Auteur : Lyonel TROUILLOT
Editions : Actes Sud 2000 - Babel n°1127 - 115 pages
Nous sommes au Cap (entendez Le Cap-Haïtien) en 1962, ou juste un peu avant.
Thérèse Décatrel a vingt-six ans. Depuis quelque temps "une autre Thérèse" l'a saisit, l'a fait parler, l'a fait agir, sous les regards médusés de sa soeur, de son mari, de sa voisine.
Les deux premiers détournent la tête , la troisième craint pour ses fils, mais voit également s'approcher le moment tant attendu de mettre la main sur le bien de cette famille détestée.
Révélée par cette autre elle-même, qui s'est donné pour fonction de "rompre tous [ses] silences", Thérèse prend papier et crayon et entame ce journal intime bref et violent : "J'écris pour rassembler mes voix", "j'écris pour savoir de combien de Thérèse j'ai été le pantin", pour répondre à la question qui la dévore : "Qui est moi ?", certaine cependant qu'un jour, une nuit, elle ouvrira enfin "grandes les portes" et fera tout voler en éclats.
Mais avant de partir il faut tout dire, tout mettre à jour, tout révéler d' une enfance vécue "dans la paix du tombeau", cadenassée "dans la culture de la conformité", dans laquelle "le déplaisir ne renvoyait pas d'avoir manqué le plaisir mais à l'inconvenance de l'écart", cadenassée dans la crainte de tout :
"Les métayers des terres de Père, les musiciens des rues, les gens de métier, Mme Garnier notre voisine et ses deux enfants en bas-âge, chaque être vivant abritait un démon, et Mère nous passait son savoir sans omission ni défaillance".
Tout dire, d'un monde où "il convenait alors d'établir la distance. De recourir aux mots pour creuser les écarts", d'un fantôme de père vacillant sur son piédestal, d'une mère "fille de général" accrochée aux vertus du lignage, d'une vie fondée "sur nos rentes et notre prestige".
Tout dire aussi de cette morale là : comment on marie ses filles pour sauver sa maison, la vieille demeure à laquelle on s'agrippe et comment ces filles-là ne trouvent rien à dire, Elise d'abord, la soeur aînée, puis elle Thérèse, acceptant de former "ces couples de zombies".
Thérèse fera tout cela et plus encore. Thérèse partira pour ne jamais revenir. Criant, elle descendra d'un bus, laissant derrière elle "la vie fautive" :
"J'ai choisi un matin pour naître. Sur une route. Je portais ce jour-là ma robe la plus légère..."
Seulement cent-quinze petites pages donc.
Mais dans ces cent-quinze petites pages, l'énergie qui se deploie, la volonté de tout abattre pour vivre enfin, sont telles, qu'on a le sentiment de tenir dans sa main une arme capable de tout détruire.
C'est un livre magnifique par son thème et son style.
Pas de mots inutiles ici. Ce qui importe c'est l'essentiel : se libérer et vivre.
Durant toute la lecture de ce livre je n'ai pu m'empêcher de penser au "Mars" de Fritz Zorn et à ses terribles premières phrases :
"Je suis jeune et riche et cultivé : et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d'une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu'on appelle aussi la rive dorée. J'ai eu une éducation bourgeoise et j'ai été sage toute ma vie. Ma famille est passablement dégénérée, c'est pourquoi j'ai probablement une lourde hérédité et je suis abîmé par mon milieu. Naturellement j'ai aussi un cancer..."
Mais Lyonel Trouillot et Thérèse ont choisi une autre voie!
je retiens ce titre car il y a longtemps que je veux lire Lyonel Trouillot, j'ai déjà noté plusieurs titres merci à toi de me remettre cet auteur en tête
RépondreSupprimerN'hésite pas Dominique. C'est un écrivain magnifique dont j'ai bien l'intention de lire les autres ouvrages !
SupprimerLe roman d'une émancipation, je suis preneuse, et ce sera comme pour Dominique l'occasion de lire cet auteur. (Terribles, en effet, les phrases de Fritz Zorn.)
RépondreSupprimerCest tout à fait çà, Tania. Lyonel Trouillot est un grand écriain ! Les phrases de Fritz Zorn (tout au moins l'idée et leur terrible conclusion) sont restées dans ma mémoire depuis que je les ai lues il à la publication du livre ...1979 !
SupprimerVous avez été très convaincante, j'espère le trouver vite sur mes chemins de lecteur en quête. Le "Mars" me semble intéressant également, les biographies "pesantes" et marginales ont un "charme" qui réside, à mon avis, dans leur sincérité et leur originalité.
RépondreSupprimerDeux grands livres, avec d'une certaine façon le même thème mais deux mondes également dont le plus cruel n'est pas celui qu'on croit ! N'hésitez pas !
SupprimerUn auteur que je n'ai pas encore osé aborder, pensant sa prose trop compliquée (les idées que l'on se fait parfois ..). J'ai lu et relu Fritz Zorn, le trouvant aussi puissant à quelques années d'intervalle.
RépondreSupprimerC'est surtout de la belle écriture je crois ! Il ne faut pas hésiter et j'ai bien l'intentiond de lire ses autres livres.
SupprimerTransformation, libération, tu présentes si bien ce roman que je suis allée voir illico s'il est traduit en espagnol: pas encore mais le sera bientôt. C'est noté, je le lirai sûrement, la symbolique robe légère a ôté toute hésitation!
RépondreSupprimerSi j'ai réussi à convaincre cinq lecteur et lectrices, j'en suis très heureuse ! Pourquoi ne pas le lire en français ? Son style est magnifique.
RépondreSupprimervoilà encore un livre pour lequel je pourrais dire "pourquoi pas"! bonne soirée!
RépondreSupprimerC'est un livre qui mérite plus d'enthousiasme et d'une grande force ! Bonne soirée Eimelle et merci de ton passage.
SupprimerJ'ai forcément très envie de lire ce livre, très fort et très puissant.
RépondreSupprimerJe suis certaine qu'il te plairait ! Tu m'avais demandé il y a longtemps si je connaissais des titres où un auteur parle pour une femme . En voici un, très juste et très beau.
SupprimerIt sounds like the kind of book I love to read. How I wish I could read French. I checked Amazon and it has not been translated.
RépondreSupprimerI hope it'll be soon, Sallie !
RépondreSupprimerActes Sud est souvent gage de qualité et la couverture est très belle, c'est le petit format qui me retiendrait peut-être, je n'aime pas trop les romans courts.
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