mardi 24 septembre 2019

ROSIE OU LE GOÛT DU CIDRE






Titre original : "Cider with Rosie" 1959.
Auteur : LAURIE LEE
Traduction : Patrick REUMAUX
Editions : Libretto - 259 pages-

Le petit garçon dépenaillé qui nous regarde bien en face d'un air aussi assuré qu'un peu provocateur, ne doit pas être bien différent de ce qu'était l'auteur durant cette "première enfance", qu'il a choisie de raconter ici.
Avant-dernier enfant d'une famille qui en a compté neuf, bébé quasiment mort-né qui choisit de vivre malgré tous les pronostics et qui renouvelle ce choix tout au long de ses premières années, garçon choyé par une mère toujours amoureuse d'un presque fantôme, garnement pauvre, sans le soupçonner un instant,  d'un village  des Cotswolds, qui vit les dernières heures d'un monde ancien avant d'être projeté dans la modernité, comme l'auteur dans la vie d'adulte.

Mais nous n'en sommes pas là. Avant ce grand saut, il y a donc eu la merveilleuse enfance dans une grande maison aussi poétique qu'inconfortable, dans un pays où l'hiver est glacial et l'été parfois fort chaud. Mais de tout cela le jeune Laurie n'a cure : il découvre le monde à sa hauteur avec autant de craintes que d'avidité, sous la houlette fantasque d'une mère  irritante et poétique, qui lui donne à jamais le goût de la beauté  :

"Tout ce que je vois maintenant est entouré d'un halo d'or : un changement de saison, un oiseau caché comme une gemme dans un buisson, les yeux des orchidées, un plan d'eau à la tombée du soir, un chardon, une image, un poème - c'est à elle que je dois mon plaisir."

C'est également avec sa façon " si dépourvue de prétention et si débonnaire", qu'il nous parle de son enfance, rythmée par les grands étapes qu'ont été pour lui, l'arrivée dans cette maison inconnue entourée d'un fantastique univers, le passage à l'école où il lui faut  bientôt quitter la jeune maîtresse des Petits "avec sa poitrine tressée, ses mains déboutonneuses et sa voix d'amour dormeur",  pour entrer dans le monde des grands où règne "Miss B., l'institutrice en chef", "baptisée la Grinchue", avec son "aigre regard jaune, des macarons de cheveux plats sur les oreilles, la peau et la voix d'une dinde", la découverte des filles et du cidre, qui précède de peu le départ vers un autre âge et une autre vie.

  
Photographie : Andrew Rolant. Source : easyvoyage.com


Au gré du temps,  lui reviennent ainsi en mémoire, tous ceux qui furent ses proches :
sa mère et ses soeurs et leur monde de porcelaines, rubans, chapeaux, fous-rires,  et qui pourtant sont si dures à la tache,
ses six oncles, "des héros carrés d'épaules, qui cognaient et buvaient sec, que nous adorions et qui furent les rois " de sa jeunesse,
les voisins "hors-la-loi" aux surnoms savoureux - Charlie-Trognon-de-chou, Albert le Diable, Gueule d'espoir ou le bien nommé Lève le coude-, 
les voisines,  Grand-mère Trill et  Grand-mère Wallon,  pourtant séparément si charmantes, mais qui ne tiennent en vie que par la haine qu'elles se portent l'une à l'autre ou ce vieux couple émouvant, qui vit depuis tant d'années "comme deux châtaignes dans une bogue"

Il y a aussi  les peurs, les drames, les fêtes,  les  rares sorties,  la nature omniprésente, les paysages, tout ce qui marque un enfant et qui construit un homme.

Bien que certains chapitres aient été publiés dans différentes revues avant d'être rassemblés et complétés ici, l'ensemble est parfaitement cohérent et nous tient émerveillés de bout en bout. 
Car le charme de ce livre, qui est un classique Outre-Manche,  tient autant à la personnalité de son auteur, qu'à son regard aigü, ironique et tendre et à sa capacité de retrouver et de rendre magistralement les émotions de l'enfance

"A l'âge de trois ans, je fus déposé de la carriole du transporteur, et ma vie au village commença dans la terreur et le désarroi.
L'herbe de juin, partout était plus haute que moi, et je pleurais. Je n'avais jamais vu d'herbe d'aussi près. Elle me dominait et m'entourait, chaque brin tatoué comme la peau d'un tigre par le soleil. Elle était coupante, sombre, d'un vert mauvais, aussi épaisse qu'une forêt et pleine de criquets, qui dans un bruit de crécelle, fendaient l'air d'un bond comme des singes".  

