tu n'aies pas résisté à ce livre. Ces compilations invitent aux voyages, double voyage ici, en plus du littéraire. Je ne suis pas étonnée de ce que tu écris quant aux fantasmes qui ont perduré...
RépondreSupprimerCette fois cela a marché, Maryline et j'en suis ravie ! C'est très intéressant de voir comment ces navigateurs, pour certains, étaient si persuadés de détenir la vérité, qu'il leur était impossible de ne pas voir les choses autrement qu'à travers ce filtre. Quant aux fantasmes, on les retrouve encore maintenant et certains n'ont pas vieilli... un petit exercice de dépoussiérage serait bien nécessaire !
SupprimerC'est exactement le genre de livre que j'apprécie !
RépondreSupprimerJean de Léry arrive à la même conclusion que Michel de Montaigne,son contemporain,catholique. Les guerres (civiles) de religion en France ont été quelque chose d'atroce.
Je pense que nous sommes en effet nombreux dans ce cas ! Quant aux guerres de religion, la description qu'en fait Jean de Léry est absolument abominable... De plus il a l'honnêteté de reconnaître que des forfaits ont été commis des deux côtés, mais pas dans les mêmes proportions. Bon week-end à toi !
SupprimerC'est curieux, je viens de laisser un mot chez Dominique ("à sauts et à gambades") en disant exactement la même chose que vous à propos de l'aventure !
RépondreSupprimerSe transposer à l'époque où les contours des terres émergées était incertains, où vivaient d'étranges peuples inconnus,... l'aventure vraie comme vous le dites. Je retiens ce Folio classique.
... "étaient incertains".
SupprimerC'est en effet un moment fascinant et c'est un grand plaisir de lire ces récits, en essayant de retrouver la position de chacun au moment de la rencontre. Bon dimanche, Christian.
SupprimerC'est un livre qui m'a déjà fait de l'oeil, aussi ton conseil sera suivi un jour ou l'autre.
RépondreSupprimerJe l'avais découvert dans le monde des livres et comme tu dis, il m'avait fait de l'oeil. Aussi n'ai je pas hésité lorsque je l'ai aperçu sur une table dans une librairie de Grenoble. Je ne l'ai pas regretté !
RépondreSupprimerL’imaginaire européen...celui qui nous déforme, nous fait interpréter, voire condamner. Ce livre doit être absolument passionnant, je le note, merci Annie.
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