lundi 2 avril 2012

LA CITE DES DAMES



Auteure : CHRISTINE DE PIZAN
Texte traduit du"moyen français" par Thérèse MOREAU ET Eric HICKS
Editions : Stock-Moyen Age-278 pages


Quand j'ai vu que ce livre était inscrit dans la liste des ouvrages sélectionnés pour le challenge 2012 
"A year of feminist classics", j'ai pensé que c'était pour moi l'occasion de découvrir cette auteure, dont je ne connaissais à peu près que le nom.  Je sais, ce n'est pas très brillant ! Pourtant je suis allée à l'école un certain temps... mais c'était, il y a longtemps, à une époque où celui-ci n'était jamais évoqué durant les cours de français.
Le mouvement féministe est passé par là depuis et j'espère que mes cadettes en savent plus que moi !



Christine de Pizan, dont le nom à l'origine s'écrivait "de Pisan", est née en 1364 à Venise. Dès 1368,  elle arrive en France à la cour du roi Charles V, où son père vient d'être appelé en tant que médecin et astrologue. Elle y reçoit l'éducation donnée aux jeunes filles de la noblesse  et montre, selon ses propres termes, "des dispositions pour les lettres".
Mariée à quinze ans à un jeune noble, Etienne de Castel secrétaire du roi, dont elle écrit que nul "ne put jamais le valoir en bonté, en douceur, en loyauté et tendre amour", elle voit sa vie, jusque là facile, totalement bouleversée, après les décès successifs du roi, de son père et de son époux.
Elle se retrouve donc seule en France à vingt-six ans, avec trois jeunes enfants et sa mère à charge, en butte à plusieurs procès qui la ruinent.
Elle choisit alors d'utiliser ses dons pour l'écriture et son érudition pour faire vivre sa famille et "de femelle devins masle" en l'occurrence "homme de lettres"
Son premier ouvrage "Le livre des cent ballades", qui rassemble une série de pièces lyriques, lui permet de trouver de nouveaux soutiens et des commandes.
A partir de ce moment elle n'arrêtera pas de produire "des écrits érudits, philosophiques, moraux et même militaires", tout en menant un combat en faveur des femmes, notamment en s'opposant à Jean de Meun, auteur du "Roman de la rose".
Son courage et son obstination, lui vaudront succès et admiration jusqu'à son décès vers 1430, ce qui n'empêchera pas le dénigrement et la quasi disparition de son oeuvre jusqu' à nos jours.



Ecrit entre le 13 décembre 1404 et avril 1405, le livre de "La Cité des Dames", est en quelque sorte le "couronnement de son oeuvre féministe".
Troublée "au plus profond de [son]  être", par la lecture des "Lamentations de Mathéole", un véritable condensé de propos misogynes, Christine de Pizan s'interroge sur ce qui pousse "tant d'hommes, clercs et autres, à médire des femmes et à vitupérer leur conduite soit en paroles, soit dans leur traités et leurs écrits".  Déprimée, elle s'assoupit et découvre à son réveil, trois Dames nommées Raison, Droiture et Justice, qui lui annoncent qu'elle a été choisie, pour construire, avec leur aide, une Cité où "les dames et autres femmes méritantes puissent désormais avoir une place forte où se retirer et se défendre contre de si nombreux agresseurs".
Cette Cité, toute spirituelle, est en fait une série de réponses, par le contre-exemple à tout ce que la misogynie a pu inventer pour dénigrer les femmes :
En gros, les femmes sont des êtres sans force, sans talents, incapables de créer quoi que ce soit, sans jugement. Elles sont un poids pour leurs parents, font le malheur de leurs maris, sont indiscrètes, infidèles par nature - elles aiment même être violées-, elles sont coquettes, avares.... N'en jetons plus !
Point par point, rassemblant toute son érudition, Chritine de Pizan, dresse le portrait de toutes les femmes qui  ont démontré ou démontrent encore le contraire : La Bible, la Mythologie, l'histoire grecque et romaine,  la Vie des Saintes,  sont sollicitées tour à tour, sans oublier son propre exemple et celui de quelques unes de ses contemporaines.
Chacune de ces femmes constitue ainsi, qui les fondations, qui les pierres des murailles, qui les demeures de cette Cité, qui permet à toutes, "Vous qui êtes mortes, vous qui vivez encore et vous qui viendrez à l'avenir," de se réjouir d'avoir ainsi un refuge et un rempart contre leurs ennemis.



