Auteure : GENEVIEVE HAROCHE-BOUZINAC
Editions : Flammarion - 2017 - 491 pages
Naître, à Paris en 1752 et mourir soixante-dix ans plus tard à quelques lieues de là, peut en soi, expliquer une vie mouvementée. D'autant plus quand le destin vous place à côté de la reine Marie-Antoinette, pour ensuite vous mener tout aussi près de Joséphine de Beauharnais et de son illustrissime époux.
Pourtant, rien a priori ne destinait Jeanne Louise Henriette Genet à une vie aussi trépidante. Fille aînée du très lettré "chef du bureau des interprètes" à Versailles et aînée de ses cinq enfants, elle passe son enfance dans une famille unie et aimante, auprès d'un père lettré, ouvert aux idées nouvelles - il entretient notamment les meilleurs rapports avec Benjamin Franklin -, qui lui fait donner, comme à ses autres descendants, une très solide éducation basée sur d'excellents principes :
"faire bon usage de leur raison et cultiver leurs talents".
Son statut d'aînée lui vaut en outre quelques privilèges : son père "qui l'appelle "la miss", "la valorise, la complimente devant ses amis, l'emmène déjeuner avec lui chez ses confrères".
C'est ainsi qu'à seize ans, Henriette "lit vers et prose en français mais aussi en anglais et en italien, et qu'elle s'exprime parfaitement", sans oublier de jouer de la harpe et de manier le crayon.
Mais la famille est malgré tout modeste. Aussi "quand la comtesse de Périgord, dame d'honneur des filles de Louis XV, entend parler de miss Genet" et propose à son père d'en faire la lectrice de "Mesdames cadettes", celui-ci ne peut qu'accepter, bien que conscient de "la servitude" qu'il impose ainsi à sa "fille chérie".
Ce premier poste lui permet bientôt de rencontrer la jeune dauphine, Marie-Antoinette, qui, devenue reine, en fait sa seconde femme de chambre une dizaine d'années plus tard la première. Un poste clé pour connaître tous les secrets de la souveraine, en apprécier les défauts, mais aussi les qualités. Tout en étant ouverte aux idées nouvelles, sans en approuver les excès, elle reste fidèle à sa maîtresse tout au long des évènements révolutionnaires, la suivant aux Tuileries, participant à la préparation de la fuite de la famille royale, lui rendant visite aux Feuillants, sans être autorisée à la suivre au Temple.
Commence alors pour elle durant plusieurs années une vie difficile. Son mariage avec Henri Campan se révèle désastreux, tant avant qu'après la naissance de leur seul fils Henri, des membres de sa proche famille périssent durant la Terreur, laissant des enfants encore à élever, et son frère cadet très aimé part aux Etats-Unis où il s'établit.
François Gérard -1802-
Portrait d'Hortense de Beauharnais. Musées Nationaux de la Malmaison
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Nous sommes alors en 1794, elle a quarante-deux ans et il lui faut gagner sa vie, nourrir son fils, s'occuper de ses nièces, mais aussi rembourser les dettes de son insupportable mari.
C'est alors que cette femme, courageuse, déterminée, persévérante mesurée, loyale, bienveillante, décide d'ouvrir un institut pour les filles à Saint-Germain, à proximité de celui que le précepteur de son fils, crée quelques rues plus loin. Bientôt sa soeur cadette Sophie se propose d'accueillir chez elle les mères en visite des petits pensionnaires, achevant ainsi un ensemble pédagogique qui va vite séduire de nombreux parents.
Si au début l'école ne comporte qu'une dizaine d'élèves dont ses nièces, très vite d'autres fillettes ou jeunes-filles viennent étoffer le groupe, qui dépasse bientôt la centaine : la fille de James Monroe, l'ambassadeur des Etats-Unis en France, bientôt suivie par celles de l'ambassadeur des Etats-Unis en Angleterre, puis de jeunes espagnoles et polonaises. Les françaises ne sont pas en reste non plus, jeunes émigrées de retour avec leurs parents, enfants de ce milieu intermédiaire entre tiers-état et petite noblesse, dont Henriette est elle-même issue. Un matin une belle créole, dont le mari a été exécuté durant la terreur, vient même lui confier sa fille : Hortense de Beauharnais. Elle sera suivie quelques années plus tard par les soeurs, Caroline et Pauline, de celui - Napoléon Bonaparte - que sa mère a épousé entretemps.
Si le succès de Madame Campan est rapide, il s'explique tout autant par sa personnalité impeccable que par la qualité du projet pédagogique qu'elle propose à l'opposé de celui qui sévissait encore quelques années auparavant dans les couvents.
