dimanche 29 septembre 2013
mercredi 25 septembre 2013
PERSECUTIONS ET ENTRAIDES DANS LA FRANCE OCCUPEE
Auteur : Jacques SEMELIN
Editions : du Seuil - Les Arènes - 2013 - 901 pages
Il a fallu certainement un grand courage à Jacques SEMELIN, qui a consacré "l'essentiel de [sa] vie de chercheur à l'étude de la résistance et du génocide, à l'échelle internationale", pour entreprendre une telle recherche, qui porte "sur un terrain miné tant cette question est sensible dans les mémoires" et l'on comprend que le soutien de Simone VEIL (for Sallie and Suko) l'ait aidé à franchir ce pas.
Car au départ de son travail il y a un constat résumé sous forme d'un calcul et d'une question glaçants :
Sur les 330 000 juifs vivant en France en 1940, 80 000, soit 25 % d'entre eux, ont été tués, pour la plupart à Auschwitz, alors, "comment a-t-il été possible que trois-quarts d'entre eux aient échappé à la mort ?"
Cette "énigme française" est donc au coeur de cet ouvrage complexe, dont la rigueur est soutenue par la clarté du propos et l'humanité des témoignages qui fondent les analyses et illustrent parfaitement la multiplicité des facteurs "emboîtés les uns dans les autres", qui éclairent cette situation, faisant de la France, "à considérer les Etats qui ont été militairement occupés par Berlin depuis 1940", "le pays où le pourcentage d'extermination des juifs est le moins élevé d'Europe".
Difficile recherche donc, tant il a semblé nécessaire à l'auteur et on le comprend, de conserver tout au long de son travail et "dans le même souffle, le quotidien de la persécution et celui de l'entraide."
Difficile recherche également car multiples sont les facteurs et nombreux également ceux qui ont joué dans les deux sens, sans parler du plus aléatoire, la chance et son double mortifère la malchance, qui ont souvent tenu un rôle non négligeable.
Au bout de ces 900 page qu'ai-je retenu ?
Ce bilan, dont j'ignorais le détail jusque là :
- 75 % des juifs vivant en France en 1940 ont survécu à la guerre : soit entre 87 et 88% des français israélites mais seulement 56 à 60% des juifs étrangers.
- 3000 juifs sont morts en France dans des camps, il y en avait "quelques deux cents".
- Sur les 80 000 victimes recensées, près de 12 000 étaient des enfants.
La survie de ceux qui ont échappé aux persécutions n'a été possible que grâce à la conjonction de multiples facteurs - historiques, géographiques, économiques, politiques - et de multiples énergies - individuelles ou collectives, communautaires ou chrétiennes, officielles ou secrètes qui se sont constituées peu à peu en véritables réseaux, dont l'action n'a pu être assurée que par le silence de tous ceux qui les entouraient.
Ainsi, à côté des mouvements d'entraide spontanée, dont les 3500 Justes de France restent un puissant symbole, s'est constitué peu à peu un mouvement de "résistance civile" " déployé par des orgnisations juives et non juives pour mettre le plus possible de juifs à l'abri des déportations".
Les "lieux de refuge, pays et villages sauveteurs", tels le Chambon-sur-Lignon et le diocèse de Nice en sont l'illustration.
Les "lieux de refuge, pays et villages sauveteurs", tels le Chambon-sur-Lignon et le diocèse de Nice en sont l'illustration.
L'arrestation des enfants et les mouvements de réprobation qu'elle a entraînés, les églises protestantes, puis catholiques, l'héritage républicain - dans l'Europe nazie, seuls deux pays continuent à accueillir les enfants juifs au sein des écoles : le Danemark et la France et les internats y ont souvent joué le rôle de refuge - ont été des freins culturels à la persécution, sans parler de l'esprit patriotique qui a poussé certains a vouloir aider les juifs "non pas parce qu'ils étaient philosémites (et même parfois bien au contraire), mais parce qu'ils voulaient faire quelque chose contre les allemands".