Si j'avais abordé cette lecture avec une certaine crainte, les écrits médiévaux ne sont pas d'habitude mes livres de chevet, celle-ci à très vite disparue.
Tout d'abord, je crois, parce que d'emblée j'ai eu le sentiment de rencontrer une autre femme, dont je comprends le désarroi et la révolte : bien sûr, la situation n'est plus tout à fait la même tout au moins pour certaines, mais tout cela n'est pas non plus de l'histoire ancienne. J'ai aimé tout de suite, son courage, son sens de la décision, sa clarté d'esprit, sa confiance en elle.
J'ai admiré son érudition, et s'il y a, bien entendu, quelque chose de déroutant pour nous à voir placer sur un  même pied, déesses, saintes, prophétesses, princesses et reines, j'ai eu un grand plaisir, sauf vers la fin je dois l'avouer où l' accumulation des martyres m'a fait sauter quelques pages, à lire ces épisodes mythiques ou réels, qui nous font passer, sans transition, de la fable à la réalité.
Si je n'ai pu m'empêcher de sourire à l'évocation de toutes ses puissantes contemporaines dont elle vente les qualités, il faut bien vivre et l'époque l'exigeait, je n'ai pas trop sourcillé non plus une fois la conclusion atteinte : éloge de la vertu, de la modestie, de la soumission à son mari, de la patience, on pourrait bien sûr grincer des dents, nous sommes loin en effet de l'appel à la révolte....
Mais nous sommes au XVème siècle et cette femme vient juste de rendre à chacune le sens de sa propre dignité.

Tout au long de ma lecture je n'ai cessé de penser au livre que Lilian Thuram et Bernard Fillaire ont fait paraître en 2010  : "Mes étoiles noires". 
Je crois que d'une certaine façon la démarche est exactement la même. C'est également de dignité qu'il est question ici ! 

14 commentaires:

  1. It is remarkable to think of someone so brave back in those days. We owe our fore-mothers so much!. And again, I am in awe of your (different kind) of courage in tackling such difficult-to-read books. And I thank you for sharing your reviews.

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    1. Thanks Sallie !I was happy to discover this courageous and clever woman. The text is not diffucult at all.

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  2. This does sound like a difficult book, in many ways. Lovely review of this work. The illustrations are marvelous.

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    1. Not a really difficult book. I like too the pictures. The colours are so bright.

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  3. C'est une vraie pitié de voir à quel point le pouvoir masculin s'est acharné à enfouir toutes ces intelligences féminines dont la réflexion serait toujours d'actualité. Cà bouge si lentement ... notre classe politique multiplie les exemples peu reluisants ces temps-ci.

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    1. Oui, je trouve aussi, mais c'est magnifique de découvrir ce texte et celle femme !

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  4. Un bel exemple, elle est magnifique cette femme, comme on voudrait lui ressembler , je vais voir si je trouve ce livre dans ma bibliothèque

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    1. J'ai été très émue en parcourant des articles sur sa vie. Quelle femme en effet. J'espère que ses textes sont plus étudiés aujourd'hui dès le lycée, mais je n'en suis pas sûre.

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  5. Très belles illustrations pour une femme exemplaire !

    Les enluminures qui ornent les photos m'attirent ...

    Bonne journée chère Annie et merci pour ce partage

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    1. Oui, les enluminures sont toujours splendides. Ce qui m'émeut le plus c'est la vivacité des couleurs. Comme si elles avaient été peintes hier.

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  6. C'est un livre que je lirai également. J'ai beaucoup aimé ton article très bien écrit (comme toujours), mais celui-là est de ceux qui me touchent peut-être plus.

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    1. Merci, Anis. Je pense que ce personnage ne peut que te plaire !

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  7. malheureusement, je ne suis pas fan du Moyen-Age (mais ton billet me donne presque envie !)

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    1. L'important, je crois, ce n'est pas le Moyen-Age, c'est la femme : pour moi une belle découverte.

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