mercredi 4 décembre 2013

C'EST MOI QUI ETEINS LES LUMIERES




"Cheragh-ha ra man khamussh mikonam"
Auteure : Zoyâ PIRZÂD
Traduit du persan par : Christophe BALAŸ
Couverture : David Pearson
Editions : Zulma 2013 - 286 pages-


Comment résister à une telle couverture ? Pour ma part je n'ai pas pu et bien m'en a pris car  le contenu de ce roman s'est vite révélé aussi délicat que son enveloppe.

Nous voici donc à Abadan, en Iran, dans un des lotissements qui accueille le personnel de la compagnie pétrolière qui fait la richesse de la ville.
Clarisse, à peine quarante ans,  vit dans une des maisons du quartier, avec son mari Artush, ingénieur de son état, et ses leurs trois  enfants, Armen le fils aîné qui entre dans l'adolescence et les deux cadettes, si charmantes, Armineh et Arsineh les jumelles aux joues rebondies.
Artush part le matin à la raffinerie dans sa vieille Chevrolet qu'il ne changerait pour rien au monde, les enfants prennent le car scolaire pour rejoindre l'école, Clarisse reste chez elle, veille au ménage, prépare le  goûter des enfants, soigne plus ou moins  son jardin.
C'est elle bien sûr qui écoute : les petites histoires de ses filles et les lamentations de sa soeur, Alice, toujours dans l'attente d'un mari. Clarisse justement aimerait  bien écouter le sien, mais celui-ci ne semble pas avoir grand-chose à dire, ce qui n'est pas le cas de sa mère qui ne peut ouvrir la bouche sans laisser échapper une critique, jamais très méchante, mais acide tout de même.
Est-elle heureuse ?  De quoi se plaindrait-elle au fond ? Sa vie est aisée, ils vont dîner au club, la directrice de l'école, une amie, apprécie autant ses talents de couturière que l'attention qu'elle porte aux traductions qu'elle lui soumet.
Bien sûr tout cela est un peu usant, ces gestes, toujours les mêmes à refaire chaque jour : linge sale à ramasser, tartines à beurrer, histoires à raconter et chaque soir au moment de monter se coucher la sempiternelle question d'Artush  : "J'éteins les lumières ou tu le feras toi-même ?" suivie de la  réponse de Clarisse tout aussi rituelle :   "C'est moi qui éteins les lumières." 
Un peu de solitude ne lui ferait pas de mal, un peu de respect  et d'attention non plus.
Il faut parfois peu de chose pour que tout ce qui était contenu trouve le chemin de la conscience.
Des nouveaux voisins par exemple.  Une curieuse famille : une très belle, très petite et très autoritaire grand-mère, son fils attentif et discret, sa petite-fille beaucoup trop parfaite pour être vraiment sage....
Les choses vont bouger, à peine, Clarisse également,  vraiment ?

C'est donc un livre au charme doux-amer, dans lequel il ne se passe pas grand-chose mais qui m'a tenu sous son charme  de bout en bout, peut-être parce que je m'y suis sentie à la fois en pays connu et déstabilisée pourtant.
Je pensais lire un roman qui se passe en Iran : c'est bien le cas mais dans un cadre tout à fait particulier : la communauté arménienne.
Je pensais également découvrir la vie d'aujourd'hui, celle corsetée par les mollahs et me voici dans un temps indéterminé dans lequel aucun d'entre eux  n'est en vue : les années 60 ?
Je m'attendais aussi à un destin de femme marqué par le patriarcat : ce n'est pas faux, mais le matriarcat fait bien des ravages aussi.
Le charme  de ce roman tient aussi aux qualités très particulières  de son auteure : un oeill exercé, une grande  tendresse, un humour léger, ainsi qu'à son talent pour rendre totalement présents, vivants, ses personnages. 
Au point de me demander quelques jours après avoir refermé le livre ce que Clarisse et  sa famille étaient devenus après la révolution de 1979  ou, pire encore, après la destruction totale d'Abandan durant la guerre contre l'Irak...
Qui sait ?


Sallie and Suko : the English title is : "Things you left unsaid."

19 commentaires:

  1. j'ai plusieurs fois croisé le nom de cette auteure mais je n'ai jamais rien lu
    je vais garder ça dans ma liste déjà bien longue mais ....

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    1. C'est un peu toujours le même problème et le même plaisir : tant de livres à lire !

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  2. Couverture magnifique en effet, et je le note car tu en parles très bien.... Merci

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  3. Books like this are such a good way to learn about other places, other people. I am rather a lazy reader and do not often delve into non fiction, so novels are often the way I learn. Thank you for the translation of the title and I will look for it.

    You said you have not been well. I hope you are feeling better.

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    1. Don't worry, Sallie, I'm fine ! I'm sure you'd like this charming book !

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  4. En tout cas, moi, j'ai été sous le charme de ce billet, plaisir à chaque fois renouvelé quand je viens chez toi. J'ai un livre d'elle qui m'attend quelque part dans ma pile.

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    1. Merci beaucoup Anis. N'hésite pas à te lancer, tu passeras un bon moment !

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  5. Lovely review, Annie! And thank you for the English translation of the title.

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  6. Une auteure que j'aimerais découvrir, mais quand ... J'aime beaucoup les couvertures de Zulma.

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    1. Le problème est toujours le même ! C'est un livre pas très épais se qui se lit vite. Si cela peut-êre de bons arguments !

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  7. Ah vous me faites envie! Je viens de regarder, ce roman n'est pas ( encore) traduit en espagnol, mais je viens de lire une belle interview, pas récente, d'elle dans Le Monde http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/06/18/zoya-pirzad-les-mots-dependent-des-personnages_1208231_3260.html

    Je garde précieusement votre billet en mémoire, merci.

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  8. Merci Colo pour votre commentaire et pour l'article que j'ai lu avec intérêt ! Vous n'avez plus qu'à vous lancer dans la version française... Lorsqu'il sortira en espagnol j'aimerais bien en connaître le titre ui varie déjà etre le français et l'anglais. Quant à l'original en persan...

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  9. J'ai beaucoup aimé ce roman au charme discret mais profond, et le personnage de Clarisse est tout simplement universel.

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  10. Vous avez parfaitement raison sur tous les plans. Bon dimanche, Tania !

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  11. J'en avais entendu parler sur le blog de Tania, Zoyâ Pirzâd: à découvrir d'après ce que j'en ai lu chez elle et vous.
    Les couvertures de cette collection Zulma (dont j'ai lu le beau Opium Poppy de Hubert Haddad) sont fascinantes et font rêver d'Orient.


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  12. On m'a déjà parlé de ce livre et je l'ai noté sur ma liste. Mais je ne l'ai pas encore trouvé à la bibliothèque.
    Bon week end.

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  13. Ton billet est très convaincant. Je note !

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