Dans un cadre bien agencé et confortable, d'une propreté parfaite, elle accueille ses pensionnaires, avec tendresse :
"Cajoler, chérir, exprimer ses sentiments, dire son affection et la redire", voilà la priorité pour des enfants souvent traumatisées par les évènements récents qu'elles ont vécus.
Veillant à éviter de "faire apparaître des différences liées à la fortune", elle offre à toutes le même parcours, susceptible de leur offrir "un projet de vie utile" et même pourquoi pas d'envisager leur éducation comme "une préparation, peut-être à gagner sa vie" .
Pour ce faire rien n'est négligé : savoir s'exprimer avec justesse, lire et savoir en rendre compte, pratiquer les "belles-lettres", connaître l'Histoire, pour éviter de croire aux romans, "peignant sous une apparence de vérité le monde tel qu'il n'est pas", ne pas ignorer la géographie et les sciences pour mieux comprendre le monde, être musicienne, savoir pratiquer le dessin qui pourrait se révéler un utile gagne-pain, faire du théâtre, mais aussi apprendre à être une maîtresse de maison responsable.
C'est un véritable plan d'éducation qui se dessine ainsi : "Liberté de penser, liberté d'action, vertu, courage et solidarité".
Si l'on considère les liens souvent très étroits qu'elle garde sa vie durant avec bon nombre de ses élèves, qui lui expriment dans un style parfait toute leur tendresse, et la manière dont certaines feront face à des destins en partie glorieux, en partie tragiques, on peut considérer que ce plan a été un succès.
François Gérard
Eglé Auguié Ney d'Elchingen, princesse de la Moskova
Epouse du maréchal Ney et nièce de Madame Campan.
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Mais les années passent. Le premier consul est devenu empereur. Se piquant également d'éducation il souhaite créer ses propres institutions pour élever les filles ou les orphelines de ses soldats. Madame Campan doit quitter Saint-Germain pour le château d'Ecouen, première "Maison impériale" dont elle devient la surintendante. Elle tente de poursuivre son projet rogné par les principes impériaux, guère favorables à l'éducation des filles. Elle met au point sur le papier, un véritable système éducatif national pour les filles, qui concernerait la France c'est à dire l'Europe toute entière, mais que malheureusement elle ne pourra jamais appliquer.
D'autres maisons sont créées, sur lesquelles, à son grand dam, elle perd toute main. Puis l'Empire, malgré ses sursauts tombe. Elle n'est plus rien ou presque. Ses finances, comme toujours sont bien basses. Les deuils, souvent des plus proches s'accumulent.
Mais elle ne fléchit pas et se tourne vers l'écriture, qu'elle avait déjà préalablement pratiquée notamment pour rédiger ses "Mémoires sur la vie privée de marie-Antoinette, reine de France et de Navarre", dont elle a retardé la publication.
D'autres maisons sont créées, sur lesquelles, à son grand dam, elle perd toute main. Puis l'Empire, malgré ses sursauts tombe. Elle n'est plus rien ou presque. Ses finances, comme toujours sont bien basses. Les deuils, souvent des plus proches s'accumulent.
Mais elle ne fléchit pas et se tourne vers l'écriture, qu'elle avait déjà préalablement pratiquée notamment pour rédiger ses "Mémoires sur la vie privée de marie-Antoinette, reine de France et de Navarre", dont elle a retardé la publication.
"Faisons-nous roseaux, écrit-elle..., respirons l'air de la campagne, aimons nos amis, mettons du prix à être aimés".
Jusqu'à la fin, cette femme remarquable saura se tenir debout, avec grâce.
J'ai beaucoup aimé ce livre d'une extrême richesse, fruit d'une réelle recherche historique. Bien sûr je me suis parfois perdue parmi tous les noms et prénoms de ses nombreux et surtout nombreuses protagonistes, mais j'ai vraiment apprécié la rigueur et le charme de l'ensemble.
Non seulement j'y ai découvert la vie et l'oeuvre de cette femme hors du commun, mais j'ai eu également ainsi l'occasion de pouvoir redécouvrir d'une manière très vivante une large page d'histoire dont les détails s'étaient effacés de ma mémoire.
Un très bon moment.
Non seulement j'y ai découvert la vie et l'oeuvre de cette femme hors du commun, mais j'ai eu également ainsi l'occasion de pouvoir redécouvrir d'une manière très vivante une large page d'histoire dont les détails s'étaient effacés de ma mémoire.
Un très bon moment.