L'aide apportée a été le plus souvent gratuite... Mais aussi dans certains cas intéressée : rétribution de services, pensions, loyers, main d'oeuvre... ou baptême.
D'autres lecteurs en retiendront probablement d'autres choses, tant cet ouvrage est foisonnant.
Pour ma part je ne regrette en rien l'effort qu'il m'a demandé...
Heureusement, la rigueur de l'auteur, son style clair, les aides à la compréhension que constituent les dictionnaire des sigles, cartes et autres index m'ont facilité la tâche, tandis que les photos des témoins sollicités et les transcriptions de témoignages atténuaient l'aridité souvent nécessaire du propos.
Heureusement, la rigueur de l'auteur, son style clair, les aides à la compréhension que constituent les dictionnaire des sigles, cartes et autres index m'ont facilité la tâche, tandis que les photos des témoins sollicités et les transcriptions de témoignages atténuaient l'aridité souvent nécessaire du propos.
Un beau travai donc, dont on comprend que l'auteur soit sorti éprouvé.
Derrière ces analyses il y avaient des hommes des femmes, des enfants,
"meurtris par la persécutions, parfois inconscients du danger,..., terrorisés par la brutalité du pouvoir, abattus par la perte d'être chers, effrayés de se faire prendre à leur tour, prenant la décision déchirante de se séparer de leurs enfants, fuyant de lieu en lieu sous une fausse identité, à la recherche d'un asile, ne sachant de quoi serait fait le lendemain."
Il y avait aussi une formidable pulsion de vie.
Derrière ces analyses il y avaient des hommes des femmes, des enfants,
"meurtris par la persécutions, parfois inconscients du danger,..., terrorisés par la brutalité du pouvoir, abattus par la perte d'être chers, effrayés de se faire prendre à leur tour, prenant la décision déchirante de se séparer de leurs enfants, fuyant de lieu en lieu sous une fausse identité, à la recherche d'un asile, ne sachant de quoi serait fait le lendemain."
Il y avait aussi une formidable pulsion de vie.
dimanche 22 septembre 2013
dimanche 8 septembre 2013
mercredi 4 septembre 2013
LE COEUR EST UN CHASSEUR SOLITAIRE
Titre original : "The heart is a lonely hunter"-1940-
Auteure : Carson McCULLERS
Traductrice : Marie-Madeleine FAYET
Éditions : Stock - 1947- Le livre de poche n°3035. -445 p-
Les vide-greniers, brocantes et autres foires aux vieux livres qui fleurissent tout au long de l'été sont toujours une excellente occasion de faire de belles découvertes : vieux magazines qui nous enchantent, livres d'enfance que l'on retrouve avec émotion, auteurs parfaitement inconnus que l'on a brusquement envie de découvrir, mais aussi romans que l'on a toujours voulu lire sans le faire, on ne sait pourquoi.
C'est ainsi que j'ai acheté pour rien celui-ci, un peu jauni et poussiéreux, un jour pluvieux du mois d'août.
Que faire d'autre que de commencer à le lire immédiatement ?
Nous sommes dans une petite ville du sud des États-Unis, dans les années 1930. Des filatures de coton y font vivre les blancs chichement et les noirs, humiliés, plus pauvrement encore.
Durant à peu près deux ans, nous allons suivre le destin croisé de cinq personnages, une fillette et quatre hommes ainsi que de quelques uns de leurs proches.
Mick Kelly donc a douze ans au commencement du récit. C'est une sorte de garçon manqué, vêtu d'un short et d'un polo. Sandales aux pieds elle traîne derrière elle ses jeunes frère et soeur, fume parfois une cigarette. Surtout elle cache bien ce qui la constitue vraiment : son amour de la musique, qu'elle écoute le soir et essaie de comprendre, "assise sous un buisson", près des maisons d'où elle s'échappe, diffusée par la radio. Elle a deux rêves : un piano et une chambre rien que pour elle seule.