A dix-neuf ans Laurie quittera son village, violon sous le bras. Impatient de voir le monde il partira pour l' Espagne, où bientôt il découvrira la guerre.
Deux  nouveaux livres - "Un beau matin d'été" et "Instants de guerre"témoigneront de ces nouvelles et dures expériences.
Est-il bien nécessaire de vous dire qu'ils sont déjà commandés ?


samedi 14 septembre 2019

LES FANTÔMES DU VIEUX PAYS






Titre original : "The Nix"
Auteur : NATHAN HILL
Traduction : Mathilde BACH
Editions : Gallimard Folio - 2017 - 950 pages

Voici un (très) gros roman, comme je les aime, lu durant cet été, si pauvre par ailleurs en lectures.
Un roman, qui fait fait rire et pleurer et qui nous tient en haleine jusqu'à la dernière page, nous laissant  enfin espérer la paix pour ses deux héros tendres et fragiles. 

D'un côté le narrateur, Samuel Anderson, la trentaine,  jeune professeur de littérature à l'Université de Chicago. Un petit professeur pour le moment, qui semble s'ennuyer ferme, mal dans sa peau et qui se réfugie plus qu'il ne le faudrait dans les arcanes du  monde d"'Elfscape", un jeu vidéo qui le maintient des nuits durant devant l'écran de son ordinateur. Il faut dire qu'il ne s'est jamais remis du départ de sa mère, qui s'est effacée de sa vie alors qu'il avait onze ans.

De l'autre "Calamity Packer,"  la soixantaine, ainsi abusivement surnommée par la presse pour avoir "agressé" le très conservateur sénateur Packer, en campagne présidentielle. Un surnom bien inadapté à cette femme fragile et persuadée depuis son enfance qu'elle n'est qu'une "imposture".

Toute l'intrigue va se nouer lorsqu'il apparaît que "Calamity Packer" n'est autre que Faye Andresen-Anderson, la mère du précédent.



John Bauer :"La princesse et les Trolls" - 1913 - Source : repro-tableaux.com


C'est par une suite de chapitres qui  font alterner, les évènements actuels, ceux de l'enfance de Samuel et les étapes de la vie de sa mère,  que peu à peu la lumière sur leurs vies d'hier et d'aujourd'hui se fera.
Nous allons donc  successivement  partager avec nos héros et ceux qui les entourent, les risques qu'il y a à vivre sur un campus américain aujourd'hui,  l'ennui  d'une existence étriquée dans petite ville de l'Ohio dans les années 1960,  les dangers et pas seulement mentaux qui nous menacent dans le monde virtuel, l'ineptie du monde de l'édition, les affres des pauvres jeunes-filles en proie aux attaques de panique, l'effrayant monde des elfes norvégiens,  la violence des grandes manifestations pourtant pacifistes de Chicago en 1968, la rudesse d'un village  près du cap nord... et bien d'autres choses encore !


Les émeutes de Chicago, lors de la convention démocrate de1968.

Il ya dans ce roman, les doux, les tendres, les innocents et tout autant de veules, de malhonnêtes , de fous furieux.

Certains chapitres sont désopilants, comme celui dans lequel notre pauvre héros affronte l'une de ses étudiantes, tricheuse invétérée. On rit jaune, tellement ce qui est dit ou fait, illustre bien notre époque, mais on rit. 
D'autres sont poignants, comme ceux qui décrivent l'adolescence de Faye, prise en étau entre ses désirs, ses angoisses et le passé de son père mutique, ou l'enfance pleurnicharde de Samuel, illuminée un moment par sa rencontre avec la belle Bethany.

Les personnages sont attachants ou repoussants, les descriptions magistrales, notamment celles des émeutes, ou des combats virtuels sur '"Elfscape", dans lesquels se débat Samuel, tout autant que sa mère le faisait, contre les elfes émigrés avec son père de la lointaine Norvège.

Un vrai plaisir de le lecture, donc, qui nous fait attendre avec impatience, l'éventuel second ouvrage de ce jeune auteur.

Keisha avait également beaucoup aimé. Aifelle également.


mardi 3 septembre 2019

JOURNAL DE MON JARDIN





Titre original : "Illustrated Garden Book"
Auteure : VICTORIA SACKVILLE-WEST
Traduction : Patrick REUMAUX
Illustrations : Arthur Harry CHURCH et Xavier CARTERET
Editions : Klincksieck  - 2018 -380 pages.

Amies jardinières, amis jardiniers, mais aussi simples lecteurs, posez tout de suite bêches ou plantoirs, pour vous procurer au plus vite cet ouvrage, qui vous permettra de jouir à la fois, du plaisir de tenir entre vos mains ce joli livre illustré de charmantes aquarelles et de belles planches botaniques et de traverser l'année en compagnie d'une illustre jardinière, prodigue en conseils techniques, aussi pointus que poétiques, quand ils ne sont pas d'un renversant bon sens ou pétris d'un sens de l'économie, que l'on ne s'attend pas à trouver chez une aussi aristocratique personne.




