Editions : Seghers 10/18, collection "Grands détectives"
32 romans
Je venais juste de terminer difficilement le très noir roman policier de Franck Thilliez "Sharko", en pestant contre cette manie de transformer les enquêtes policières en musée des horreurs, lorsque, comme chaque année à cette époque, chez un vendeur de livres d'occasion, j'ai pu acheter pour un coup minime, deux nouvelles enquêtes de miss Maud Silver.
La récolte était plus médiocre que celle de l'année précédente, mais me promettait tout de même, après avoir baigné dans une atmosphère particulièrement glauque, quelques heures de lecture souriante.
Même si le cadre de ses aventures est toujours conventionnel, celui de la haute bourgeoisie britannique, même si l'on croise souvent un jeune couple que la destinée s'acharne à vouloir séparer, même si l'inspecteur de police de service semble toujours accablé par l'arrivée de cette curieuse enquêtrice au chapeau démodé, même si le coupable est le plus souvent celui auquel on s'attend le moins... je dois avouer que j'aime Miss Maud Silver.
Avec son physique de petite souris,
"C'était une petite personne, à la mine chiffonnée, aux traits insignifiants, aux cheveux grisonnants, soigneusement réunis en une lourde torsade sur la nuque."
sa manière méticuleuse de se vêtir de la façon qu'elle juge la plus adaptée à la situation (même si l'on pense surtout autour d'elle qu'elle est "mal fagotée"),
"Ce soir là, ayant enfilé une robe bleu marine parsemée de petits motifs verts et jaunes qui ressemblaient à des têtards, elle en ferma le col avec sa broche en chêne de tourbière et y ajouta un rang de petites perles d'or filigranées."
son goût immodéré pour le tricot,
"La sonnerie du téléphone interrompit miss Silver en plein milieu d'un savant calcul visant à déterminer si le total de ses bons lui permettrait de disposer de suffisamment de laine pour confectionner un gilet bleu pour sa nièce Ethel et pour tricoter par la même occasion deux paires de chaussettes pour le bébé de Lisle Jerningham."
son sens aigu des convenances, qui "lui interdisait en pareille circonstance de produire la brassière rose de la petite Joséphine",
la profonde gratitude qu'elle ressent devant l'aisance, toute relative, dont elle bénéficie grâce à ses talents d'enquêtrice,
"Elle se sentait débordante de reconnaissance. Une pièce confortable et décorée avec goût... Par un étrange concours de circonstances, elle avait abandonné son métier de gouvernante pour devenir détective privé, et les enquêtes qu'elle avait menées avaient été couronnées de succès au point de lui permettre d'acquérir les rideaux, les tapisseries, les gravures et l'épaisse moquette."
elle apparaît profondément sympathique.
Mais derrière ce parfait portrait de vieille fille, leurre idéal pour des esprits moins affutés que le sien, se cachent, une redoutable connaissance des êtres doublée d'un sens acéré de l'observation, qui lui permettent, en quelques minutes, de jauger les personnes autant que les situations.
C'est en restant assise sur son fauteuil, en comptant les mailles de son dernier ouvrage, en savourant son thé qu'elle enquête. C'est avec douceur et ténacité qu'elle conseille mais avec patience et fermeté qu'elle invite à la franchise. C'est aussi avec détermination qu'elle agit, quand elle seule se sait capable de conclure.
Elle peut compter, dans de nombreux romans, sur un allié fidèle : le jeune et très charmant inspecteur Franck Abbott, avec lequel elle va lier, de volume en volume, des liens d'une touchante affection. Ses "Mon cher Franck", prononcés d'un ton navré, qui émaillent le texte, chaque fois qu'elle se sent le devoir de morigéner le jeune homme sont le leitmotiv souriant de cette relation.
Bref, allez vous penser, une copie plus ou moins pâle de la miss Marple d'Agatha Christie !
Détrompez-vous. Miss Maud Silver est de quatre ans son aînée et Patricia Wentworth "la considère comme un strict plagia de sa propre création".
C'est en 1928 que Patricia Wentworth, créa ce personnage, qui lui assure définitivement la célébrité.
Fille d'un général, née aux Indes, en 1878, Dora Amy Elles Dillon puis Turnbull, s'était mise à l'écriture un peu avant 1910, pour assurer l'éducation de ses enfants après le décès de son premier mari.
Elle écrit tout d'abord des romans historiques, mais en 1923, son lectorat s'élargit après sa victoire à un concours du Daily Mail, qui fait connaître ses premiers romans policiers.
Parallèlement aux 32 volumes que comprend la série des romans ayant pour héroïne, Miss Silver, elle écrit également jusqu'à sa mort en 1961, une trentaine d'autres enquêtes sans personnage aussi récurrent.
Une dernière anecdote*, pour terminer : Patricia Wentworth, dotée d'une très mauvaise vue et d'une écriture illisible, écrivait en duo avec son second mari, le Lieutenant-Colonel George Turnbull.
Elle dictait, il écrivait, proposant quelques traits d'humour à ajouter ou quelques passages à simplifier, puis ils relisaient ensemble le texte, se mettant d'accord sur les modifications à y apporter.
On imagine bien, les tasses de thé et la théière sur le bureau et pourquoi pas des aiguilles et de la laine entre les doigts de l'auteur...
* Source : Wikipedia