Bill Brannon, lui est en pleine maturité. Il tient, avec sa femme Alice, qui "ne voit jamais rien", le "New-York Bar", ouvert toute la nuit. Contrairement à elle, il sait tout remarquer de la détresse de ceux qui s'y retrouvent chaque soir et les accueille avec générosité.
Le plus dérangeant est certainement Jack Blount, sorti un jour de nulle part, petit, courtaud, noir de poil, que l'alcool conduit parfois aux portes de la folie : un sentiment ravageur de l'injustice faite à tous ceux qui sont exploités, un désir brûlant de tout faire sauter, un "rouge" en quelque sorte.
Le Docteur Copeland lui ne fréquente pas le bar : c'est un vieux "docteur nègre". Il a consacré sa vie à soigner les siens et continue malgré ses échecs. Un de ses grands regrets, ce sont ses enfants, qui n'ont pas suivi la voie montante qu'il voulait pour eux. Violent il l'a été, envers sa femme en premier lieu. Violent il l'est toujours dans son exigence de dignité pour les siens, auxquels on refuse toujours "la chance de servir".
C'est auprès d'un sourd-muet, John Singer, qu'ils vont tous les quatre trouver ce qu'ils recherchent.
"Ni occupé, ni pressé", "sans aucune velléité d'insolence", il les accueille à tour de rôle dans la "chambre fraîche et agréable" qu'il loue chez les parents de Mick. Et surtout il les comprend. C'est ce que leur renvoie son immuable sourire.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que lui se sent perdu depuis l'internement, de son ami Antonopoulos, sourd-muet lui aussi.
"Je ne peux plus rester seul", lui écrit-il "sans vous qui me comprenez."
Un malheureux accident perpétré par le jeune frère de Mick sur Baby, la jeune nièce de Bill Brannon, une rixe à laquelle Jack Blount est mêlé, la maladie, la honte et la colère ravivées par le sort réservé à l'un de ses fils, qui rongent le Docteur Copeland, la perte définitive de l'ami de John Singer, mettront fin à ces rêves comme à cet équilibre précaire.
On ne peut que refermer ce roman, d'amour et de solitude, sans une profonde et durable émotion. En ressentant également une grande admiration pour son auteure, âgée de vingt-deux ans au moment de la publication.
J'ai tout aimé dans ce livre, des descriptions épurées et parfaites aux vibrants discours, toujours à méditer, où que l'on soit.
C'est donc sur deux extraits que je terminerai cet article, pour que vous n'attendiez pas une hypothétique brocante pour trouver et lire ce très beau livre en rien "jauni et poussiéreux".
"La nuit tombait. La lune d'un blanc laiteux, montait dans le ciel bleu et l'air fraîchit. Elle entendait Ralph, Georges et Portia dans la cuisine. La fenêtre éclairée par le feu du fourneau, avait une chaude teinte orangée. Cela sentait la fumée et le dîner."
"Vous devez vous vendre pour un but inutile afin de vivre. Vous serez rejetés et vaincus. Le jeune chimiste récolte le coton. Le jeune écrivain est incapable d'apprendre à lire. Le professeur supporte un esclavage inutile dans une blanchisserie. Nous n'avons pas de représentants au gouvernement. Nous n'avons pas le droit de vote. Nous sommes les plus opprimés de ce grand pays. Nous ne pouvons pas élever la voix. Nos langues pourrissent dans nos bouches faute d'exercice. Nos coeurs se vident et perdent toute force pour réaliser notre idéal."
Que faire d'autre que de commencer à le lire immédiatement ?
Nous sommes dans une petite ville du sud des États-Unis, dans les années 1930. Des filatures de coton y font vivre les blancs chichement et les noirs, humiliés, plus pauvrement encore.
Durant à peu près deux ans, nous allons suivre le destin croisé de cinq personnages, une fillette et quatre hommes ainsi que de quelques uns de leurs proches.