Car notre guide ici n'est autre que Lady Victoria Sackville-West, créatrice à partir de 1930,  avec  Harold Nicolson, son tout aussi sélect époux, du magnifique jardin de Sissinghurst, dans le Kent. Un des plus beaux jardin d'Angleterre - c'est dire !- et l'un des plus visités au monde.


Source : eurotunnel.com


L'année va donc se dérouler, mois après mois en sa compagnie. En mettant nos pas dans les siens,  nous allons parcourir son domaine, découvrir sous sa houlette la fleur, l'arbuste, l'arbre, qui se montre particulièrement remarquable à ce moment de l'année, apprendre grâce à elle, le "truc" qui change tout et qui nous donnera tous les atouts pour une franche réussite. 
Plantation, entretien, taille, usage en bouquets ou en cuisine, tout est abordé ici, non pas d'un ton docte, bien que sa science soit profonde, mais à la manière d'une amie, qui  partage avec vous son savoir lors d'une simple conversation, avec une liberté de ton pleine de vie et de charme. 
On saute souvent du coq à l'âne, mais n'est-ce pas un des plaisirs des échanges amicaux ?


Rosier Alain Blanchard. Source : les-racine-du-vent-.fr


Prenons le mois de juillet par exemple. Au programme : 

"Faites pousser vous-même vos plantes - Alstroemeria - Plus de choses sur les magnolias - Quelques-unes de mes roses favorites - Eremurus - Daphnés - L'importance de l'échelle - Cruauté du jardinage - Le jardin blanc de Sissinghurst - L'Acanthus - Ôter les fleurs mortes - La campanule - Un bel arbrisseau - Rose des Gitans - Phlox - Encore des roses."

Et tout est ainsi, mois après mois.

Mais être jardinier - un vrai ! - ne consiste pas seulement à savoir faire pousser des plantes. Il faut être également peintre ou poète  et Victoria Sackville-West, l'est sans conteste à sa manière, aussi sensible que pragmatique.

Ainsi du Prunus sargenti :

" ... un très joli arbre aux fleurs roses au printemps, mais plus beau encore en automne quand les fleurs deviennent rouges, surtout si vous l'avez planté de façon que le soleil du matin et les rayons du couchant illuminent les feuilles et les rendent transparentes. Il me semble que c'est là un point très important que tous les jardiniers sensibles aux coloris d'automne devraient observer : la transparence."

Ou bien du Rosa filipes :

"Si vous voulez un vigoureux rosier grimpant, qui se développe de façon incroyable en une saison, essayez d'obtenir Rosa Filipes, idéal pour grimper dans un vieil arbre qu'il drapera rapidement de longues guirlandes pendantes vert pâle, ornées de bouquets de petites fleurs blanches à centre jaune. Cela fait l'effet d'une dentelle aux myriades de petits yeux d'or fixés sur vous à travers les mailles. Cela a l'air d'être une description fantaisiste du genre que je déteste chez les autres écrivains traitant des questions d'horticulture, mais il y a des moments où l'on est obligé de toucher le fond, si l'on tente de partager ses impressions par un soir d'été parfait où tout retient son souffle. On s'assoit, on regarde, on essaie de s'emplir de tout ce que l'on voit en même temps, que l'on écoute les bruits d'une nuit d'été - les jeunes effraies ahanant dans leur nid au-dessus de l'étable, l'âne qui braie, le plop d'un gland qui tombe dans l'étang."



Le jardin blanc de Sissinghurst. Source : natuionaltrust.org.uk


Peut-être pensez-vous que ce livre n'est pas pour vous, soit parce que vous n'avez pas la chance de profiter de quelques mètres carrés de terre, soit que plus simplement vous n'appréciez pas de mettre vos mains dans la terre.
Ce serait pourtant une erreur. Car c'est l'occasion de mieux connaître cette femme, dont on ne retient encore trop souvent, qu'elle fût l'amie-amante de Virginia Woolf,  qui la peignit,  dans un long parcours à travers les siècles, sous les traits  de l'ambivalent "Orlando".

Or ce que nous découvrons, c'est l'image même d'une femme  libre et forte, pleine d'énergie, de confiance en elle, une femme riche d'un savoir, et d'un art, que tous les professionnels sont loin d'avoir toujours, une femme qui ne s'embarrasse pas  de "chichis", mais va droit au but, tout en étant capable par ailleurs, d'écrire un long et sensible poème de plusieurs pages pour conclure chaque saison de cet ouvrage.

Un double plaisir en vérité !

Un conseil pour terminer : munissez-vous d'une tablette pour pouvoir page après page, admirez les nombreuses plantes et fleurs qui sont évoquées ici. Vous ne le regrettrez pas !

ICI AUSSI, C'EST LA RENTREE !





Et pour commencer l'année, je vous propose des fleurs, encore des fleurs... avant qu'elles ne soient plus qu'un souvenir, jusqu'au printemps prochain !