Mick Kelly donc a douze ans au commencement du récit. C'est une sorte de garçon manqué, vêtu d'un short et d'un polo. Sandales aux pieds elle traîne derrière elle ses jeunes frère et soeur, fume parfois une cigarette. Surtout elle cache bien ce qui la constitue vraiment : son amour de la musique, qu'elle écoute le soir et essaie de comprendre, "assise sous un buisson", près des maisons d'où elle s'échappe, diffusée par la radio. Elle a deux rêves : un piano et une chambre rien que pour elle seule.
Bill Brannon, lui est en pleine maturité. Il tient, avec sa femme Alice, qui "ne voit jamais rien", le "New-York Bar", ouvert toute la nuit. Contrairement à elle, il sait tout remarquer de la détresse de ceux qui s'y retrouvent chaque soir et les accueille avec générosité.
Le plus dérangeant est certainement Jack Blount, sorti un jour de nulle part, petit, courtaud, noir de poil, que l'alcool conduit parfois aux portes de la folie : un sentiment ravageur de l'injustice faite à tous ceux qui sont exploités, un désir brûlant de tout faire sauter, un "rouge" en quelque sorte.
Le Docteur Copeland lui ne fréquente pas le bar : c'est un vieux "docteur nègre". Il a consacré sa vie à soigner les siens et continue malgré ses échecs. Un de ses grands regrets, ce sont ses enfants, qui n'ont pas suivi la voie montante qu'il voulait pour eux. Violent il l'a été, envers sa femme en premier lieu. Violent il l'est toujours dans son exigence de dignité pour les siens, auxquels on refuse toujours "la chance de servir".
C'est auprès d'un sourd-muet, John Singer, qu'ils vont tous les quatre trouver ce qu'ils recherchent.
"Ni occupé, ni pressé", "sans aucune velléité d'insolence", il les accueille à tour de rôle dans la "chambre fraîche et agréable" qu'il loue chez les parents de Mick. Et surtout il les comprend. C'est ce que leur renvoie son immuable sourire.
Ce qu'ils ne savent pas, c'est que lui se sent perdu depuis l'internement, de son ami Antonopoulos, sourd-muet lui aussi.
"Je ne peux plus rester seul", lui écrit-il "sans vous qui me comprenez."
Un malheureux accident perpétré par le jeune frère de Mick sur Baby, la jeune nièce de Bill Brannon, une rixe à laquelle Jack Blount est mêlé, la maladie, la honte et la colère ravivées par le sort réservé à l'un de ses fils, qui rongent le Docteur Copeland, la perte définitive de l'ami de John Singer, mettront fin à ces rêves comme à cet équilibre précaire.
On ne peut que refermer ce roman, d'amour et de solitude, sans une profonde et durable émotion. En ressentant également une grande admiration pour son auteure, âgée de vingt-deux ans au moment de la publication.
J'ai tout aimé dans ce livre, des descriptions épurées et parfaites aux vibrants discours, toujours à méditer, où que l'on soit.
C'est donc sur deux extraits que je terminerai cet article, pour que vous n'attendiez pas une hypothétique brocante pour trouver et lire ce très beau livre en rien "jauni et poussiéreux".
"La nuit tombait. La lune d'un blanc laiteux, montait dans le ciel bleu et l'air fraîchit. Elle entendait Ralph, Georges et Portia dans la cuisine. La fenêtre éclairée par le feu du fourneau, avait une chaude teinte orangée. Cela sentait la fumée et le dîner."
"Vous devez vous vendre pour un but inutile afin de vivre. Vous serez rejetés et vaincus. Le jeune chimiste récolte le coton. Le jeune écrivain est incapable d'apprendre à lire. Le professeur supporte un esclavage inutile dans une blanchisserie. Nous n'avons pas de représentants au gouvernement. Nous n'avons pas le droit de vote. Nous sommes les plus opprimés de ce grand pays. Nous ne pouvons pas élever la voix. Nos langues pourrissent dans nos bouches faute d'exercice. Nos coeurs se vident et perdent toute force pour réaliser notre idéal."
dimanche 1 septembre 2013
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